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— Je sais pas quand il repassera. Mais je sais où ils seront dans une heure, lui et sa greluche.

— Hein ?

— Je les ai entendus parler, tous les deux. Au passage j’ai chopé deux ou trois mots, comme ça, par curiosité, rien que pour entendre sa voix à elle, je pensais qu’elle était sourde et muette. Sa bouche, elle s’en sert que pour lui lécher la pomme, à l’autre.

Il me fait signe de retourner au comptoir, tels que nous étions il y a trois minutes. Sans rien demander il me sert un nouveau demi, quand le précédent est à peine entamé. Une crise subite d’amabilité qui ne me dit rien qui vaille.

— Tu le cherches et t’es pressé. T’es pas un pote à lui. Ça me regarde pas. Je peux te refiler le tuyau, mais ça se paye.

— Combien ?

— Tes thunes tu peux te les garder.

— Alors ?

Alors, il jette une œillade furtive vers son pote Pierrot, se baisse sous le comptoir. Se redresse avec un sourire et un superbe paquet cadeau en main. Un gros cube dans du papier brillant violet, avec un nœud jaune. Pas peu fier, le taulier. Son pote siffle un grand coup.

— J’en connais un qui va être content, la vache…

Deux ou trois lazzi fusent dans le bar, quelqu’un applaudit. Je me demande où on m’embarque.

— Ton prénom c’est quoi ?

— Antoine.

— Bon ! ben Antoine, je te la fais courte. Ce soir c’est l’anniversaire d’un pote qui tient un bar dans la rue Montmartre. On y a pensé en dernière minute, Pierrot et moi. Je peux pas quitter mon rade, et ça tombe mal pour Pierrot qu’attend son rencard. Tu me suis ?

À peine. Je sens juste venir l’embrouille.

— 17 rue Montmartre, tu demandes Fredo, de la part de Michel et Pierrot du H.L.M. En sortant tu me passes un coup de fil et je te dis où est ton gars.

— Qu’est-ce qu’il y a, dans ce paquet ?

— Une farce. Comme c’est un gros calibre, le Fredo, on lui a offert… J’ose pas le dire… Ah ! non c’est trop… Et tu peux pas comprendre, c’est un joke entre nous.

— J’aimerais bien rire aussi.

— On lui dit, Pierrot ? C’est un écureuil empaillé. J’l’ai acheté c’t’aprèm’ chez un taxidermiste. Six cents balles, je me fous pas de sa gueule.

— On peut le voir ?

— J’vais pas défaire le paquet, tu me fais confiance ou tu te casses, O.K. ?

— Qu’est-ce qui me dit que c’est pas un autre genre de farce. Un gros sachet de lactose qui viendrait de Thaïlande et qui coûterait plus cher à convoyer que de la vraie lactose.

— Tu nous prends pour des branques ? Si j’avais un kilo d’héro là d’dans tu crois vraiment que je le refilerais au premier venu ? Réfléchis.

C’est vraisemblable. Mais dès que j’entends « paquet mystérieux à balader de bar en bar », je me méfie.

— Et qu’est-ce qui me prouve que tu sais où est Jordan ?

— Rien.

Au moins c’est clair. Mais seulement voilà : retourner à la case départ ou jouer cette carte à la con ?

— À toi de voir.

— Je prends.

Et dans tous les sens du terme, sans y réfléchir plus longtemps je saisis le paquet. Quand on se noie, autant se raccrocher à une planche pourrie qu’à rien du tout. Avant de me donner son numéro de téléphone, le taulier me regarde droit dans les yeux.

— Et sois bien sûr d’un truc, si t’as balancé le paquet dans le caniveau, je le saurai quand tu m’appelleras… O.K. ?

Je sors sans répondre et prends une grosse bouffée d’air quasi pur. Je cherche un taxi vers la rue Saint-Denis. J’ai l’air d’un con, avec ce machin sous le bras. Les gens me regardent. Il faut que je passe à la vitesse supérieure. J’ai l’impression d’être un abruti qui va faire une demande en mariage. Et qui se presse, des fois que la mariée se tire. Je grimpe dans une Renault Espace et donne l’adresse au chauffeur.

— C’est pour votre fiancée, le paquet ?

— Non, je vais faire sauter la Caisse des Dépôts et Consignations.

Pendant le reste de la course, je l’ai invectivé plus d’une fois, il a pris tous les feux orange des grands boulevards.

