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Qu’il choisisse de supprimer sa fille, lui ou les deux, Harpirias n’avait pas été en mesure de le comprendre. Mais peu importait. Il apparaissait clairement que le roi userait de violence, s’il ne se pliait pas à ses exigences.

Pris au piège entre les mensonges cyniques commis par Korinaam et les espérances dynastiques du roi Toikella, Harpirias comprit qu’il n’avait pas le choix.

— D’accord, fit-il. Viens. Je vais te faire un petit prince, puisque ton père y tient tellement.

Il ne s’attendait pas qu’elle comprenne ses paroles, et elle ne comprit pas. Mais, quand il la prit délicatement par le poignet pour l’entraîner vers la couche de fourrures, il vit ses yeux s’éclairer instantanément. Une sorte d’éclat irradia de son visage, qui la rendit presque attirante.

Harpirias ne la trouvait pas particulièrement répugnante. Un peu trop trapue et musclée à son goût, elle négligeait quelque peu la propreté corporelle et les brèches dans ses dents de devant, quand son sourire les découvrait, le perturbaient. Mais… quand même…

Harpirias n’avait jamais été lui-même un modèle de moralité. Il avait étreint dans le passé nombre de jeunes femmes dont le comportement et l’apparence auraient fait froncer plus d’un sourcil à la cour du Coronal. La danseuse de Bombifale, il y avait si longtemps, une rousse au rire éclatant, aux yeux de braise et à la voix éraillée de marchande de poisson… la svelte jongleuse de High Morpin, la ville de villégiature, qui jurait comme un loup de mer… et surtout la chasseuse roulant de larges hanches, qu’il avait rencontrée en se promenant seul dans les forêts des environs de Norfolk et qui avait montré au jeune homme de dix-huit ans un ou deux trucs auxquels il n’aurait jamais pensé…

Il y en avait eu d’autres. Plus d’une. Beaucoup plus d’une. S’il se voyait maintenant contraint d’ajouter à la liste une sauvagesse au teint basané et à la figure sale, il n’en ferait pas une maladie. Un diplomate est obligé d’accomplir toutes sortes de choses insolites dans l’exercice de ses fonctions, se répéta-t-il. Sa mission se solderait probablement par un échec s’il persistait dans son refus pudibond d’exaucer les vœux de Toikella. Faire plaisir au roi pouvait donc être interprété comme une nécessité professionnelle. Et s’il n’était pas le vrai Coronal, quoi que Toikella eût choisi de croire, il n’en était pas moins indiscutable que le sang d’anciens monarques coulait dans ses veines. Toikella devrait s’en contenter. Le sort en était jeté. Le sort en était jeté. Harpirias dégrafa la robe de fourrure blanche et la tint écartée pendant que la jeune fille se glissait hors du vêtement.

Elle était nue dessous. Son corps était mince et ferme, avec de petits seins durs et des hanches joliment évasées. Elle avait apparemment enduit son corps de la tête aux pieds de quelque chose – était-ce de la graisse de hajbarak ? – qui rendait sa peau douce et agréablement glissante au toucher, et masquait dans une certaine mesure l’odeur de son corps jamais lavé.

Ils se laissèrent tomber ensemble sur les fourrures. Harpirias s’enfouit rapidement au milieu des peaux, car il faisait beaucoup trop froid dans la chambre pour exposer trop longtemps son corps nu à l’air glacial. Bien que la jeune fille eût apparemment préféré rester au-dessus de la pile de fourrures qu’à l’intérieur, elle sembla comprendre qu’il ne pouvait faire autrement et, au bout d’un moment, s’y enfonça à son tour. Quand ils furent bien couverts, côte à côte, douillettement installés sous la montagne de fourrures, elle posa la main sur sa poitrine en riant et roula sur elle-même, de manière à se placer au-dessus de lui.

— C’est comme cela que tu aimes, hein ? Parfait. Fais comme tu voudras.

Elle lui sourit. Une étincelle malicieuse brilla dans ses yeux, comme si, pour elle, c’était une sorte de jeu. Harpirias se demanda quel âge elle avait. Vingt ans ? Moins, peut-être. Quinze ? Impossible à dire.

