— Ah… Et c’est là que tu as décidé de me tuer ? Aurais-je oublié de te saluer ? Ou… est-ce parce que ma collègue n’a pas retrouvé ta bagnole ?!
Elle effleure son cou, descend doucement tout en le fixant.
Il ne bronche pas. Ça lui procure une agréable sensation de chaleur. Curieux.
— Tu es froid comme la mort, Benoît… Mais je te préfère sans barbe. J’ai horreur des mecs mal rasés !
— File-moi un rasoir et je te promets de remédier à ça !
— Je vais y réfléchir.
— J’ai droit à mon café ?
Elle a toujours une main sur lui, il a envie de lui briser les doigts. Ou de la dévorer. La fringale, sans doute, qui continue à le tenailler. Envie d’autre chose, aussi. Inexplicable attirance.
Lydia prend la tasse, la lui donne. Elle est vide.
— Bonne journée, chéri !
Réunion de crise au commissariat. Le capitaine Djamila Fashani mène la danse. Ils font le point sur leurs investigations.
— Qu’a donné l’enquête de voisinage, lieutenant Thoraize ? demande-t-elle d’un ton autoritaire.
Éric Thoraize, un des fidèles acolytes du commandant Lorand. Son adjoint le plus précieux. Et surtout, son ami intime.
— Rien du tout, résume-t-il. Rien d’intéressant… Des potins de quartier, guère plus !
— Vous avez pu interroger tout le monde ? s’inquiète Fabre. Vous êtes certains de n’avoir négligé personne ?
Thoraize le toise froidement. Il croit qu’il va nous apprendre notre métier, celui-là ?! Il nous prend pour des débutants ?
— Oui, commandant, tout le monde, rétorque-t-il courtoisement. Enfin presque tout le monde…
— Comment ça, presque ?
Le lieutenant est ravi : monsieur je sais tout vient de tomber dans le panneau.
— Il y a une mamie qu’on n’a pas pu interroger, précise-t-il sous le regard amusé de ses équipiers. La voisine directe des Lorand… Mais c’est parce qu’elle est à l’hosto !
— Qu’attendez-vous pour aller la voir ?! insiste le Parisien.
— Vous savez, commandant, la dame est en réanimation, en train de casser sa pipe ! Et elle a été admise aux urgences bien avant la disparition de Ben ! Mais si vous y tenez, je peux toujours aller au service des soins intensifs, tenter de la réveiller et la cuisiner pour savoir ce qu’elle a fait du commandant Lorand ! Peut-être que je serai plus efficace que les toubibs !!
Fabre se renfrogne et Djamila reprend bien vite les rênes.
— Bon, parmi les ex-taulards fraîchement libérés, pas grand-chose pour le moment, mais on continue à creuser dans ce sens… On va scinder l’équipe en deux. La moitié d’entre nous épluche ce qui concerne la carrière de Lorand. Vous me déterrez toutes les affaires qu’il a traitées depuis deux ans. Toutes, même les plus banales… L’autre moitié se charge de décortiquer sa vie privée.
Thoraize se permet de lui couper la parole.
— On ne va pas fouiller dans son intimité quand même !
— Vous voulez qu’on le retrouve, oui ou non ? réplique le capitaine. Si vous croyez que ça m’amuse !… Il faut découvrir s’il a des ennemis, s’il a trempé dans des trucs un peu louches. Il me faut aussi un topo sur ses maîtresses, depuis disons… un an.
Les hommes de Lorand échangent des regards ébahis.
— Ses maîtresses ?! lance Thoraize.
— Ça va, lieutenant ! Vous commencez à m’emmerder ! Nous savons tous ici que Lorand les collectionne !
— Ah oui ? Et… Doit-on aussi vous interroger à ce sujet, capitaine ?!
Elle le fusille à distance, tandis que Fabre écarquille les yeux.
— Si vous avez du temps à perdre, pourquoi pas, lieutenant !
