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— Trop gentil ! bougonne Benoît.

Folle à lier ! Incurable. Même Sigmund Freud s’y serait cassé les dents !

Il essaie de se réchauffer en marchant. Espère qu’elle va lui accorder un pull. Mais il n’obtiendra rien d’autre.

— Bon, si on discutait un peu, tous les deux ? propose-t-elle. J’ai promis à Aurélia qu’elle aurait tes aveux avant Noël… Je ne voudrais pas la décevoir !

Il s’immobilise.

— Je croyais qu’elle était morte…

Lydia tombe sur sa chaise, allume une cigarette. Il constate que ses doigts tremblent, un peu. C’est la première fois qu’il voit ses mains la trahir.

Lui, il frissonne de la tête aux pieds. Il se remet bien vite à marcher.

— Et alors ? Même si elle n’est plus là…

— Tu parles avec une morte ? assène Lorand. Tu te rends compte de ce que ça signifie ?…

— Ta gueule ! ordonne Lydia. Ferme-la, sinon…

Il préfère se taire. Inutile d’exciter sa fureur. Il n’a soudain plus la force de continuer sa ronde, retourne sur sa couverture sale, attendant la suite du calvaire avec une sorte de résignation.

— Tout ça, c’est de ta faute, accuse la voix infernale. C’est à cause de toi si je suis obligée de m’adresser à une disparue…

— Non, Lydia. Je n’y suis pour rien… Tu te trompes, depuis le départ.

— Elle était si jolie…

— Aussi jolie que toi, je suppose… Puisque c’était ta sœur !

Elle reste interloquée une seconde.

— C’est bien ta sœur ? poursuit Benoît. Je ne vois pas qui ça peut être d’autre… Vu la date de naissance sur le médaillon. Vous n’aviez pas une grande différence d’âge, d’ailleurs. Non ?

Lydia est muette, désormais. Elle se contente de dévisager son tendre assassin avec une profonde aversion.

— Ou alors, tu as inventé toute cette histoire… T’es simplement dingue ! Cette Aurélia n’a peut-être jamais existé… Parce que je me souviens qu’une gamine a disparu, y a quinze ans ; mais je ne me rappelle pas du tout son prénom. Alors autant, tout ça n’est qu’une divagation de ton esprit malade ! Tu devrais te faire aider, Lydia.

Il ose l’affronter du regard. Ces yeux aux reflets précieux, identiques à ceux d’un chat sauvage. Ou d’une lionne. Qui semblent prendre feu, à ce moment précis. Elle se met soudain à hurler. D’une façon terrifiante. Benoît se contracte, arrête de respirer. Ce cri d’hystérie le glace encore plus. Puis, tout en continuant à tonner, elle se met à frapper les barreaux avec les pieds, la paume des mains. Violence inouïe. Il se remet debout prestement, se réfugie le plus loin possible du volcan en éruption.

Ça dure deux ou trois minutes. Et enfin, ça s’arrête. Essoufflée, Lydia s’appuie contre la rambarde de l’escalier. Un étrange silence s’empare du sous-sol. Benoît est pétrifié contre le mur, la bouche entrouverte.

— Tu me le paieras, crache-t-elle. Tu le paieras très cher !

— Lydia… Je voulais pas te mettre dans cet état, je te jure… Excuse-moi. Je voulais juste que tu me parles… Que tu me dises ce que tu ressens !

— Tu viens de le voir, ce que je ressens ! T’es content ?

— OK, calme-toi… Calme-toi, je t’en prie…

Soudain, elle prend la fuite.

— Si c’est lui, il ne parlera jamais, soupire Djamila… C’est pas le genre à s’allonger…

— C’est pas le genre non plus à buter un flic, ajoute Fabre. Je le sens pas…

— On n’a rien d’autre pour le moment ! rappelle Fashani d’une voix tranchante.

Rien à faire, elle ne supporte pas ce type. Le commissaire Moretti lève les yeux au ciel face à ces querelles dignes d’une cour de maternelle.

