Il l’entend même siffloter, du fin fond de son cauchemar.
Au bout d’un quart d’heure, il refait surface. Ses paupières s’ouvrent, difficilement. De ses yeux rouge sang, les larmes coulent encore.
— Ça va mieux, Ben ? Terrible, n’est-ce pas ?
Il renifle, essaie de porter une main à son visage, réalise enfin qu’il est attaché. Il tire sur ses bras, parvient à se ratatiner contre la grille.
— Bien… Maintenant, je suis sûre que tu vas te montrer plus coopératif ! Alors commence par me décrire les sévices que tu as infligés à Aurélia…
Il essuie sa joue brûlante contre son épaule, fixe son bourreau de ses prunelles dynamitées.
— Rien, murmure-t-il. Je l’ai jamais vue… Elle empoigne sa matraque, revient vers lui.
— T’en veux encore, espèce de fumier ?
— Non ! Je te jure que…
Troisième décharge. A bout touchant, encore. En pleine poitrine.
Les hurlements de Lydia se mêlent à ceux de sa victime.
Elle insulte, ordonne. Exige. Toujours la même rengaine.
Dans la tête de Benoît, au milieu du fracas, une seule certitude : si j’avoue, je suis mort.
Au cinquième électrochoc, plus long que les précédents, il perd connaissance.
Elle s’est acharnée. Une bonne partie de la journée. Sans résultat.
Il est plus résistant qu’elle ne l’aurait imaginé. Dans l’obscurité presque totale, Benoît gît sur le sol, inconscient à nouveau. Ne pas le tuer. Tant qu’il n’a pas révélé où se trouve Aurélia.
Elle a tout essayé, pourtant. Les électrochocs sur le corps, la tête. Les coups, aussi. Il ne pouvait plus se défendre, c’était si facile de lui faire mal.
Mais il n’a pas avoué.
Comment a-t-il pu supporter ? Incroyable…
Elle l’observe, sans relâche. Vision plaisante de cet assassin en souffrance.
Ça ira pour aujourd’hui. Demain, sans doute, il parlera.
Elle ferme la porte, éteint la lumière. S’enfonce dans les ténèbres.
Benoît se réveille. Dans le noir, comme dans un caveau, il reste inerte, quelques minutes. La douleur est terrible. Les yeux et la peau du visage en feu ; les hématomes, partout sur le corps.
Il réalise qu’il n’est pas attaché. Mais torse nu.
D’ailleurs, c’est sans doute le froid qui l’a tiré de sa léthargie défensive.
Il se traîne jusqu’au lavabo, s’asperge longuement la figure. Puis il cherche la couverture à tâtons.
Elle l’a prise, évidemment.
Il s’effondre contre le mur, les bras enroulés autour de son abdomen meurtri. Il grelotte, malgré l’impression de fièvre. Et cette faim tenace, qui lui torture les entrailles.
Gaëlle chérie, je crois que je ne te reverrai jamais…
Mercredi 22 décembre
Il doit être midi, le soleil fait irruption dans les oubliettes.
Benoît contemple encore le Polaroid. J’ai pris dix ans en quelques jours à peine.
Il déchire le cliché, jette les morceaux dans les W-C. Tire la chasse.
Il n’a pas dormi, bien sûr, se forçant à marcher pour lutter contre le froid. Toute la nuit.
Son corps endolori, pourfendu par les ecchymoses ; sa peau, brûlée par endroits ; ses yeux encore si sensibles.
Mais il va mieux, ayant finalement bien supporté le traitement de choc de la veille.
Arme d’autodéfense en vente libre dans n’importe quelle armurerie. Car non létale. En théorie.
Pourtant, il a lu un jour qu’en Chine, les prisonniers politiques sont torturés avec cet engin de malheur des heures durant, jusqu’à en mourir… Jusqu’à en mourir, oui. En plus, il croit se souvenir qu’elle a ajouté quelques coups à la douche électrique.
Coups de pied, coups de poing, même. Une furie. Une meurtrière. Un monstre sans pitié.