Il m’a laissé au début de la rue Montmartre. Faudrait voir à ne pas me prendre pour un con. Tout le monde regarde le paquet. Faire vite. Dans un volume pareil on pourrait faire entrer un tas de trucs, et pas que des choses qui sentent le bon goût et le cadeau d’anniversaire : un pain de plastique avec minuterie, la tête d’un ennemi mortel, un tupperware de merde de chien, un Uzi chargé. Mais ça ne sent rien, ça ne pèse pas lourd, ça ne fait pas tic-tac, et je me demande si ma parano a une quelconque raison d’être. Je repère l’enseigne du rade : Chez Fred. Des Harley sont garées, en enfilade, devant. Je n’aime pas ça. Boulot de con. Plus vite. En forçant un peu sur le gros nœud jaune, je pourrais dépiauter le papier sans le déchirer. Qui le saurait ? Et quelle importance, d’ailleurs. On s’en fout. Faut pas me prendre pour un con. C’est pas moi qu’on va entuber avec cette histoire d’écureuil. Je ne sais pas si c’est la trouille, l’énervement ou quoi, mais mes mains ont précédé ma pensée, elles ont fait glisser le nœud et déchiré les pliures du papier. Après tout, rien à foutre. Comment résister à ce qui est caché ? Comment laisser son imagination aller au devant des pires cas de figure, sans rien faire, quand on a sous le bras un truc qui vous agresse les yeux, qui vous nargue. Tout le monde me regarde, les marchands de couscous, les portiers du Palace qui me connaissent, les clients qui patientent, ils veulent savoir quel diablotin va sortir de la boîte et s’il va me péter à la gueule. J’ouvre.

J’ai d’abord cru qu’il allait me mordre. Le flux d’adrénaline m’a fait frissonner tout le corps. Mais le bestiau, toutes dents dehors, rivé à son socle, ne m’a pas sauté à la gorge. Il paraît que c’est craintif, les écureuils. Je lui ai caressé la tête, soulagé, et l’ai enrubanné tant bien que mal dans le papier brillant.

À quelques mètres du bar, j’ai vu un type assis sur le trottoir. Je l’ai pris pour un clodo jusqu’à ce que je voie son nez qui pissait le sang en silence. Un grand mec, bras croisés dans l’entrebâillement de la porte de Chez Fred, le regarde en se foutant de sa gueule. Il m’a toisé de pied en cap, moi et mon petit costume sans âge et sans âme. Il s’est écarté pour me laisser passer, surpris. En fait, ce n’est pas moi qu’il a laissé passer mais le paquet cadeau. J’ai d’abord pensé à un videur, pour m’apercevoir très vite, à l’intérieur, que l’endroit n’en avait pas besoin.

Magnifique bar. Des néons bleus, un comptoir en bois qui serpente tout le long de la salle jusqu’aux tables de billard. Un parquet, nickel et vitrifié de fraîche date. Des boiseries un peu partout. Le genre qui inspire confiance. S’il n’y avait pas eu le public. Toute une bande de mecs fondus dans le même bronze, des matafs silencieux, barbus pour la plupart, pétris d’ennui, cuirassés et bottés, bagousés façon poing américain, une chevalière gravée à chaque doigt. D’habitude ils vont par deux ou trois, où qu’on aille dans la nuit. Bertrand et moi, on les contourne poliment si on monte le même escalier, au besoin on leur retient la porte si on les croise aux toilettes, et on passe notre chemin. Mais là, j’ai bien l’impression d’être tombé dans un nid, un club auquel on ne me demandera jamais d’adhérer. Des bikers purs et durs, mi-hommes mi-cylindres, ceux qui ont, eux, toutes les raisons du monde de porter un perfecto. Sans le paquet que j’ai sous le bras je me sentirais à poil, au milieu de ces mecs. Il y a deux minutes il m’angoissait, maintenant il me rassure, c’est ce que j’aime dans la nuit : tout y est à vitesse variable. Autre détail rassurant, une espèce de pièce montée à la crème au beurre, à peine entamée, avec des bougies et un naja à la langue fourchue au sommet, là où on trouve en général une gentille figurine de communiant. Et j’avance avec un sourire de faux cul vers celui qui a le plus de chances de s’appeler Fred. Réflexion faite, ils peuvent tous s’appeler Fred. Je bafouille quelques mots, anniversaire, cadeau, H.L.M. Je ne sais pas lequel des trois l’a le plus énervé, mais, toujours sans prononcer un mot, il m’a arraché le paquet des mains sans le plus petit merci. Tout le groupe m’a entouré. Sueur, chaleur. Tout ça en un battement de cils. Sans savoir pourquoi, j’ai repensé à ce mec, dehors, une main sur son nez gluant.