— Encore ces menaces ?… Bientôt, je n’entendrai plus que des suppliques ! Tu n’as même plus la force de te lever, on dirait…
— Il me reste assez de force, t’inquiète ! Mais je suis si bien sur ma couverture !
— Au fait, je t’ai apporté quelque chose à manger… Il a un bref moment d’espoir. Non, ne rêve pas, Ben…
C’est juste une torture de plus.
Elle prend un sachet plastique qu’elle avait posé sur la chaise, en sort un sandwich sous cellophane. Il salive, presque malgré lui.
— Tu le veux ?
— Je dois faire quoi ? La danse des canards ?! Ou marcher sur les mains, peut-être…
— Ce serait divertissant, mais… Trouve mieux que ça !
Elle s’assoit, le présent sur ses genoux.
— À toi de deviner ce qui me ferait plaisir.
Elle mord à pleines dents dans le jambon beurre. L’estomac de Benoît se tord de douleur et d’envie. Au moins, il est maintenant certain que la bouffe n’est pas empoisonnée.
— Succulent… Je t’assure !
Son cerveau se met à bouillir. Que souhaite-t-elle ?
— Tu désires peut-être que je te raconte ma vie ? Ou… Que je m’excuse d’avoir trompé ma femme ?
— Ta vie, je la connais… Tes infidélités, je m’en fous ! Deuxième bouchée. Sa ration diminue.
— Tu veux que je te flatte ?! Que je te dise que tu es jolie ?
Elle hausse les épaules. Troisième bouchée.
— Tu aimerais que je te supplie, c’est ça ?
— Essaie toujours…
Il se tait. Quatrième bouchée.
Déconne pas, Ben. Qu’est-ce t’en as à foutre de supplier ? Si ça te permet de rester en vie… Peut-être que ce sera la seule occasion de manger pendant des jours et des jours.
Cinquième bouchée.
Ça ne vient pas. Ça reste coincé. Il a les yeux rivés sur le précieux sandwich qui disparaît progressivement dans le gosier ennemi. Il fait un effort, marche jusqu’à la grille.
Elle va mordre une fois encore.
— Attends !
Elle sourit.
— Lydia… S’il te plaît…
Sixième bouchée. Évidemment, s’il te plaît, ce n’est pas assez.
— Lydia, je t’en prie !
Ses yeux pétillent d’une joie un rien obscène. Septième bouchée. Il ne reste pas grand-chose. On dirait qu’elle se force à l’avaler au plus vite.
— Putain ! hurle soudain Benoît. Je vois même pas pourquoi j’essaie ! Tu ne me fileras rien de toute façon ! T’es qu’une tarée ! Une putain de tarée !
— T’énerve pas comme ça, Ben… Tu gaspilles tes forces, je t’assure !
Elle lui tend ce qui reste du sandwich. Il hésite quelques secondes.
— Vas-y, prends… Tu l’as bien mérité ! Après tous ces efforts…
Il a envie de lui cracher à la gueule. Mais la faim est décidément trop forte.
Il lui arrache le pain des mains, recule jusqu’au mur, se rassoit sur la couverture et attaque son maigre repas. Il a tellement faim qu’il en oublie presque de mâcher. Deux bouchées, pas plus. Mieux que rien.
Elle le mate toujours. Il a l’impression d’être dans un zoo. Bientôt, elle lui jettera des cacahuètes ! Son regard posé sur lui devient intolérable. Il ne peut même pas fuir, même pas se planquer. Obligé de subir.
Ces yeux de félin qui l’inspectent, le sondent. Pénètrent jusqu’à son âme. Qui brûlent sa peau, l’écorchent vif.
Il pivote face au soupirail, tentant d’ignorer le monstre qui guette sa déchéance, à quelques mètres de là.
— Ça te gêne, que je t’observe, Benoît ?
N’ayant plus rien à obtenir, il n’a plus de raison de lui répondre.
— Tu veux que je vienne te réchauffer ?
