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Bahorel s’écria:

– Ouailles; manière polie de dire oies.

Et il arracha du mur le mandement. Ceci conquit Gavroche. À partir de cet instant, Gavroche se mit à étudier Bahorel.

– Bahorel, observa Enjolras, tu as tort. Tu aurais dû laisser ce mandement tranquille, ce n’est pas à lui que nous avons affaire, tu dépenses inutilement de la colère. Garde ta provision. On ne fait pas feu hors des rangs, pas plus avec l’âme qu’avec le fusil.

– Chacun son genre, Enjolras, riposta Bahorel. Cette prose d’évêque me choque, je veux manger des œufs sans qu’on me le permette. Toi tu as le genre froid brûlant; moi je m’amuse. D’ailleurs, je ne me dépense pas, je prends de l’élan; et si j’ai déchiré ce mandement, Hercle! c’est pour me mettre en appétit.

Ce mot, Hercle, frappa Gavroche. Il cherchait toutes les occasions de s’instruire, et ce déchireur d’affiches-là avait son estime. Il lui demanda:

– Qu’est-ce que cela veut dire, Hercle?

Bahorel répondit:

– Cela veut dire sacré nom d’un chien en latin.

Ici Bahorel reconnut à une fenêtre un jeune homme pâle à barbe noire qui les regardait passer, probablement un ami de l’A B C. Il lui cria:

– Vite, des cartouches! para bellum [165].

– Bel homme! c’est vrai, dit Gavroche qui maintenant comprenait le latin.

Un cortège tumultueux les accompagnait, étudiants, artistes, jeunes gens affiliés à la Cougourde d’Aix, ouvriers, gens du port, armés de bâtons et de bayonnettes, quelques-uns, comme Combeferre, avec des pistolets entrés dans leurs pantalons. Un vieillard, qui paraissait très vieux, marchait dans cette bande. Il n’avait point d’arme, et se hâtait pour ne point rester en arrière, quoiqu’il eût l’air pensif. Gavroche l’aperçut:

– Keksekça? dit-il à Courfeyrac.

– C’est un vieux.

C’était M. Mabeuf.

Chapitre V Le vieillard

Disons ce qui s’était passé:

Enjolras et ses amis étaient sur le boulevard Bourdon près des greniers d’abondance au moment où les dragons avaient chargé. Enjolras, Courfeyrac et Combeferre étaient de ceux qui avaient pris par la rue Bassompierre en criant: Aux barricades! Rue Lesdiguières ils avaient rencontré un vieillard qui cheminait.

Ce qui avait appelé leur attention, c’est que ce bonhomme marchait en zigzag comme s’il était ivre. En outre il avait son chapeau à la main, quoiqu’il eût plu toute la matinée et qu’il plût assez fort en ce moment-là même. Courfeyrac avait reconnu le père Mabeuf. Il le connaissait pour avoir maintes fois accompagné Marius jusqu’à sa porte. Sachant les habitudes paisibles et plus que timides du vieux marguillier bouquiniste, et stupéfait de le voir au milieu de ce tumulte, à deux pas des charges de cavalerie, presque au milieu d’une fusillade, décoiffé sous la pluie et se promenant parmi les balles, il l’avait abordé, et l’émeutier de vingt-cinq ans et l’octogénaire avaient échangé ce dialogue:

– Monsieur Mabeuf, rentrez chez vous.

– Pourquoi?

– Il va y avoir du tapage.

– C’est bon.

– Des coups de sabre, des coups de fusil, monsieur Mabeuf.

– C’est bon.

– Des coups de canon.

– C’est bon. Où allez-vous, vous autres?

– Nous allons flanquer le gouvernement par terre.

– C’est bon.

Et il s’était mis à les suivre. Depuis ce moment-là, il n’avait pas prononcé une parole. Son pas était devenu ferme tout à coup, des ouvriers lui avaient offert le bras, il avait refusé d’un signe de tête. Il s’avançait presque au premier rang de la colonne, ayant tout à la fois le mouvement d’un homme qui marche et le visage d’un homme qui dort.

– Quel bonhomme enragé! murmuraient les étudiants. Le bruit courait dans l’attroupement que c’était – un ancien conventionnel, – un vieux régicide.

Le rassemblement avait pris par la rue de la Verrerie. Le petit Gavroche marchait en avant avec ce chant à tue-tête qui faisait de lui une espèce de clairon. Il chantait:

Voici la lune qui paraît, Quand irons-nous dans la forêt? Demandait Charlot à Charlotte.
Tou tou tou Pour Chatou. Je n’ai qu’un Dieu, qu’un roi, qu’un liard et qu’une botte.
Pour avoir bu de grand matin La rosée à même le thym, Deux moineaux étaient en ribote.
Zi zi zi Pour Passy. Je n’ai qu’un Dieu, qu’un roi, qu’un liard et qu’une botte.
Et ces deux pauvres petits loups Comme deux grives étaient soûls; Un tigre en riait dans sa grotte.
Don don don Pour Meudon. Je n’ai qu’un Dieu, qu’un roi, qu’un liard et qu’une botte.
L’un jurait et l’autre sacrait. Quand irons-nous dans la forêt? Demandait Charlot à Charlotte.
Tin tin tin Pour Pantin. Je n’ai qu’un Dieu, qu’un roi, qu’un liard et qu’une botte.

Ils se dirigeaient vers Saint-Merry.

Chapitre VI Recrues

La bande grossissait à chaque instant. Vers la rue des Billettes, un homme de haute taille, grisonnant, dont Courfeyrac, Enjolras et Combeferre remarquèrent la mine rude et hardie, mais qu’aucun d’eux ne connaissait, se joignit à eux. Gavroche occupé de chanter, de siffler, de bourdonner, d’aller en avant, et de cogner aux volets des boutiques avec la crosse de son pistolet sans chien, ne fit pas attention à cet homme.

Il se trouva que, rue de la Verrerie, ils passèrent devant la porte de Courfeyrac.

– Cela se trouve bien, dit Courfeyrac, j’ai oublié ma bourse, et j’ai perdu mon chapeau. Il quitta l’attroupement et monta chez lui quatre à quatre. Il prit un vieux chapeau et sa bourse. Il prit aussi un grand coffre carré de la dimension d’une grosse valise qui était caché dans son linge sale. Comme il redescendait en courant, la portière le héla.

– Monsieur de Courfeyrac!

– Portière, comment vous appelez-vous? riposta Courfeyrac.

La portière demeura ébahie.

– Mais vous le savez bien, je suis la concierge, je me nomme la mère Veuvain.

– Eh bien, si vous m’appelez encore monsieur de Courfeyrac, je vous appelle mère de Veuvain. Maintenant, parlez, qu’y a-t-il? qu’est-ce?

– Il y a là quelqu’un qui veut vous parler.

– Qui ça?

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[165] «Si vis pacem para bellum»: «Si tu veux la paix, prépare la guerre», dit le proverbe latin.