Il essaya de l’embrasser, mais elle déroba ses lèvres. Ce n’était pas dans leurs us et coutumes, selon toute apparence. Tant pis, se dit Harpirias. Le petit éclat d’os taillé qui lui transperçait la lèvre supérieure aurait, de toute façon, créé des difficultés.

Elle prononça quelques mots dans sa langue.

— Je ne comprends pas, fit-il. Elle se mit à rire et répéta ce qu’elle venait de dire. Des mots tendres exprimant sa passion ? Harpirias en doutait fortement. Peut-être lui disait-elle seulement son nom ?

— Harpirias, dit-il. Je m’appelle Harpirias. Et toi ?

Elle pouffa. Dit encore quelque chose, un seul mot qu’elle répéta un instant plus tard. Peut-être était-il lourd de sens ; il n’avait évidemment pas la moindre idée de sa signification.

— Shabilikat ? hasarda-t-il.

Cette imitation hésitante déclencha un fou rire chez la jeune fille.

— Shabilikat, répéta Harpirias. Shabilikat. Cela semblait l’amuser énormément d’entendre Harpirias répéter ce mot. Mais, quand il voulut essayer une nouvelle fois, elle lui couvrit la bouche de sa main ; dans la seconde qui suivit, elle enserra sa taille de ses cuisses musclées, se campant sur lui, à califourchon, d’une manière qui lui ôta toute envie de poursuivre la conversation.

Ce fut une longue nuit, fort animée et bien plus agréable qu’Harpirias ne l’avait espéré, bien que d’un genre très inhabituel pour un homme accoutumé aux femmes plus raffinées de l’aristocratie de Majipoor. Mais il s’adapta aisément à ses élans fougueux, aux mains qui le labouraient de leurs ongles, au va-et-vient des reins puissants, entrecoupé de grands éclats de rire, à des moments qu’Harpirias trouvait singulièrement mal choisis. Elle semblait insatiable. Harpirias, de son côté, après de longs mois de continence ininterrompue, ne s’en plaignait pas.

Dans le courant de leurs ébats, les fourrures dans lesquelles ils s’étaient enfouis furent projetées sur le côté, mais c’est à peine s’il prit conscience du froid. Enfin – sans qu’il pût dire combien d’heures s’étaient écoulées –, il sombra dans un sommeil profond, un de ces sommeils où l’on tombe comme dans un puits ; quand il en sortit, beaucoup plus tard, il vit qu’elle l’avait recouvert pendant qu’il dormait et s’était retirée de la chambre sans le réveiller.

Il ne pouvait savoir, bien entendu, si un petit prince pour Toikella avait été engendré pendant la nuit. Mais, si leurs efforts n’avaient pas abouti, eh bien, il était tout à fait disposé à faire une nouvelle tentative.

10

Le roi, le lendemain, était d’humeur infiniment plus gracieuse que la veille. Il accueillit Harpirias à son entrée dans la salle du trône en le serrant dans ses bras, avec force démonstrations de joie affectueuse, des sourires et des clins d’œil égrillards, accompagnés de ricanements et de coups de coude qui emplirent Harpirias d’une gêne qu’il avait du mal à cacher. À l’évidence, Toikella avait reçu un rapport détaillé de sa fille et s’en trouvait fort satisfait.

Mais il refusa encore de se laisser entraîner par Harpirias dans des négociations sur des sujets précis. C’était bien, comme l’avait dit Korinaam, quelqu’un qui détestait être bousculé.

Harpirias demanda au Changeforme de présenter une requête formulée avec doigté pour discuter du sort des otages. La réponse de Toikella fut brève et distante, et Harpirias comprit que c’était un refus.

— Il a dit non, n’est-ce pas ? demanda-t-il à Korinaam.

— Le roi tient à vous assurer que tout se passera pour le mieux pour tout ce qui vous tient à cœur, mais il affirme que le moment n’est pas venu d’en parler. Il va organiser une partie de chasse d’ici trois jours et il ne serait pas de bon augure de s’engager dans des affaires d’importance avant son retour.