Là, il tourne la tête. Qu’est-ce qu’elle manigance, encore ? Un lance-flammes, peut-être…
Lydia longe la cage pour se poster derrière lui. Elle tient quelque chose dans les mains.
Une paire de menottes. Sa paire de menottes.
Pratique, il lui a fourni le package complet ! Flingue, menottes…
Il fixe les bracelets, hébété.
— Approche-toi… Viens un peu par ici !
Ça sent le roussi. Lui qui pensait pouvoir dormir un peu, cette nuit. C’est mal barré.
Elle brandit le revolver, juste après. Il s’y attendait.
— Allez, viens t’asseoir ici, Benoît…
— Qu’est-ce que tu vas me faire ?
Il n’a pas su masquer son angoisse, dans cette simple question.
— Amène-toi, Benoît… Sinon, je vais être obligée de te blesser.
Il résiste. Elle ajuste son tir, il se lève d’un bond. Recule jusqu’au fond, ses omoplates se heurtent au mur aveugle.
— Tu refuses d’obéir ?
— Arrête tes conneries, Lydia…
Il écarquille les yeux. Elle est en train de placer des boules Quiès dans ses oreilles.
— Arrête, merde !
Le bruit, assourdissant, lui déchire les tympans, rebondissant à l’infini contre les parois de béton. Benoît hurle, prend sa tête entre ses mains. Puis rouvre les yeux, étonné d’être encore en vie. Encore intact.
La balle a frappé à quelques centimètres de lui. Il fixe l’impact dans le béton, encore sous le choc.
— Alors, Benoît, tu viens ? La prochaine, elle n’ira pas dans le mur, tu sais !
Il n’entend presque plus rien mais elle a haussé le ton.
— Assieds-toi, dos à la grille. Passe tes mains entre les barreaux.
Putain ! Elle va m’attacher…
Il ne connaît pas encore ses plans tordus, mais tout sauf une bastos.
Il se laisse glisser contre le métal. S’effondre, presque. Les bracelets se referment bien vite sur ses poignets. Voilà, il est ligoté. Mort, peut-être…
— Je vais chercher les clefs, murmure-t-elle dans son oreille. Ne bouge pas… Ce ne sera pas long !
Elle disparaît, il écoute battre son cœur. La terreur s’empare de lui. Presque de la panique.
Dans son crâne, un bourdonnement infernal. Une douleur lancinante dans ses conduits auditifs.
Elle n’est pas longue à revenir, en effet. Ses pas sur les marches de ciment, dans son dos, amortis par la surdité passagère.
La clef dans la serrure, la porte qui s’ouvre. Cette porte qu’il a tant de fois rêvé de voir s’ouvrir.
Elle s’avance. Il la fixe, désemparé.
— Tu as peur ? T’as peur d’une femme, Benoît ?…
Il a la gorge tellement serrée qu’il n’arrive plus à déglutir.
Elle se poste au-dessus de lui, un pied de chaque côté de ses jambes repliées.
Elle descend doucement, jusqu’à se poser sur lui. Elle essaie de l’embrasser, il se tord le cou pour éviter cet odieux contact.
Elle déboutonne sa chemise en prenant son temps. Ça ressemble vaguement à son rêve, mais c’est beaucoup moins agréable que prévu. C’est même l’une des pires choses qu’il ait vécues. Elle approche sa bouche de son oreille et, au milieu des acouphènes, il discerne une voix cruelle. Qui lui plante des atrocités dans le cerveau.
Tu vas payer. Souffrir. Agoniser lentement. Crever.
Il comprend que la torture commence à peine.
Que la nuit sera d’horreur. Elle s’attaque aux boutons du jean, maintenant.
— Alors, Benoît ? Tu disais que tu étais un bon amant… J’ai l’impression que là, tu ne vas pas être très performant ! Et surtout, ne me dis pas que c’est parce que je ne te plais pas… Ça me vexerait énormément !
Elle semble beaucoup s’amuser. Benoît se mord les lèvres. Il a envie de pleurer. Se retient comme il peut. Humilié comme jamais.