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Plus tard, nus sur les fourrures, reprenant leur souffle en attendant que la vigueur d’Harpirias lui revienne, elle recommença à parler, doucement, presque tendrement. Des paroles affectueuses, sans doute. Ou bien l’expression de sa reconnaissance pour avoir cédé de si bonne grâce aux exigences de Toikella. Harpirias se sentit mal à l’aise. Il ne voulait pas de sa reconnaissance.

En fait, se dit-il, cette fille est très attirante. Je ne fais pas cela pour rendre service à quelqu’un, mais pour moi-même.

En était-il vraiment ainsi ? Pas réellement, il le savait. Mais il souhaitait de tout cœur que ce fût vrai.

Au beau milieu de la nuit, elle insista pour sortir avec lui sur l’esplanade. L’idée parut farfelue à Harpirias, mais son intention ne faisait aucun doute, car elle se leva, s’habilla et lui tendit ses vêtements en indiquant clairement qu’il devait les mettre, puis elle le prit par la main et le conduisit dehors.

Tout était silencieux. La nuit était claire et froide, avec trois petites lunes au firmament semé d’étoiles brillantes. Elle commença à lui mimer quelque chose, la même succession de gestes qu’elle répéta à plusieurs reprises, montrant d’abord l’escarpement, puis se dressant sur la pointe des pieds, comme pour indiquer ce qu’il y avait derrière, et Harpirias devina petit à petit qu’elle voulait qu’il lui décrive le monde qui se trouvait au-delà de la muraille rocheuse.

Un des balais utilisés par les garçons pour déblayer l’esplanade avait été abandonné à proximité. Harpirias le ramassa et se servit du bout du manche pour tracer sur la neige fraîche une carte de Majipoor, les deux continents principaux côte à côte, l’Ile de la Dame entre eux et Suvrael, le continent désertique, calciné par le soleil, au-dessous.

Comprenait-elle ce qu’il avait dessiné ? Comment le savoir ?

— Voilà où nous sommes, dit-il, en montrant du bout du balai la pointe nord-est de Zimroel et en parlant avec une précision exagérée, comme si cela pouvait l’aider à comprendre. Nous appelons cette région les Marches de Khyntor.

Il lui lança un coup d’œil en coin, pour voir si elle avait enregistré ce nom ; mais son visage ne trahissait qu’une intense curiosité, nulle compréhension. Il forma un bourrelet de neige pour représenter la chaîne de montagnes qui isolait les Marches du reste du continent occidental.

— Ici, reprit-il, il y a la cité de Ni-moya. Grande, grande, grande cité. Beaucoup d’habitants, des millions et des millions.

Il se sentit idiot de lui parler ainsi. Il dessina le Zimr, qui coulait d’ouest en est, à la hauteur du tiers supérieur du continent, et enfonça le manche à balai dans la neige, à l’embouchure du fleuve, pour marquer la cité de Piliplok.

— Un port. Très grand. De nombreux Skandars y vivent.

Harpirias s’efforça de représenter les êtres à quatre bras.

— Skandars, répéta-t-il. Et cette rivière que tu vois là, qui remonte du sud, c’est la Steiche. Les Métamorphes vivent dans cette région, dans la jungle. Mais tu ne peux pas imaginer ce qu’est une jungle, hein ? Très chaud. Une pluie continue. Des arbres énormes. C’est la patrie des Métamorphes. Des gens comme Korinaam. Métamorphes. Korinaam.

Inutile. Ridicule.

Mais elle l’encouragea à poursuivre avec des signes de tête et des sourires avides. Il lui indiqua l’emplacement de plusieurs autres grandes cités de Zimroel, en faisant appel à ses souvenirs d’école. Pidruid, Til-omon et Narabal sur la côte occidentale, Dulorn, à peu près où elle se trouvait, dans les terres, et encore quelques autres. Puis il passa au second grand cercle qu’il avait dessiné, celui qui représentait le continent d’Alhanroel, s’agenouilla dans la neige et écarta les bras pour en rassembler un tas qui représenterait le Mont du Château.

