Выбрать главу

La résistance naquit le lendemain; peut-être même était-elle née la veille.

De mois en mois, l’hostilité grandit, et de sourde devint patente.

La Révolution de Juillet, peu acceptée hors de France par les rois, nous l’avons dit, avait été en France diversement interprétée.

Dieu livre aux hommes ses volontés visibles dans les événements, texte obscur écrit dans une langue mystérieuse. Les hommes en font sur-le-champ des traductions; traductions hâtives, incorrectes, pleines de fautes, de lacunes et de contre-sens. Bien peu d’esprits comprennent la langue divine. Les plus sagaces, les plus calmes, les plus profonds, déchiffrent lentement, et, quand ils arrivent avec leur texte, la besogne est faite depuis longtemps; il y a déjà vingt traductions sur la place publique. De chaque traduction naît un parti, et de chaque contre-sens une faction; et chaque parti croit avoir le seul vrai texte, et chaque faction croit posséder la lumière.

Souvent le pouvoir lui-même est une faction.

Il y a dans les révolutions des nageurs à contre-courant; ce sont les vieux partis.

Pour les vieux partis qui se rattachent à l’hérédité par la grâce de Dieu, les révolutions étant sorties du droit de révolte, on a droit de révolte contre elles. Erreur. Car dans les révolutions le révolté, ce n’est pas le peuple, c’est le roi. Révolution est précisément le contraire de révolte. Toute révolution, étant un accomplissement normal, contient en elle sa légitimité, que de faux révolutionnaires déshonorent quelquefois, mais qui persiste, même souillée, qui survit, même ensanglantée. Les révolutions sortent, non d’un accident, mais de la nécessité. Une révolution est un retour du factice au réel. Elle est parce qu’il faut qu’elle soit.

Les vieux partis légitimistes n’en assaillaient pas moins la révolution de 1830 avec toutes les violences qui jaillissent du faux raisonnement. Les erreurs sont d’excellents projectiles. Ils la frappaient savamment là où elle était vulnérable, au défaut de sa cuirasse, à son manque de logique; ils attaquaient cette révolution dans sa royauté. Ils lui criaient: Révolution, pourquoi ce roi? Les factions sont des aveugles qui visent juste.

Ce cri, les républicains le poussaient également. Mais, venant d’eux, ce cri était logique. Ce qui était cécité chez les légitimistes était clairvoyance chez les démocrates. 1830 avait fait banqueroute au peuple. La démocratie indignée le lui reprochait.

Entre l’attaque du passé et l’attaque de l’avenir, l’établissement de juillet se débattait. Il représentait la minute, aux prises d’une part avec les siècles monarchiques, d’autre part avec le droit éternel.

En outre, au dehors, n’étant plus la révolution et devenant la monarchie, 1830 était obligé de prendre le pas de l’Europe. Garder la paix, surcroît de complication. Une harmonie voulue à contre-sens est souvent plus onéreuse qu’une guerre. De ce sourd conflit, toujours muselé, mais toujours grondant, naquit la paix armée, ce ruineux expédient de la civilisation suspecte à elle-même. La royauté de juillet se cabrait, malgré qu’elle en eût, dans l’attelage des cabinets européens. Metternich l’eût volontiers mise à la plate-longe. Poussée en France par le progrès, elle poussait en Europe les monarchies, ces tardigrades. Remorquée, elle remorquait.

Cependant, à l’intérieur, paupérisme, prolétariat, salaire, éducation, pénalité, prostitution, sort de la femme, richesse, misère, production, consommation, répartition, échange, monnaie, crédit, droit du capital, droit du travail, toutes ces questions se multipliaient au-dessus de la société; surplomb terrible.

En dehors des partis politiques proprement dits, un autre mouvement se manifestait. À la fermentation démocratique répondait la fermentation philosophique. L’élite se sentait troublée comme la foule; autrement, mais autant.

Des penseurs méditaient, tandis que le sol, c’est-à-dire le peuple, traversé par les courants révolutionnaires, tremblait sous eux avec je ne sais quelles vagues secousses épileptiques. Ces songeurs, les uns isolés, les autres réunis en familles et presque en communions, remuaient les questions sociales, pacifiquement, mais profondément; mineurs impassibles, qui poussaient tranquillement leurs galeries dans les profondeurs d’un volcan, à peine dérangés par les commotions sourdes et par les fournaises entrevues.

Cette tranquillité n’était pas le moins beau spectacle de cette époque agitée.

Ces hommes laissaient aux partis politiques la question des droits, ils s’occupaient de la question du bonheur.

Le bien-être de l’homme, voilà ce qu’ils voulaient extraire de la société.

Ils élevaient les questions matérielles, les questions d’agriculture, d’industrie, de commerce, presque à la dignité d’une religion. Dans la civilisation telle qu’elle se fait, un peu par Dieu, beaucoup par l’homme, les intérêts se combinent, s’agrègent et s’amalgament de manière à former une véritable roche dure, selon une loi dynamique patiemment étudiée par les économistes, ces géologues de la politique.

Ces hommes, qui se groupaient sous des appellations différentes, mais qu’on peut désigner tous par le titre générique de socialistes, tâchaient de percer cette roche et d’en faire jaillir les eaux vives de la félicité humaine.

Depuis la question de l’échafaud [15] jusqu’à la question de la guerre, leurs travaux embrassaient tout. Au droit de l’homme, proclamé par la Révolution française, ils ajoutaient le droit de la femme et le droit de l’enfant.

On ne s’étonnera pas que, pour des raisons diverses, nous ne traitions pas ici à fond, au point de vue théorique, les questions soulevées par le socialisme. Nous nous bornons à les indiquer.

Tous les problèmes que les socialistes se proposaient, les visions cosmogoniques, la rêverie et le mysticisme écartés, peuvent être ramenés à deux problèmes principaux:

Premier problème:

Produire la richesse.

Deuxième problème:

La répartir.

Le premier problème contient la question du travail.

Le deuxième contient la question du salaire.

Dans le premier problème il s’agit de l’emploi des forces.

Dans le second de la distribution des jouissances.

Du bon emploi des forces résulte la puissance publique.

De la bonne distribution des jouissances résulte le bonheur individuel.

Par bonne distribution, il faut entendre non distribution égale, mais distribution équitable. La première égalité, c’est l’équité.

De ces deux choses combinées, puissance publique au dehors, bonheur individuel au dedans, résulte la prospérité sociale.

Prospérité sociale, cela veut dire l’homme heureux, le citoyen libre, la nation grande.

L’Angleterre résout le premier de ces deux problèmes. Elle crée admirablement la richesse; elle la répartit mal. Cette solution qui n’est complète que d’un côté la mène fatalement à ces deux extrêmes: opulence monstrueuse, misère monstrueuse. Toutes les jouissances à quelques-uns, toutes les privations aux autres, c’est-à-dire au peuple; le privilège, l’exception, le monopole, la féodalité, naissent du travail même. Situation fausse et dangereuse qui assoit la puissance publique sur la misère privée, et qui enracine la grandeur de l’État dans les souffrances de l’individu. Grandeur mal composée où se combinent tous les éléments matériels et dans laquelle n’entre aucun élément moral.

вернуться

[15] Hugo datera toujours son «socialisme» de 1828, c'est-à-dire du Dernier Jour d'un condamné. Non sans raison: la question pénale est une des premières «questions sociales» à une époque où les «classes dangereuses» recoupent effectivement en partie les «classes laborieuses».