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— Oui. Absolument. Je veux savoir ce qui s’est passé exactement entre ces Piurivars et vous.

— Je vous l’ai dit. Je les ai cherchés pendant deux jours et j’ai fini par trouver leur campement, sur le versant opposé d’un ravin devant lequel je me tenais ; il m’était impossible de me rapprocher d’eux, mais j’ai essayé de leur parler, de l’endroit où je me trouvais ; ils n’ont pas donné l’impression de comprendre un seul mot ; au bout d’un moment, j’ai abandonné la partie et rebroussé chemin.

— C’est tout ?

— Oui, c’est tout.

— Les contours de votre silhouette commencent à osciller, Korinaam. Vous êtes incapable de conserver une forme stable, le savez-vous ? Ce qui m’incite à penser que vous mentez.

— Je les ai retrouvés, répliqua le Métamorphe d’une voix rauque, mais je n’ai pas réussi à communiquer avec eux d’une manière profitable et je suis redescendu au village. C’est tout ce qu’il y a à dire.

— Je n’en crois rien, insista Harpirias. Que s’est-il passé d’autre ?

— Rien. Rien.

L’amorce de transformation qui passa fugitivement sur les traits de Korinaam trahit le trouble qui l’agitait. Il cachait quelque chose, quelque chose qui l’avait bouleversé lors de la rencontre avec ses frères sauvages de la montagne. Pour Harpirias, cela ne faisait aucun doute.

— Voulez-vous que je rappelle le Skandar pour qu’il vous torde un peu le bras ?

— D’accord, lança Korinaam, avec un regard malveillant. Il s’est passé autre chose.

— Je vous écoute.

— Ils m’ont lancé des pierres, poursuivit le Changeforme d’une voix rauque, où perçait l’amertume.

— J’avoue que cela ne m’étonne pas.

— Je leur ai expliqué qui j’étais. Quand j’ai vu qu’ils ne me comprenaient pas, je leur ai montré que j’étais un des leurs en me transformant pour eux. Et ils… ils m’ont lancé des pierres.

L’instant d’hésitation de Korinaam éveilla l’intérêt d’Harpirias.

— C’est tout ce qu’ils ont fait ? Lancé des pierres ? Nouveaux frémissements, nouvelles oscillations.

— Dites-le-moi, Korinaam. Il faut que je sache à quel genre de créatures nous avons affaire.

Le Changeforme se mit à trembler. Les mots jaillirent de sa bouche dans un élan de fureur.

— Ils ont aussi craché vers moi. Et puis, ils m’ont lancé leurs… leurs excréments. Ils les ont pris dans leurs mains et les ont balancés par-dessus le ravin. Ils dansaient en même temps et hurlaient comme des fous. Comme des démons. Ce sont des êtres répugnants. Pires que des sauvages ! Ce sont des animaux.

— Je vois.

— Maintenant, vous savez tout. Voulez-vous me laisser seul, prince ?

— Encore un instant, fit Harpirias. Dites-moi d’abord ceci : allez-vous faire une autre tentative pour communiquer avec eux ?

— Soyez assuré que je n’en ai nullement l’intention.

— Pour quelle raison ?

— Ne soyez pas stupide, prince. Vous ne comprenez donc pas des mots simples ? Ce que j’ai vu là-haut était proprement dégoûtant. C’était affreux d’être près d’eux… de les regarder sauter comme des animaux… d’entendre leurs cris révoltants… de me dire qu’ils étaient de sang Piurivar… que nous étions, eux et moi…

— Je comprends tout cela, Korinaam, fit doucement Harpirias. Mais si je vous demandais quand même de retourner les voir, le feriez-vous ?

Korinaam garda le silence un moment.

— Si vous m’en donniez l’ordre, oui.

— Seulement si je le présente comme un ordre ?

— Je n’ai aucune envie de revoir ces créatures, absolument aucune. Mais je sais parfaitement que je suis au service du Coronal, dont vous êtes le représentant, prince, et qu’il ne m’est pas possible de désobéir à un ordre formel. Tenez-le pour assuré.

Le Changeforme s’inclina profondément devant Harpirias, en signe de déférence grossièrement outré.

— Je n’ai pas envie que l’on recommence à me tordre le bras, ajouta-t-il.

