— Et alors ?! Ce n’est pas parce que je vivais à cinquante bornes du lieu de la disparition que…
— Arrête ! Toutes les preuves sont contre toi ! Tu perds ton temps !… Vaudrait mieux plaider coupable ! La défense devrait changer de stratégie !!
— L’accusation aussi, devrait se poser des questions !… Tu ne trouves pas bizarre de recevoir cette lettre, quinze piges après le crime ?!
— Non. Cette personne te connaît, c’est évident. Elle a découvert ton vrai visage. Ton visage de meurtrier… Et elle a voulu que justice soit faite. Elle a voulu m’aider. Aurélia n’a plus que moi ; il était donc normal que la lettre me revienne.
Lorand assène un grand coup de pied dans la grille qui tremble à peine.
— Du calme, commandant !
— C’est des conneries tout ça ! hurle-t-il. Tu es cinglée ! Tu as tout inventé ! La lettre, le pendentif !
— Tu oublies qu’ici, le menteur, c’est toi…
Encore un choc violent dans les barreaux.
Et un cri de rage qui rebondit contre les murs du cachot. Lydia a un léger tressaillement. L’impression que c’est une bête démoniaque qui vient de rugir.
— Tu frôles la crise de nerfs, Ben…
— Ta gueule !
Elle se met à rire, tout en prenant le chemin de l’escalier.
— Je suis pas un assassin ! s’époumone Lorand. Mais toi, je te jure que je vais te tuer ! T’étrangler ! Défoncer ta jolie petite gueule !.
— Fais de beaux cauchemars, commandant ! A demain…
Chapitre 9
Mardi 21 décembre
— Ne t’inquiète pas… Je ne céderai pas. Je ne le livrerai pas aux flics. Il n’ira pas se dorer la pilule en taule, je te le promets ! Il ne nous échappera pas.
Lydia termine de se coiffer devant le petit miroir de la salle d’eau. Ses boucles aux reflets flamboyants se montrent un peu électriques, aujourd’hui. Indomptables.
— Non, je t’assure, j’irai jusqu’au bout. Et bientôt, je viendrai te chercher…
Elle range la brosse, le peigne. Jette un dernier coup d’œil à son reflet.
— Tu es très jolie. Toi aussi.
Elle s’admire, radieuse, quelques instants encore.
— Tu descends avec moi ? Notre ennemi n’a rien à bouffer depuis samedi soir… Il doit avoir l’estomac dans les talons ! Et puis… J’ai fait des courses, hier… J’ai une petite surprise pour lui, tu verras !
Il est tout juste dix heures du matin. La veille, elle n’a pas daigné se rendre au tribunal, choisissant de laisser l’accusé mijoter dans son jus de solitude.
Elle le découvre, assis tel un brave toutou sur sa couverture et lui inflige un abominable sourire en guise de salut.
— J’ai pris un copieux petit déjeuner ! attaque-t-elle. Un bon café, du pain frais, avec beurre et confiture…
— Salope !
— Ah ! Je vois que tu n’as pas perdu la parole, Ben ! C’est bien… As-tu réfléchi ?
— J’ai faim.
— Ça, je le sais, mais ça ne m’intéresse pas ! As-tu réfléchi ? Je te promets que si tu avoues, je t’apporte quelque chose à manger…
— Va te faire mettre !
— Que tu es grossier, ce matin ! Où sont passées tes bonnes manières, Ben ?!
— Je les ai foutues dans les chiottes et j’ai tiré la chasse !
— Je vois ! Tu aurais pu te raser… Faire un effort pour ton juge !
Il se lève, elle recule de trois pas.
— Tu as une mine atroce, cher Benoît… Tu veux te voir ?
Elle se met à farfouiller dans un carton.
— Où je l’ai mis ? peste-t-elle.
— Tu cherches quoi ? questionne Lorand. Ton cerveau ?!
— Ah… le voilà !