— Je sais bien, répond le Parisien. Mais…

— Il a proféré des menaces de mort envers le commandant Lorand, non ? intervient Moretti. Et il est sorti de taule une semaine avant sa disparition ! Ça fait pas mal d’éléments qui doivent nous pousser à creuser dans cette direction. Vous avez perquisitionné son taudis ?

— Bien sûr, réplique Djamila. Mais on n’a trouvé que dalle…

— Cuisinez sa petite amie ! ordonne le boss. Si vraiment il a abattu Lorand, ce salaud a dû s’en vanter ! Alors peut-être qu’elle craquera, elle !

— OK, patron, dit Djamila. Je me charge de la fille cet après-midi. Fabre, vous prenez le relais sur Duprat.

— À vos ordres, capitaine !!

Elle l’écorche du regard avant de se retirer. Elle ne parvient pas à accepter l’idée que c’est cet intrus qui dirige l’enquête, désormais. Pourtant, il ne s’en vante pas, n’en profite pas. Elle doit bien l’admettre.

Djamila quitte l’hôtel de police pour sa pause déjeuner. Envie de prendre l’air, besoin de respirer après des heures et des heures de réclusion dans la salle d’interrogatoire. C’est terrible, l’enfermement, songe-t-elle.

Les foulées se succèdent ; le rythme est soutenu. Elle ne flâne pas, elle fonce. Elle a toujours aimé marcher pour se vider la tête. Elle peut enchaîner les kilomètres à pied sans même s’en rendre compte. Une grande sportive, Djamila.

Elle a déjà dépassé l’avenue de la Gare d’Eau, avance toujours droit devant, les mains au fond de ses poches. Sur sa droite, le Doubs trace tranquillement sa route immémoriale. Elle a la curieuse impression d’aller plus vite que lui. Elle jette un œil à l’île des Grands Bouez, aborde la passerelle qui lui permet de traverser.

Finalement, elle n’a pas faim. Décide alors de continuer son périple par le chemin de Mazagran, longeant l’autre côté de la rivière, sous la protection bienveillante du Fort de Chaudanne. Le même chemin que celui qu’elle emprunte pour faire son jogging, presque chaque soir après le boulot. Elle apprécie cette parenthèse de verdure au cœur de la ville. Cette ville qu’elle aime, bien qu’elle n’y soit pas née. Peut-être parce qu’elle a été le témoin de ses émotions les plus fortes.

Elle se rappelle encore du jour où elle est arrivée ici pour prendre son poste de capitaine. Le jour où son destin a croisé celui de Lorand.

Elle s’arrête sur un banc. Un peu fatiguée. Face à l’eau trop calme, elle n’arrive plus à endiguer le flot des souvenirs.

Le sourire de Benoît émerge au milieu de la brève éclaircie concédée par l’astre feignant. Elle se souvient de tout.

Au début, il n’a rien fait. S’est comporté en collègue, en supérieur hiérarchique plutôt agréable, prévenant. Ni miso, ni macho, ni raciste.

Non, au début, il n’a rien fait. Rien pour qu’elle tombe amoureuse. Il était juste lui-même.

Et c’est bien suffisant…

Ce n’est qu’au bout d’un an qu’il a commencé à la regarder différemment. Comme s’il l’avait laissée mijoter tout ce temps pour la rendre folle. Dingue de lui.

Comme il aurait laissé mûrir un fruit, afin de le cueillir sans aucun effort.

Comme il aurait épuisé une proie pour l’achever d’un simple coup de dent. Une nuit, puis deux, puis trois. Torrides.

Le feu est encore là, dans son ventre comme dans son cœur.

Les faux espoirs, les promesses à crédit. La rupture, brutale. La chute. Sans amorti.

Elle a avoué. Sa faiblesse, sa passion aveuglante. L’a supplié, pour que ça continue. Elle se souvient.

Qu’il a rigolé. Se moquant sans vergogne de cet amour offert sur un plateau d’argent. Piétinant sans remords celle qui se prosternait à ses pieds.

Djamila serre les poings. Un passant la dévisage. Parce qu’elle pleure. Elle essuie ses yeux d’un geste brusque.

La blessure à l’âme et au corps est toujours ouverte. Ça saigne.