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Elle arrange sa coiffure d’une main experte.

— Il va avouer, d’abord. Et me conduire jusqu’à toi. Et là, il mourra. De la façon que tu souhaiteras. Tu descends avec moi ?…

Elle prend le chemin de la cave. Sourire épanoui…

Lydia s’approche à pas de louve. Benoît dort encore. Emmitouflé dans sa couverture, il lui tourne le dos. Elle l’observe un moment. Aucun doute ne vient la percuter. Aucun remords, non plus.

Rien d’autre que la haine, le poids des années. Celui des nuits entières sans repos.

Elle chuchote, d’une voix douce :

— Tu vois, il est là… Entre nos mains !

Elle récupère le revolver, fait glisser le canon le long des barreaux. Bien sûr, Benoît se réveille, en un sursaut tragique. Première vision du matin : un calibre braqué sur lui. Il se redresse, doucement ; son visage exhibe les stigmates d’une semaine au cachot.

Il fixe l’arme, puis monte jusqu’aux yeux d’ambre de celle qui la tient.

— Bonjour, Benoît… Tu as bien dormi, à ce que je vois !

Il ne répond pas. On ne répond pas à un flingue.

— J’ai pensé à toi toute la nuit, poursuit-elle. Tu sais, aujourd’hui, c’est dimanche.

— Et alors ? On va à la messe ?!

— Pourquoi, tu crois en Dieu ?

— Non, avoue Lorand.

— Moi non plus. Comment Dieu aurait-il pu engendrer des monstres de ton espèce ?

Il se réfugie dans le silence, attendant stoïquement la suite.

— Non, on ne va pas à la messe, on va à confesse ! On a tellement de choses à se dire toi et moi… Ou plutôt, c’est toi qui as des choses à me confier… N’est-ce pas, Ben ?

— Eh bien… Je peux te confier que j’ai faim. Et que j’en ai marre d’être ici ! Pour le reste…

— Non, tout ça m’est égal. Je veux que tu me parles du 6 janvier… Du 6 janvier 1990, bien sûr…

— 1990 ?! C’est loin, dis donc !

— Oui, mais… Il y a des choses qu’on n’oublie pas, même quinze ans après…

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Tu es un excellent comédien, Benoît ! Ça ne m’étonne pas que tu parviennes à berner ta femme depuis des lustres ! Tu as une façon de mimer l’innocence qui pourrait tromper n’importe quel auditoire… Mais pas moi… Non, pas moi !

— J’ai l’air innocent, parce que je suis innocent ! Ça ne t’est pas venu à l’idée ?!

— Tes mensonges m’ennuient, Ben…

Lydia recule jusqu’à la chaise. Ainsi protégée par l’ombre, comme à l’orée de l’Enfer, elle s’allume une cigarette.

— T’en as pas une pour moi ? ose Lorand.

— Alors voilà, je t’explique comment ça va passer… Là, tu es en garde à vue.

Il sourit, tristement.

— Je te signale qu’une garde à vue, c’est quarante-huit heures maxi ! On a donc largement dépassé le délai légal !

— Eh bien, disons que tu es gardé à vue à compter maintenant.

— J’ai droit à un avocat, alors ? Et à un médecin aussi ! Sans oublier deux repas par jour !

— Tu n’as droit à rien. Tu ne décides même plus de vie ou de ta mort… tu t’en rends compte, j’espère ?

Il n’a pas bronché, toujours assis sur sa couverture laine kaki.

— Bon… Tu as peut-être raison, finalement. On dire que la garde à vue est terminée. Il y a suffisamment de preuves contre toi pour qu’on passe directement procès.

— Où sont les juges ?!

— Pas les juges ! Les jurés ! Pour un assassinat, c’est la cour d’assises, Ben. Tu as des lacunes en droit ou quoi ?!

— Très bien… Où sont les jurés alors ?

— Devant toi.

— Je vois !

— Tu es prêt ?… Accusé, levez-vous !

Il lui répond par un signe. Indélicat. Dans la pénombre, il voit briller le canon du revolver.

— Accusé, levez-vous ! ordonne Lydia à nouveau.

Il obéit enfin. Joint les mains dans le dos, reste appuyé contre le mur clair. Cible parfaite.