Elle revient vers lui, munie d’un antique Polaroid.
— Allez, souriez, commandant… Pour la postérité ! Il se prend un flash dans les yeux, tourne la tête dans une grimace douloureuse.
— Ça y est ! Quelques minutes et tu pourras voir à quoi tu ressembles après une semaine de captivité… Constater à quel point tu as changé ! Encore quelques jours et tu seras une vraie loque…
Elle secoue le cliché pour le faire sécher plus vite, tandis qu’il est retourné s’asseoir. Elle juge avec satisfaction qu’il a de plus en plus de mal à tenir son rang de bipède.
— Tiens, regarde…
Elle jette la photo entre deux barreaux. Il ne daigne pas s’approcher.
— Tu veux pas voir ta tronche, Ben ?
— Je t’emmerde.
— Bon, si on cessait les politesses ? Si on causait sérieusement ? Es-tu disposé à me parler ? Comment vous dites, déjà, chez les poulets ? À passer à table ?. C’est marrant, comme expression ! Surtout quand on n’a rien mangé depuis des jours et des jours, pas vrai, Ben ?
Il fixe le soupirail. Elle devine la colère qui gronde, la sent émaner de lui telle une onde magnétique.
— Il faut que je te colle une lampe dans la figure, peut-être ?
— Faut surtout que t’ailles consulter un psy… Et de toute urgence !
— Mais j’y vais, tu sais. Chaque semaine…
— C’est un charlatan, dans ce cas !! Trouves-en un autre !
— Chaque semaine… Depuis bientôt quinze ans…
Sa voix a changé. Ondulant désormais sur une partition haineuse. Dangereuse. Benoît ne s’y trompe pas. Il tourne la tête, surpris de la voir prendre le chemin de l’étage.
— Qu’est-ce qui se passe, Lydia chérie ?! Tu as la trouille ? Tu abandonnes déjà ?
— Je reviens, chéri ! J’ai une surprise pour toi ! Un truc qui va t’aider… Un truc efficace pour délier les langues, tu verras !
Il se met à arpenter sa cellule de long en large.
— J’aurais dû y aller moins fort !
Oui, il aurait dû. Ou plutôt, n’aurait pas dû.
Les talons reviennent vers lui. Il regarde descendre ses jambes alertes. Voit qu’elle tient quelque chose dans sa main droite. Son œil professionnel identifie immédiatement le danger. Il recule jusqu’à se coller au mur.
— Déconne pas ! souffle-t-il.
Elle brandit l’arme dans sa direction, n’hésite pas une seconde.
Il protège son visage à l’aide de ses bras, défense bien dérisoire. Le gel neutralisant et la décharge électrique le percutent en pleine tête, il s’effondre en hurlant.
— Je vais t’apprendre la politesse, Ben…
Il gémit, recroquevillé sur sa douleur, les mains jointes sur son visage. Il entend les clefs dans la serrure, ses talons près de lui, mais ne voit plus rien. Ne peut même pas bouger.
— C’est pratique, ce machin, non ? Et puis ça a l’air de faire mal… C’est le dernier cri en matière d’autodéfense ! Ça m’a coûté cinq cents balles, mais je regrette pas ! C’est mieux que le flingue, j’ai l’impression. Encore un petit coup, commandant ?
Il reçoit un deuxième électrochoc dans les tripes, se contracte violemment, hurle de plus belle. Elle le saisit par les poignets, le traîne avec une force incroyable jusqu’à la grille et l’y attache. Toujours allongé par terre, aveugle, les poignets enserrés dans ses bracelets, il pousse des râles déchirants.
Elle s’assoit sur la couverture, près de lui. Le regarde souffrir en silence. En souriant.
Ses yeux fermés ruissellent sans discontinuer sous l’effet du gel, il respire comme un asthmatique en phase terminale.
Elle s’allume une cigarette, pour passer le temps. Caresse son arme posée à côté d’elle.