— T’imagines tout ce que je pourrais te faire ?
Il ne préfère pas. Même si son imagination doit être plus limitée que celle de cette détraquée…
— Avec une paire de ciseaux par exemple… Ou un couteau bien affûté !
Là, il imagine mieux. Ne sait pas s’il doit hurler, acquiescer, jouer les statues de marbre.
— De toute façon, elle ne te servira plus jamais à rien !
On y est. C’est pas une folle. Bien pire que ça.
Une furieuse. Une sadique de la pire espèce. Putain, mais pourquoi je me suis arrêté sur le bord de cette route ?!
Il étouffe, malgré le froid et la chemise ouverte. Elle est collée contre lui, l’impression d’un anaconda qui l’étrangle. Pourtant, elle ne va pas plus loin. Seulement ses mains baladeuses sur sa peau. Mais c’est déjà si douloureux… Son sourire pervers, son regard de lave.
— Fais un effort, Benoît ! Pour moi… Elle exige l’impossible.
— J’ai plus la force…
— Tu me déçois ! Tu me déçois tellement…
Il songe à la repousser avec les jambes ou lui coller un coup de boule. Mais ça ne servirait pas à grand-chose sauf peut-être à décupler sa fureur. Il tire un peu sur les menottes, histoire de vérifier. Elles sont bien fermées, aucune chance. Alors, il capitule, demeure inerte.
Elle se relève, le fixe encore quelques secondes.
— J’ai vu ce que je voulais voir, dit-elle. Rien dans le pantalon ! Exactement ce que je pensais !
Elle quitte la cage, referme la porte et vient se planter derrière lui.
— Pas de sport cette nuit, Ben… Aucun moyen de bouger pour lutter contre le froid !
Elle ne peut pas voir son visage, pourtant il endigue encore ses larmes.
— Faut bien que je te punisse, non ? Puisque tu n’as même pas bandé pour moi !
Elle éclate d’un rire sardonique, s’éloigne enfin. La lumière s’éteint.
Ça y est, il peut chialer. Pourquoi ça m’arrive, à moi ? Qu’est-ce que j’ai bien pu commettre pour mériter autant de haine ? Si seulement il arrivait à comprendre… À savoir.
Ce dont elle veut se venger. Ce qu’elle espère de lui. Seulement l’humilier ? Ou vraiment le tuer ? Il se met à sangloter, le front sur les genoux. Il accomplit le deuil de sa vie d’avant. Peut-être même le deuil de lui-même.
Chapitre 6
Vendredi 17 décembre
Benoît s’invente les prémices de l’aurore, pour s’instiller du courage.
Survivre ou mourir, il ne sait plus trop ce qui serait le mieux.
Non, survivre. C’est ce qu’il souhaite. Sûr. Ce qu’il désire ardemment, même.
Revoir Gaëlle, Jérémy, ses parents. Revoir le soleil, la lumière du jour. Revenir à la surface.
Redevenir le commandant Benoît Lorand, admiré par ses subordonnés, adoré par son épouse dévouée, adulé par ses maîtresses.
Pour le moment, il est secoué de spasmes des pieds à la tête. Son estomac crie famine. La routine, quoi.
Il plonge parfois dans l’eau sucrée du sommeil, s’écroulant sous le poids de la fatigue. Car lutter contre la faim ou les assauts du gel, ça épuise.
Il se réveille, brutalement.
Non, il ne fait pas encore jour. Mais la lumière s’est allumée.
Elle est là, devant lui. À l’intérieur de la cage. Emmitouflée dans un pull, un pantalon de survêt’, les pieds dans des chaussettes en laine.
— Tu as froid, Ben ?
— Oui, j’ai froid…
Il claque même des dents.
Elle se recolle contre lui, comme hier soir. Passe ses bras autour de son cou, ses genoux autour de ses hanches.
Une chaleur qui l’apaise, cette fois. Malgré la peur.
— Je me sens seule…
Surtout, ne pas l’énerver. Ne pas la repousser.
