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— Non, déclara Harpirias. Il n’est pas l’allié des Eililylal. Il est l’ennemi des Eililylal. Dis-le au roi.

Le front plissé, elle l’interrogea du regard. Il répéta ce qu’il venait de dire, lentement, accompagnant ses paroles de gestes. Il y eut un autre long échange d’arguments entre Ivla Yevikenik et le roi, trop rapide et à voix trop basse pour qu’Harpirias pût en saisir le sens. Il reconnut le mot « Eililylal », prononcé à maintes reprises. À un moment, le roi saisit la poignée de son épée et la secoua furieusement.

— Je pourrais vous trancher la gorge moi-même, dit Harpirias à Korinaam. Regardez dans quel pétrin vous nous avez mis ! Traduisez-moi ce qu’ils disent. Vont-ils vous tuer ou non ?

Le Changeforme, qui s’était relevé et se tenait près de l’autel, le corps parcouru de frissons, semblait s’être en partie remis de sa terreur.

— Le roi me laissera la vie sauve, dit-il d’une voix tremblante, mal assurée. Mais je vais être expulsé du village séance tenante.

— Quoi ? Quoi ? Par le Divin…

— Pour ce qui vous concerne, vous aurez la permission de rester. Les négociations se poursuivront.

— Sans interprète ? Et qui nous raccompagnera jusqu’à Ni-moya, quand tout sera terminé ? Oh ! non, non, Korinaam, il n’est pas question de vous laisser expulser du village !

Une idée commençait à germer dans l’esprit d’Harpirias. Il lâcha Ivla Yevikenik, s’avança vers le Métamorphe et saisit à pleine main l’étoffe lâche de son col.

— Ce que vous allez faire, à la place, c’est retourner là-haut et trouver les Eililylal, à qui vous ordonnerez de se retirer. Et pour que ce soit bien clair, faites appel à la magie Piurivar que vous maîtrisez.

— Que dites-vous ? demanda Korinaam, l’air horrifié. De la magie ? Je ne suis pas magicien, prince ! Je suis simplement quelqu’un qui guide les voyageurs qui désirent voir le Grand Nord. Trouvez-vous donc un petit Vroon, si c’est la sorcellerie que vous avez en tête. Et, pour ce qui est de donner des ordres à ces créatures… Comment croyez-vous que je pourrais faire cela ?

— Vous le ferez, c’est tout, et maintenant, n’en parlons plus.

Harpirias lâcha le col de Korinaam et l’écarta d’une poussée.

— Dis à ton père, reprit-il en se tournant vers Ivla Yevikenik, que je lui propose nos services pour débarrasser votre royaume des Eililylal. As-tu compris ? Eililylal… dehors. Nous le ferons ! Korinaam et moi, avec mes soldats ! Oui ? Plus d’Eililylal. Je le jure solennellement. Mais j’ai besoin du soutien de Korinaam. J’en ai grand besoin. Dis-lui tout ça !

La jeune fille sourit, se tourna vers son père, commença à parler.

— Que leur promettez-vous, prince ? s’écria Korinaam, le visage déformé par l’angoisse et le désespoir.

— Mon idée est la suivante, répondit Harpirias. Je vais vous l’expliquer et, ensuite, si vous avez réussi à rassembler vos esprits, vous l’expliquerez au roi pour moi. Je veux que vous vous avanciez vers lui pour lui faire savoir que vous êtes un puissant sorcier et que vous consacrerez pour lui toutes vos énergies et tous vos pouvoirs à chasser de ces montagnes les Changeformes sauvages que vous méprisez et haïssez. Est-ce bien clair ? Dites-lui que l’armée du Coronal, seigneur de Majipoor, conduite par moi-même, se mettra en route dès demain matin vers les sommets et fera une grande démonstration de force pour impressionner les Eililylal, pendant que vous ferez agir votre magie ; en contrepartie, lorsque les Eililylal auront été définitivement chassés, le roi libérera les otages et nous quitterons son village, et tout le monde sera content. Dites-lui cela, Korinaam.

— Prince, au sujet de ces incantations…

— Dites-lui ce que je vous demande de lui dire, lança Harpirias d’un ton menaçant. Mot pour mot, comme je viens de l’exprimer. Ivla Yevikenik écoutera et elle me rendra compte de l’exactitude de votre traduction. Si vous essayez de tricher, Korinaam, plus rien ne pourra vous sauver. Je dirai au roi que je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il vous attache de nouveau sur cet autel pour vous trancher la gorge et je l’aiderai moi-même à serrer les liens. Est-ce bien compris, Korinaam ? Est-ce bien compris ?

— Oui, prince. C’est compris.

— Parfait. Je vous laisse la parole.

16

Trouver les Eililylal fut, bien entendu, plus facile à dire qu’à faire. Il fallut trois jours, trois désagréables journées de marche en tous sens sur les hauteurs, avec le vent du nord qui soufflait sans relâche ou presque et des chutes de neige en flocons épars qui rappelaient à Harpirias que le bref été Othinor touchait déjà à sa fin.

Il eut plus d’une fois l’impression que leur plan allait se solder par un échec. Un corps expéditionnaire imposant avait été formé : d’une part, Korinaam et Harpirias, accompagnés de tous leurs soldats Skandars et Ghayrogs, d’autre part le roi Toikella, le grand prêtre Mankhelm et trente à quarante guerriers de la tribu. Dans cette région à la population si clairsemée, cela constituait une armée énorme. Observant des hauteurs la troupe qui quittait le village et gravissait les sentiers escarpés de la paroi rocheuse, les Eililylal avaient dû prudemment tourner les talons et regagner précipitamment leur territoire du Grand Nord, jusqu’à ce que le danger soit passé et qu’ils puissent revenir aux abords du village Othinor.

Mais Harpirias comptait sur deux facteurs qui, il l’espérait, joueraient en sa faveur. Le premier était le sort cruel que les Changeformes sauvages avaient fait subir aux hajbaraks royaux. Il avait dans l’idée que la mise à mort des deux premiers dont ils avaient précipité les cadavres du haut de l’à-pic n’était que le prélude à une action hostile de grande envergure. Comme aucune opération n’avait été déclenchée, ils devaient encore se trouver dans les parages.

L’autre élément était la malveillance propre aux Eililylal : leur goût évident pour le harcèlement, leur empressement à massacrer les animaux sacrés et à les précipiter dans le vide, ou à se mettre à danser et à sauter d’une manière obscène sur une corniche inaccessible, quand le roi quittait le village pour partir à leur recherche, ou encore la réception qu’ils avaient réservée à Korinaam. Le déploiement de cette force imposante, avec la multitude de guerriers Othinor en armes et la troupe de Skandars balourds, pouvait les inciter à se découvrir pour narguer l’ennemi un peu plus méchamment. C’est ce qui se produisit.

Ils se montrèrent enfin, alors qu’Harpirias avait presque abandonné tout espoir de les trouver et que le roi Toikella commençait à regarder Korinaam d’une manière inquiétante. C’est Mankhelm qui les vit le premier. Le grand prêtre émacié s’était écarté du sentier pour accomplir dans la solitude quelque rite matinal sur une saillie dominant un petit ravin ; soudain, il revint en courant à toutes jambes, ses rubans sacrés et ses étuis de poudres magiques dans une main, faisant de l’autre des signes frénétiques et hurlant à pleins poumons.