Alors que dans deux jours, c’est Noël.
Il le sait. N’a pas perdu la notion du temps. Enfin, il l’espère, en tout cas. S’il avait un calendrier pour vérifier, ça le rassurerait.
Mais il n’a pas de calendrier. Pas de montre. Pas de nourriture. Pas de chaleur humaine. Et presque plus d’espoir.
Gaëlle se tient à l’entrée de la pièce. Appuyée au chambranle de la porte, elle observe les trois flics qui s’activent à mettre tout sens dessus dessous.
Elle sait qu’ils ne découvriront rien ici. Mais laisse faire.
Ils ont vérifié les tiroirs, les armoires ; les entrailles de l’ordinateur portable de son mari. En vain.
Il est 16 heures lorsqu’ils abandonnent enfin.
— Désolé pour le désordre, Gaëlle, s’excuse Eric Thoraize. Je t’aiderai à ranger, si tu veux…
— C’est pas important, ne t’inquiète pas.
— Nous n’avons rien déniché d’intéressant, avoue Fabre d’un air penaud.
— Je m’en doutais. Vous savez, ici c’est aussi chez moi ! S’il y avait quelque chose, je crois que je l’aurais remarqué…
— Bien entendu… Mais il fallait tout de même vérifier, non ?
— J’ai l’impression que vous perdez votre temps… Et l’ex-taulard, celui qui avait menacé Benoît, vous en êtes où ?
— On a une piste, affirme Djamila. On a retrouvé sa copine, on l’a mise sur écoute, on la file jour et nuit… Elle devrait nous conduire rapidement jusqu’à son mec…
— Rapidement ? répète Gaëlle d’une voix cinglante. Benoît n’a plus donné signe de vie depuis maintenant dix jours. Dois-je vous le rappeler ?
— Ce n’est pas nécessaire, madame, réplique Auguste Fabre. Nous faisons notre maximum, je vous l’assure.
Ils reprennent le chemin du rez-de-chaussée.
— Où est ton fils ? s’inquiète soudain Éric.
— Avec les parents de Ben. J’ai préféré qu’il ne soit pas là pendant la perquisition.
— Bien sûr…
— Puis-je m’entretenir un instant en tête à tête avec vous ? demande soudain Fabre.
— Si vous voulez.
— Bon, on vous attend dans la voiture, ajoute Djamila d’une voix grinçante.
Fabre et Gaëlle s’installent dans le salon, tandis que les deux autres quittent la maison. Elle ne lui offre rien. Ni à boire, ni un sourire.
— Madame Lorand… J’ai cru comprendre que vous étiez au courant de… des incartades de votre époux. Cela est-il exact ?
Gaëlle sourit jaune.
— Je vois que miss Maroc n’a pas tenu sa langue !
— Euh… Disons qu’elle m’a fait part de votre discussion de l’autre jour…
— Et tous les policiers du commissariat sont-ils au courant que je suis cocue ?
— Non, je vous assure que…
— Arrêtez de vous foutre de moi !… Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
— Ce que vous savez précisément.
— Je sais que Benoît m’a trompée. Voilà ce que je sais. Précisément.
— Uniquement avec le capitaine Fashani ou…
— Non, pas uniquement. Vous croyez que je suis naïve ? Vous pensez que durant toutes ces années, je ne me suis aperçue de rien ? Les femmes ont un sixième sens, commandant… Vous l’ignoriez ?
— Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir quitté votre époux ?
— Vous êtes flic ou sexologue ?!
— Écoutez, madame Lorand, je peux comprendre que cette conversation vous mette mal à l’aise, mais il est inutile de devenir agressive… Contentez-vous de répondre.
— Je n’ai pas divorcé de Benoît parce que je l’aime. C’est tout simple, vous voyez.
— Malgré…
— Oui, coupe Gaëlle. Les filles avec qui il couche ne représentent rien pour lui. Mais il ne peut pas s’empêcher d’aller voir ailleurs. C’est comme une maladie. Une maladie incurable…