— Première question, monsieur Benoît Lorand ; pourquoi as-tu assassiné Aurélia Hénaudin ?

— Je n’ai pas assassiné Aurélia Hénaudin. Je n’ai assassiné personne.

— Mauvaise réponse, Ben… L’as-tu violée avant de la tuer ?

— Non. Ni violée, ni tuée.

— Alors, comment expliques-tu que j’aie récupéré ton médaillon chez toi ?

— Impossible.

— Il était pourtant soigneusement planqué dans l’appentis derrière ta maison… Celui qui te sert de débarras. Tu vois de quoi je parle ?

Là, il reste quelques secondes muet. Apparemment interloqué.

— C’est là que je l’ai découvert, dans une boîte métallique… Là où on m’avait dit que je le trouverais, d’ailleurs.

— Qui ? Qui t’a dit ça ?!

— Peu importe. Ce qui compte, c’est que tu étais en possession du pendentif d’Aurélia. Elle le portait lorsqu’elle a disparu, tu es donc forcément le coupable.

Il se décolle de la cloison et, bras croisés, commence à faire les cent pas derrière la grille, usant ses chaussettes sur le ciment rugueux.

— C’est délirant !

— Délirant ? Je détiens la preuve formelle, Ben. Tu ne peux rien arguer contre ça ! Remarque, je n’ai pas récupéré que ça, dans cette boîte. Il y avait d’autres objets. Je suppose que ce sont ceux que tu as arrachés sur le cadavre encore chaud de chacune de tes victimes…

— Chacune de mes victimes victimes ?

Elle se saisit d’un sac plastique sur une étagère, en sort les fameuses preuves. Les commente froidement.

— Une petite culotte, du 6 ans… Une paire de boucles d’oreilles de fillette… Une poupée, une gourmette gravée avec le prénom… William. Tu violes aussi les petits garçons, Ben ? Je croyais que tu ne t’en prenais qu’aux gamines…

Elle guette les réactions sur son visage. Pour le moment, il mime la stupéfaction. À la perfection.

Elle s’y attendait. Elle le voit mentir depuis des mois, sait à quel point il peut leurrer son monde. À quel point il est doué pour ça.

— Je ne peux pas m’occuper de toutes ces petites âmes que tu as fauchées… Mais en vengeant Aurélia, je les vengerai aussi. Revenons à ce qui m’intéresse. Donc, tu as enlevé Aurélia, et ensuite ? Tu l’as emmenée dans un endroit isolé et…

— J’ai rien fait du tout ! enrage Lorand. Rien du tout ! Je n’ai jamais vu toutes ces choses ! Ça ne pouvait pas être chez moi !

— Tu l’as emmenée dans un endroit désert et ensuite, je suppose que tu as abusé d’elle… Comment peut-on violer une fillette de onze ans, Ben ?

Il se fige, dans l’horreur absolue. Comme assommé.

— Je ne sais pas, murmure-t-il. Puisque je ne l’ai pas fait…

— Tu résistes, c’est normal. Pourtant, il va bien falloir que tu avoues ton crime…

— Je suis innocent !

— Je te rappelle que le médaillon d’Aurélia était dans ton jardin. Dans un appentis que tu es le seul à utiliser.

— OK… Mettons que tu aies trouvé tous ces trucs chez moi… Eh bien, préviens la police, dans ce cas ! Qu’ils viennent m’arrêter !

Elle part à rire.

— Allons, Ben ! Le crime est prescrit, depuis longtemps !…

— Faux ! hurle-t-il. Article 7 du code de procédure pénale, madame le juge ! Vous devriez réviser vos classiques ! Le délai de prescription de l’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du présent code, autrement dit le meurtre ou l’assassinat d’un mineur décédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, est de vingt ans et ne commence à courir qu’a partir de la majorité de ces derniers. Vingt ans à compter de la majorité de la victime, madame le juge ! par conséquent, ce crime n’est pas prescrit ! Aurélia est née en février 78, c’est bien ça ? Février 78… Ce qui veut dire que le délai de prescription commence à courir à compter de 1996. La justice peut donc condamner le coupable jusqu’en 2016 ! 2016, madame le juge !