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Celle qui répondait au nom de mame Patagon frappa ses deux mains l’une contre l’autre avec scandale:

– Il va y avoir des malheurs, c’est sûr. Le galopin d’à côté qui a une barbiche, je le voyais passer tous les matins avec une jeunesse en bonnet rose sous le bras, aujourd’hui je l’ai vu passer, il donnait le bras à un fusil. Mame Bacheux dit qu’il y a eu la semaine passée une révolution à… à… à… – où est le veau! – à Pontoise. Et puis le voyez-vous là avec un pistolet, cette horreur de polisson! Il paraît qu’il y a des canons tout plein les Célestins. Comment voulez-vous que fasse le gouvernement avec des garnements qui ne savent qu’inventer pour déranger le monde, quand on commençait à être un peu tranquille après tous les malheurs qu’il y a eu, bon Dieu Seigneur, cette pauvre reine que j’ai vue passer dans la charrette! Et tout ça va encore faire renchérir le tabac. C’est une infamie! Et certainement, j’irai te voir guillotiner, malfaiteur!

– Tu renifles, mon ancienne, dit Gavroche. Mouche ton promontoire.

Et il passa outre.

Quand il fut rue Pavée, la chiffonnière lui revint à l’esprit, et il eut ce soliloque:

– Tu as tort d’insulter les révolutionnaires, mère Coin-de-la-Borne. Ce pistolet-là, c’est dans ton intérêt. C’est pour que tu aies dans ta hotte plus de choses bonnes à manger.

Tout à coup il entendit du bruit derrière lui; c’était la portière Patagon qui l’avait suivi, et qui, de loin, lui montrait le poing en criant:

– Tu n’es qu’un bâtard!

– Ça, dit Gavroche, je m’en fiche d’une manière profonde.

Peu après, il passait devant l’hôtel Lamoignon. Là il poussa cet appeclass="underline"

– En route pour la bataille!

Et il fut pris d’un accès de mélancolie. Il regarda son pistolet d’un air de reproche qui semblait essayer de l’attendrir.

– Je pars, lui dit-il, mais toi tu ne pars pas.

Un chien peut distraire d’un autre. Un caniche très maigre vint à passer. Gavroche s’apitoya.

– Mon pauvre toutou, lui dit-il, tu as donc avalé un tonneau qu’on te voit tous les cerceaux.

Puis il se dirigea vers l’Orme-Saint-Gervais.

Chapitre III Juste indignation d’un perruquier

Le digne perruquier qui avait chassé les deux petits auxquels Gavroche avait ouvert l’intestin paternel de l’éléphant, était en ce moment dans sa boutique occupé à raser un vieux soldat légionnaire qui avait servi sous l’Empire. On causait. Le perruquier avait naturellement parlé au vétéran de l’émeute, puis du général Lamarque, et de Lamarque on était venu à l’Empereur. De là une conversation de barbier à soldat, que Prudhomme, s’il eût été présent, eût enrichie d’arabesques, et qu’il eût intitulée: Dialogue du rasoir et du sabre.

– Monsieur, disait le perruquier, comment l’Empereur montait-il à cheval?

– Mal. Il ne savait pas tomber. Aussi il ne tombait jamais.

– Avait-il de beaux chevaux? il devait avoir de beaux chevaux?

Le jour où il m’a donné la croix, j’ai remarqué sa bête. C’était une jument coureuse, toute blanche. Elle avait les oreilles très écartées, la selle profonde, une fine tête marquée d’une étoile noire, le cou très long, les genoux fortement articulés, les côtes saillantes, les épaules obliques, l’arrière-main puissante. Un peu plus de quinze palmes de haut.

– Joli cheval, fit le perruquier.

– C’était la bête de sa majesté.

Le perruquier sentit qu’après ce mot, un peu de silence était convenable, il s’y conforma, puis reprit:

– L’Empereur n’a été blessé qu’une fois, n’est-ce pas, monsieur?