— Moi aussi…
Enfin, il cesse de trembler. Se réchauffe avec le pull de Lydia, avec le visage de Lydia contre le sien. Au bout d’un moment, elle pèse un peu plus lourd.
Il comprend qu’elle s’est assoupie. Ne comprend pas pourquoi.
Elle dort encore lorsqu’il ouvre les yeux. Il n’a plus froid mais toujours aussi faim.
Il lui boufferait bien la joue, planterait volontiers ses crocs dans son cou.
Mais il n’est pas encore devenu un animal, possède toujours des gènes d’humain civilisé qui traînent quelque part.
Qu’est-ce que je fous là ? Avec ma tortionnaire endormie sur moi ?
Peut-être que tout cela n’est pas réel ? Que ce n’est qu’un cauchemar ?…
Elle ressuscite enfin, surprise de s’être laissée aller contre lui. Contrariée, même, par sa propre faiblesse.
Il s’attend à des représailles. Essaie de désamorcer la bombe.
— Tu es très jolie, même au réveil…
Elle apprécie le compliment, visiblement. Son visage se radoucit. Elle caresse sa barbe naissante.
— C’est dommage, murmure-t-elle. Dommage que tu sois mon ennemi…
— Je ne suis pas ton ennemi, Lydia ! On ne se connaît même pas…
— Tu te trompes. Je rêve de toi toutes les nuits depuis si longtemps… Depuis que tu as détruit ma vie. Les yeux de Benoît s’arrondissent de surprise. D’incompréhension.
— Oui, dommage… Parce que je crois qu’on aurait pu se plaire, toi et moi. Si tu n’étais pas la pire des ordures !
— Mais… Je te jure que…
Elle pose un doigt sur sa bouche. Le forçant à se taire.
— Tu caches bien ton jeu, remarque ! Avant de te rencontrer, je ne t’imaginais pas du tout comme ça ! Je voyais un monstre hideux, pas une belle gueule dans ton genre… Mais que tu sois beau ne changera rien, Ben. Ça ne pourra pas te sauver…
— Je ne comprends pas, Lydia. Explique-moi, s’il te plaît… Que je sache pourquoi je souffre ! Ce que tu as à me reprocher…
Elle se recoiffe en passant une main dans ses cheveux rebelles. Puis elle l’enferme à nouveau.
— Lydia, s’il te plaît ! Explique-moi !… Détache-moi, au moins… Lydia ?
La porte grince. Il a parlé dans le vide.
Le commissaire Moretti est un adepte des colères. Des grosses colères. Ce matin, ils savent qu’ils vont y avoir droit. Une mémorable.
Parce qu’ils n’ont rien. Pas le moindre indice. Pas la moindre avancée dans l’enquête. Que dalle.
Lorand s’est volatilisé. Évaporé. Comme par magie.
Alors, ils subissent le courroux du patron sans broncher. Une cascade de reproches qui semble masquer une angoisse démesurée.
Il décide que c’est Fabre qui dirigera l’enquête, désormais. Djamila ne sera plus que son adjointe. La jeune femme encaisse l’humiliation publique en silence, tandis que le Parisien ne cache pas son embarras.
Quand il s’est bien défoulé, le boss claque la porte de la salle de réunion ; abandonnant derrière lui des policiers muets. Assommés par les blâmes. Par l’échec aussi.
Quatre jours que leur chef a disparu. Et ils n’ont même pas l’ombre d’un vague début de piste. Djamila se ressaisit.
— Bon, ne nous laissons pas abattre, messieurs ! On va tout reprendre depuis le début… Il y a forcément quelque chose qui nous a échappé.
— De toute façon, il est sans doute mort, maintenant, murmure une voix faible.
Djamila ouvre la bouche pour remettre le gardien de la paix à sa place. Mais elle renonce, finalement. Peut-être n’y croit-elle plus, à son tour.
— Il ne faut pas baisser les bras ! s’offusque soudain Fabre. Et puis… Même s’il est mort, il faut le retrouver. Et on n’a pas de temps à perdre.