Enfin le retour au pays ! Le retour vers la chaleur du monde civilisé et – peut-être – la résurrection de sa carrière interrompue sur le Mont du Château. Il avait accompli la tâche pour laquelle on l’avait envoyé ici ; qui mieux est, il avait eu sa grande aventure et possédait un stock d’histoires pour toute une vie, des histoires que le Coronal aurait plaisir à écouter, et tous les autres aussi. Oui, retourner au pays pour raconter ces histoires, pour y prendre un vrai bain, pour y faire un vrai repas, des huîtres, du poisson épicé, de la poitrine de sekkimaund ou une cuisse de bilantoon, le tout arrosé de vin fort et capiteux de Muldemar, ou de vin rubis de Bannikanniklole, ou de vin doré de Piliplok, ou de vin gris argenté d’Amblemorn, peut-être les quatre à la suite… Avec une beauté aux yeux clairs, aux pommettes saillantes, aux sourcils bien dessinés qui lui tiendrait compagnie pour la nuit…, ou même – pourquoi pas ? – deux ou trois…
Mais Harpirias savait que le pays des Othinor laisserait dans son âme une empreinte indélébile. Il ne faisait aucun doute qu’il lui arriverait souvent, quand il serait de retour chez lui, de rêver du pays des Othinor. Des images du royaume de glace s’insinueraient dans son esprit, la salle de banquet enfumée du roi Toikella, les bonds et les quolibets des Eililylal sur les hauteurs : cela, il le savait. Et la jeune fille aux cheveux lustrés, à la lèvre supérieure percée d’un éclat d’os taillé, qui s’était glissée dans sa chambre pour lui tenir chaud au long des nuits glaciales : elle aussi viendrait à lui dans son sommeil.
Oui. Oui. Tout cela et bien d’autres choses encore : Harpirias en avait la certitude. Jamais il n’oublierait ce royaume.
— Tout est chargé, prince, lui cria Eskenazo Marabaud. Le soleil va se lever. Allons-nous nous mettre en route ?
— Un moment, répondit Harpirias.
Il s’engagea dans l’étroite fente triangulaire qui s’ouvrait dans le flanc de la montagne et constituait le seul accès au territoire du roi Toikella. Le village de glace luisait faiblement à la clarté nacrée de l’aube. Harpirias laissa son regard errer sur les façades luisantes ornées d’entrelacs brillants.
Une petite silhouette se tenait devant la maison où il avait pris ses quartiers. À cette distance, il était difficile de la voir avec netteté, mais Harpirias se la représentait fort bien en imagination. Sale et dépenaillée, avec ses fourrures assemblées au petit bonheur, c’était celle qui portait peut-être son enfant Othinor. Elle agita la main, d’abord en hésitant, puis avec plus d’ardeur, un geste où se mêlaient à l’évidence tendresse et regret.
Il la regarda longuement. Puis il lui fit, à son tour, un signe de la main, se retourna et rebroussa chemin par l’étroit passage, en direction de son flotteur, pour commencer le long voyage qui le ramènerait chez lui.
FIN DU TOME IV
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