Le vieux soldat répondit avec l’accent calme et souverain de l’homme qui y a été.

– Au talon. À Ratisbonne. Je ne l’ai jamais vu si bien mis que ce jour-là. Il était propre comme un sou.

– Et vous, monsieur le vétéran, vous avez dû être souvent blessé?

– Moi? dit le soldat, ah! pas grand’chose. J’ai reçu à Marengo deux coups de sabre sur la nuque, une balle dans le bras droit à Austerlitz, une autre dans la hanche gauche à Iéna, à Friedland un coup de bayonnette là, – à la Moskowa sept ou huit coups de lance n’importe où, à Lutzen un éclat d’obus qui m’a écrasé un doigt… – Ah! et puis à Waterloo un biscaïen dans la cuisse. Voilà tout.

– Comme c’est beau, s’écria le perruquier avec un accent pindarique, de mourir sur le champ de bataille! Moi! parole d’honneur, plutôt que de crever sur le grabat, de maladie, lentement, un peu tous les jours, avec les drogues, les cataplasmes, la seringue et le médecin, j’aimerais mieux recevoir dans le ventre un boulet de canon!

– Vous n’êtes pas dégoûté, fit le soldat.

Il achevait à peine qu’un effroyable fracas ébranla la boutique. Une vitre de la devanture venait de s’étoiler brusquement.

Le perruquier devint blême.

– Ah Dieu! cria-t-il, c’en est un!

– Quoi?

– Un boulet de canon.

– Le voici, dit le soldat.

Et il ramassa quelque chose qui roulait à terre. C’était un caillou.

Le perruquier courut à la vitre brisée et vit Gavroche qui s’enfuyait à toutes jambes vers le marché Saint-Jean. En passant devant la boutique du perruquier, Gavroche, qui avait les deux mômes sur le cœur, n’avait pu résister au désir de lui dire bonjour, et lui avait jeté une pierre dans ses carreaux.

– Voyez-vous! hurla le perruquier qui de blanc était devenu bleu, cela fait le mal pour le mal. Qu’est-ce qu’on lui a fait à ce gamin-là?

Chapitre IV L’enfant s’étonne du vieillard

Cependant Gavroche, au marché Saint-Jean, dont le poste était déjà désarmé, venait – d’opérer sa jonction – avec une bande conduite par Enjolras, Courfeyrac, Combeferre et Feuilly. Ils étaient à peu près armés. Bahorel et Jean Prouvaire les avaient retrouvés et grossissaient le groupe. Enjolras avait un fusil de chasse à deux coups, Combeferre un fusil de garde national portant un numéro de légion, et dans sa ceinture deux pistolets que sa redingote déboutonnée laissait voir, Jean Prouvaire un vieux mousqueton de cavalerie, Bahorel une carabine; Courfeyrac agitait une canne à épée dégainée. Feuilly, un sabre nu au poing, marchait en avant en criant: «Vive la Pologne!»

Ils arrivaient du quai Morland, sans cravates, sans chapeaux, essoufflés, mouillés par la pluie, l’éclair dans les yeux. Gavroche les aborda avec calme.

– Où allons-nous?

– Viens, dit Courfeyrac.

Derrière Feuilly marchait, ou plutôt bondissait Bahorel, poisson dans l’eau de l’émeute. Il avait un gilet cramoisi et de ces mots qui cassent tout. Son gilet bouleversa un passant qui cria tout éperdu:

– Voilà les rouges!

– Le rouge, les rouges! répliqua Bahorel. Drôle de peur, bourgeois. Quant à moi, je ne tremble point devant un coquelicot, le petit chaperon rouge ne m’inspire aucune épouvante. Bourgeois, croyez-moi, laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes.

Il avisa un coin de mur où était placardée la plus pacifique feuille de papier du monde, une permission de manger des œufs, un mandement de carême adressé par l’archevêque de Paris à ses «ouailles».