Il consent à se taire, satisfait de l’avoir mouchée en public. Djamila termine son exposé, un peu déstabilisée.
— Bon, je crois qu’on a fait le tour… Exécution, messieurs !
Les gars s’éparpillent dans les couloirs. Le Parisien allume une clope.
— Vous ne m’aviez pas dit que Lorand était votre amant, capitaine…
— Avait été, rectifie Djamila avec humeur.
— Combien de temps ?
— Qu’est-ce que ça peut foutre ?
— Simple vérification…
— Vous croyez que c’est moi qui ai buté Lorand ?!
— Comment savez-vous qu’il a été buté ?
Quelques secondes de silence. Djamila quitte la pièce, Fabre sur ses talons.
— Vous me gonflez avec vos insinuations à la con ! braille-t-elle.
— Excusez-moi, mais vous n’auriez pas dû me cacher cette information… Surtout que tout le monde a l’air au courant !
Djamila se retourne, armée jusqu’aux dents.
— Ça a duré une nuit ou deux, commandant. Et ce salaud a dû s’en vanter auprès de ses potes, apparemment. Ça vous va, comme réponse ?
— Vous semblez beaucoup lui en vouloir…
S’il savait à quel point !
— Pas le moins du monde ! prétend la jeune femme. C’est sa façon d’agir avec les nanas, de toute façon… un petit coup et puis s’en va ! Et le lendemain matin, un bouquet de fleurs et une carte de rupture !
Fabre sourit.
— Je vois le genre ! Je parie qu’il écrit un truc du style on a fait une bêtise, je suis marié, blablabla !
— Exact ! Vous voyez, vous le connaissez aussi bien que moi !
— Et… vous le croyez capable de faire tourner la tête à une femme ?
— Tourner la tête ? Qu’entendez-vous par là ?
— Ben… Vous pensez qu’une femme, après une nuit ou deux avec lui, peut tomber amoureuse au point de…
— De le tuer ?!
— Ou de quitter son conjoint.
— Je sais pas, moi… Il n’a rien d’extraordinaire !
— N’empêche que la piste du mari trompé me semble très intéressante… Vous êtes mariée, Djamila ?
Elle lui collerait volontiers une mandale. Histoire qu’il ravale son sourire suffisant. Elle se contient, tant bien que mal.
— Non, monsieur le policier. Je suis célibataire ! Mais si vous vous renseignez à des fins personnelles, sachez que vous n’êtes pas du tout mon genre… Vous avez dépassé la date de péremption depuis longtemps !
Il recule prestement, évitant de justesse de recevoir la porte des toilettes pour dames en pleine tête.
Lutter contre le froid demande beaucoup de calories. Mais sans nourriture, plus de calories. Épreuve redoutable dont Benoît fait la cruelle expérience.
Le soleil ne s’est pas attardé dans la cellule. Une obole de dix minutes, tout au plus.
Il s’oblige à boire quelques gorgées d’eau au lavabo. Instinct de survie. Depuis ce matin, le vertige le saisit dès qu’il quitte la position assise.
Encore quelques jours, peut-être quelques heures, et il aura vraiment du mal à se lever.
Lorsqu’il entend la porte grincer, il ferme les yeux.
Sa persécutrice revient. Quel jeu va-t-elle inventer, cette fois ?
Elle va l’obliger à lui lécher les pieds sous la menace du revolver ? Tout lui semble possible à présent.
Elle se faufile, ombre dans l’ombre. L’observe quelques minutes, protégée par son tchador d’obscurité. Puis enfin, elle s’approche à visage découvert.
— Ça ne va pas fort, on dirait !
— Non, pas trop…
— Tu es fatigué, Benoît ?
— Oui…
Elle passe les vêtements propres de son côté, il n’en croit pas ses yeux.
— Jean, chemise, pull… Caleçon, chaussettes… Je n’oublie rien ? Ah si… La couverture… Et puis voilà ta trousse de toilette aussi… Tu vas pouvoir ressembler à quelqu’un, à nouveau.