— Voilà où j’habite, dit-il. Une grande, grande montagne, haute comme ça, une gigantesque montagne dressée vers les étoiles, dont les flancs sont couverts de cités. Le Château est au sommet. Château. Le château du Coronal. Coronal. Le roi de la planète. Lord Ambinole, le Coronal de Majipoor.

Il commença à grelotter, par cette belle nuit d’été. Les oreilles et le bout de son nez le brûlaient. Mais il était décidé à ne pas mettre un terme à cette leçon de géographie aussi longtemps qu’il aurait toute l’attention d’Ivla Yevikenik, et elle l’écoutait avec la plus grande attention, le regard fixé sur lui, comme fascinée, extasiée. Harpirias continua d’utiliser le manche du balai pour dessiner le Glayge, coulant près du Labyrinthe du Pontife, pour indiquer l’emplacement des cités d’Alaisor, de Treynone, de Stoien et celui des ruines de pierres de Velalisier, l’antique capitale des Métamorphes. Il aurait continué ainsi jusqu’au lever du jour, nommant tout ce qu’il y avait à nommer, énumérant les Cinquante Cités et bien d’autres choses encore, si, au bout de quelques minutes, elle ne s’était rapprochée de lui pour frotter la joue sur son épaule. Elle en avait assez de la géographie pour cette fois.

— Shabilikat, dit-elle, en l’entraînant vers la chambre.

11

Le sentier menant au terrain de chasse partait juste derrière le palais royal et atteignait en cinq lacets une profonde crevasse latérale dans la paroi rocheuse, invisible du village ; de là, il continuait de s’élever en sinuant, jusqu’à ce qu’apparaisse le sommet de l’abrupt. Ce sentier ressemblait beaucoup à celui qui conduisait à la caverne où étaient retenus les otages, raboteux, rocailleux et étroit, mais pas tout à fait aussi escarpé. Harpirias trouva l’ascension beaucoup moins pénible, malgré la neige des jours précédents, qui n’avait que très peu fondu et rendait la marche plus délicate qu’elle ne l’eût été autrement.

Le groupe des chasseurs était composé de douze hommes. Toikella ouvrait la voie, le grand prêtre Mankhelm à ses côtés, suivi de six robustes villageois portant le matériel et des sortes d’emblèmes sacrés, contenus dans un coffre en bois peint. Harpirias s’était fait accompagner de Korinaam pour lui servir d’interprète et il avait été autorisé à emmener deux des Skandars, probablement comme porteurs, bien qu’ils n’eussent rien à porter.

Cette partie du sommet de l’escarpement était plus haute et irrégulière que celle qu’Harpirias avait vue précédemment. Au lieu de s’achever en une large plate-forme, elle semblait mener à une suite de corniches se succédant vers le nord et formait une sorte de plateau en pente et accidenté, certainement les pâturages des animaux que le roi était venu chasser.

Ils firent une longue halte au sommet de l’à-pic proprement dit, à l’endroit de la rupture de pente, là où la paroi rocheuse cessait de suivre une ligne verticale pour devenir relativement plate, avant d’amorcer sa montée chaotique vers le nord. De cet endroit, le village était encore visible – à peine, loin en contrebas –, mais il échapperait bientôt à la vue.

C’est là que le roi se dépouilla de ses vêtements et se tint immobile et silencieux, nu comme un ver, manifestement insensible au froid, le regard fixé devant lui, tandis que Mankhelm accomplissait une longue suite de rites. Le prêtre disposa solennellement sur le sol des brindilles, des brins d’herbe séchée, de petits bouts de cuir de couleur et y mit le feu ; il fit trois petits tas de cailloux et se pencha pour marmonner des paroles inaudibles ; il ouvrit une cruche de bière, à moins que ce ne fût un alcool plus fort, et aspergea les quatre points cardinaux.