— Je regrette que cela ait été nécessaire, Korinaam.

— Je ne doute pas de votre sincérité. Cela a dû être extrêmement désagréable pour vous. Et tout à fait déplaisant pour le Skandar aussi, j’imagine.

— Je vous ai dit que je regrettais. Par le Divin, Korinaam, voulez-vous que je me jette à vos pieds pour implorer votre pardon ? Vous étiez insupportablement évasif. Sans parler de votre acte d’insubordination. Je devais savoir où vous étiez parti et pourquoi. Suffit, maintenant, poursuivit Harpirias, en le congédiant d’un petit geste impatient. Vous pouvez vous retirer. Mais, à l’avenir, ne faites pas un seul pas hors du périmètre du village sans mon autorisation. Est-ce clair ?

— Où voudriez-vous que j’aille ? demanda le Changeforme en se frottant le bras.

Quand il fut sorti, Harpirias rappela Eskenazo Marabaud dans sa chambre et lui donna l’ordre de surveiller tous les mouvements de Korinaam.

— La jeune femme est là, annonça le Skandar. Celle qui vient vous rejoindre la nuit.

Harpirias crut percevoir une désapprobation discrète dans sa voix. Étonnant de la part d’un Skandar !

— Faites-la entrer, dit-il.

15

Il fut tiré en pleine nuit d’un sommeil profond et bienfaisant par des bruits sourds et des cris de colère, suivis d’un hurlement prolongé, à glacer le sang. Il lui fallut quelques secondes, peut-être un peu plus, pour comprendre qu’il ne rêvait pas. Pendant qu’il s’efforçait de se réveiller complètement, un autre cri retentit, suivi d’un troisième, et Harpirias reconnut la voix de Korinaam, qui appelait à l’aide.

Il s’extirpa de la pile de fourrures. Encore endormie, Ivla Yevikenik s’accrocha à lui et essaya de le tirer en arrière, mais Harpirias se dégagea. Il s’habilla précipitamment et s’élança dans le couloir. Un souffle d’air glacial le frappa aussitôt : la porte d’entrée de la construction était entrouverte. Il regarda dans la chambre de Korinaam. Vide. Il y avait des traces de lutte. Harpirias entendit le Changeforme hurler, des cris aigus où se mêlaient la fureur et la panique. Il sortit en courant.

Une scène étonnante se déroulait devant la maison de glace.

Deux robustes guerriers Othinor entraînaient le Métamorphe qui se débattait en hurlant et en lançant des coups de pied, vers l’autel de pierre, où le roi Toikella, le grand prêtre et les notables de la tribu attendaient en cercle, le visage fermé. Le roi, emmitouflé de pied en cap dans d’épaisses fourrures de haigus noir, étreignait à deux mains la poignée d’une épée gigantesque dont la pointe était fichée dans le sol gelé.

Huit ou dix Skandars étaient aussi rassemblés sur l’esplanade. Ils avaient dû sortir en entendant les appels au secours de Korinaam, et suivaient le Changeforme en hésitant. Leurs lanceurs d’énergie étaient en position de tir, mais ils répugnaient manifestement à faire usage de leurs armes sans en avoir reçu l’ordre d’Harpirias.

Harpirias se porta à leur hauteur et demanda à Eskenazo Marabaud ce qui se passait.

— Ils vont le tuer, prince.

— Comment ? Pourquoi ?

Mais le Skandar haussa les épaules en signe d’ignorance.

Korinaam était arrivé devant l’autel et les guerriers l’avaient jeté sur la dalle de pierre. Bras et jambes écartés, tremblant de peur, son corps passait par toute une série de formes, apparemment dépourvue d’ordre, avec une rapidité déroutante, d’une bizarre et fugace silhouette animale à une inquiétante apparence humaine, avant de revenir à sa silhouette de Métamorphe, mais terriblement déformée, presque impossible à reconnaître. Plusieurs Othinor, agenouillés autour de l’autel, le tenaient fermement. À l’évidence, ils étaient surpris par la suite ininterrompue de transformations, mais ils maintenaient courageusement leur étreinte. Deux d’entre eux semblaient être en train de passer des cordes autour des membres de Korinaam et de les fixer à des pieux plantés autour de l’autel.