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Hémorragie sentimentale.

Benoît lui manque. Il lui manquera toujours.

Pourtant, elle le hait. Avec une ardeur qu’elle ne se connaissait pas. Elle s’approche de la rive, suit un bateau-mouche, dérive vers une péniche paresseuse. Encore quelques larmes qui rejoindront le lit de la rivière.

Puis Djamila se remet en route. Elle s’était juré de le faire payer…

Avec délicatesse, elle caresse sa tempe. Descend doucement sur son cou, son épaule, son bras. Au travers du tissu, elle perçoit avec délices ses tremblements de bête traquée et agonisante. Elle passe ses doigts sous la chemise, sent battre son cœur. Beaucoup trop vite.

La peur ou la douleur. Sans doute les deux. Va-t-il pleurer ? Supplier ? Regretter ? Avouer serait le mieux.

Pour l’instant, elle se contente de ses plaintes d’animal blessé.

Lydia est à genoux, près de Benoît. Étendu sur le flanc, poignets menottes dans le dos.

En train de digérer les quatre électrochocs successifs qu’il vient d’encaisser. Et encore, il a échappé au gaz neutralisant. Elle n’a pas eu besoin ; elle l’a percuté à bout portant, alors qu’il dormait imprudemment contre la grille. Réveil fulgurant assuré.

— Ne me traite plus jamais de folle, Ben… Ne dis plus jamais que j’ai inventé cette histoire… Tu as compris ?

Il n’a même pas la force de répondre. Elle l’attrape par les cheveux, colle sa bouche sur son oreille.

— Tu as compris ?

Un oui déformé émerge du corps au supplice. Elle sourit, satisfaite. Laisse retomber le crâne sur le béton insensible.

— C’est bien, Ben… Très bien ! Parle-moi d’Aurélia, s’il te plaît…

Ce s’il te plaît a quelque chose d’effrayant. Elle continue à cajoler sa victime muette et paralysée, effleurant sa joue rasée de près.

— Demain soir c’est le réveillon, Ben… Tu pourras voir à quel point c’est douloureux de passer Noël loin des personnes qui te sont chères. Tu pourras endurer ce que j’endure depuis quinze longues années.

Elle étend ses jambes, aide Benoît à poser sa nuque dessus.

Il ouvre les yeux, tombe sur les siens. Les referme aussitôt.

— Je vois que tu n’as pas envie de parler, Benoît… Repose-toi, alors…

Elle se penche, embrasse son front plissé.

— Je reviendrai demain.

Elle se lève, il touche à nouveau le sol. Toujours inerte.

Elle referme la porte, le contemple encore un instant, au travers des barreaux. Puis elle gravit les marches, lentement.

Dans le salon, elle se sert un alcool fort puis s’effondre sur le vieux sofa. Juste en face d’Aurélia.

Chapitre 11

Vendredi 24 décembre

Lydia est en avance, comme toujours. N’ayant pas envie de patienter dans la pièce surchauffée, elle préfère flâner au cœur de la ville parée de ses atours festifs.

Ils sont nombreux à déambuler dans les rues, ce matin. Pour la course aux présents. Débauche effrénée de fric, de bouffe, de strass, que Lydia trouve un peu écœurante.

Ils ont de la chance d’avoir à qui offrir des cadeaux. Moi, je n’ai personne.

Pourtant, elle pousse la porte d’une confiserie dont la renommée n’est plus à faire. Elle en ressort, un quart d’heure plus tard, un ballotin à la main.

Puis elle se dirige lentement vers le cabinet de Nina Waldeck qui a avancé le rendez-vous au vendredi pour cause de samedi férié.

Encore un bon moment à attendre ; fort heureusement, elle est seule dans la petite salle où quelques plantes vertes s’épanouissent dans la chaleur artificielle. Elle feuillette un magazine féminin, l’esprit ailleurs. À chaque page, la même vision. Une seule image devant ses yeux.

Le visage de Benoît, qui ne la quitte pas depuis des mois. Depuis qu’elle sait. La psy raccompagne le patient précédent, lui souhaite un joyeux Noël puis apparaît à la porte.

— Bonjour, Lydia… On y va ?

— On y va…

Elles échangent une poignée de main, Lydia rejoint sa place. Son fauteuil.

— Comment ça va, ce matin ?

— Bien… J’ai ça, pour vous…

Elle dépose la boîte dorée sur le bureau, avec un sourire de petite fille timide.

— Merci, Lydia. C’est très gentil… Une attention qui me touche beaucoup.

— C’est rien… Quelques chocolats. Vous aimez ça, au moins ?

Waldeck acquiesce du menton. Puis elle se met en mode écoute.

Les vannes vont s’ouvrir, comme chaque semaine. Les traumatismes, obsessions, psychoses en tout genre, inonder son espace vital.

Mais Lydia ne dit rien, aujourd’hui. Elle s’est essuyé les mains avec son Kleenex, fixe désormais la litho qu’elle connaît par cœur. Un petit port de pêche sous le soleil couchant.

— Vous désirez vous allonger ? interroge Nina.

Lydia refuse d’un signe de tête. Waldeck décide d’instaurer le dialogue. De dynamiter elle-même le barrage mental qui retient les mètres cubes de pensées boueuses.

— Alors, qu’avez-vous prévu, pour ce soir ?

— Ce soir ?

— Pour le réveillon, je veux dire.

Nina prend son stylo, se laisse aller en arrière. Enfile l’armure, ouvre le parapluie.

— Je sais pas…

— Un bon repas ?

— Peut-être.

— Vous serez seule ? Vous n’avez pas appelé vos parents ?

Le visage de sa patiente se durcit. Ses mâchoires crispées sculptent sa peau blanche comme neige.

— Je ne serai pas seule.

— Tant mieux ! Avec qui allez-vous partager cette soirée ?

— Avec un homme…

— Votre nouveau petit ami ?

— Oui, c’est ça… Je vais lui faire la totale, ce soir ! On va bien s’éclater tous les deux, j’en suis sûre !

Nina ne peut s’empêcher de rire. Lydia se détend.

— Joli programme ! commente la psy. J’espère que l’heureux élu sera à la hauteur !

— Il n’aura pas le choix… Il n’aura qu’à me laisser prendre les choses en main !

— Très bien ! Et… Votre rêve ? Celui que vous me racontiez la semaine dernière. Il a continué ?

— Oui. Chaque nuit…

— Et ?

— Chaque nuit, j’ai rêvé de lui.

Waldeck est obligée de lui tirer les névroses du nez, aujourd’hui.

— Donnez-moi des détails…

— J’ai continué à le torturer. De toutes les manières possibles.

Nina rengaine son sourire. Elle griffonne une phrase sur la feuille. Le blizzard souffle dans le cabinet.

— Racontez-moi…

— Il a souffert, vous savez… Mais il n’a pas encore avoué. Ça ne devrait plus tarder, maintenant. Nuit après nuit, il s’affaiblit…

— Ce serait bien de tourner la page, Lydia. De sortir de ce rêve. De vous débarrasser de lui.

Les yeux de Lydia brillent de mille feux.

— Vous avez raison, docteur…

Hôtel de police de Besançon, 12 h 15

L’ambiance n’est pas à la fête.

Pourtant, le patron a tenu à respecter la tradition.

Dans la grande salle, un buffet est dressé. En uniforme ou en civil, ceux qui ne sont pas en congé se sont rassemblés autour du chef de meute. Moretti a pour habitude de prononcer quelques mots, avant que les bouchons de champagne ne sautent. Le big boss s’éclaircit la voix, le silence se fait. Un silence plus lourd que les années précédentes.