— Et puis tu vas avoir terriblement froid, aussi… L’impression de geler de l’intérieur ! Pour déclencher une crise, il suffira que je te parle, ou même simplement que je te touche… A aucun moment tu ne perdras connaissance. Tu resteras conscient jusqu’au bout. Tu sais, j’ai choisi ce poison parce que c’est celui qui entraîne la mort la plus atroce. La plus douloureuse qui soit… Vu la dose que j’ai versée dans ton café, le supplice devrait durer entre six et douze heures…
Soudain, il se jette sur elle, se heurte aux barreaux qu’il a peut-être oubliés. Se met à vomir un flot d’injures dérisoires. Qui ont pour effet de déclencher l’hilarité dans le camp adverse.
Il distribue coups de pied, coups de poing, fait trembler les murs de sa voix puissante. Jusqu’à ce qu’il s’arrête. Net.
Il porte une main à son abdomen, se plie en deux puis s’effondre sur les genoux. Avant de se retrouver à quatre pattes. Comme un chien.
Lydia, les clefs à la main, attend pour pénétrer dans la cage. Il est encore potentiellement dangereux. Ses bras cèdent, il touche le sol de plein fouet.
— On dirait que ça commence ! jubile Lydia.
Le visage de Benoît se tord, sa nuque se tend. Sa respiration accélère encore.
La jeune femme juge qu’elle peut désormais entrer sans risque dans le repaire de l’assassin. Elle ouvre la porte, reste tout de même à distance, sa matraque électrique à la main. Au cas où… D’ailleurs, Benoît se relève d’un bond et fonce droit sur elle, dans un accès de violence. Mais ses jambes le trahissent, il s’écroule à nouveau dans une chute brutale. A ses pieds.
— Tu gaspilles tes forces, Benoît. Inutile de lutter… Encore une salve d’insultes, prononcées d’une voix faible.
Il est sur le dos, poings et mâchoires crispés, tremblements dans tout le corps. Yeux grands ouverts. Démesurément ouverts.
— J’avais lu les effets, mais les voir en vrai, c’est encore mieux ! Encore plus impressionnant…
Il roule sur le côté, replie ses jambes, se met à gémir. S’ensuit la première crise qui tétanise l’ensemble de sa musculature. Il s’arc-boute au maximum, hurle de douleur. Ça dure plusieurs minutes. Une éternité.
Puis il se décontracte, se replie encore sur lui-même. Demeurent juste les soubresauts pathétiques, les gémissements tragiques. Il essaie de protéger ses yeux avec ses mains contractées.
— C’est terrible, n’est-ce pas, Benoît ?
Elle se penche, lui parle tout bas.
— Dis-moi que tu regrettes… Que tu regrettes d’avoir brisé ma vie et la sienne… Tu m’entends, Ben ?
Il l’entend si bien qu’il a l’impression qu’elle lui beugle dans l’oreille à l’aide d’un porte-voix. Ce qui déclenche une nouvelle attaque, que Lydia s’amuse à exacerber en tournant autour de lui, en faisant cogner ses talons près de ses oreilles bioniques.
— Chaque bruit, Ben… Même le plus insignifiant ! Chaque mouvement devant tes yeux qui refusent de se fermer… Il suffit que je claque des doigts… Les nerfs à fleur de peau… Je comprends mieux cette expression, tout à coup !
Il n’arrive même plus à crier tant ses mâchoires sont paralysées. Sa colonne vertébrale se plie dans le mauvais sens.
Au bout d’un moment, Lydia recule doucement ; se fige contre la grille. Finalement, c’est plus dur à supporter qu’elle ne l’aurait imaginé.
Une voix familière lui intime de continuer, pourtant.
Ne renonce pas ! Pas maintenant ! Comment peux-tu éprouver de la compassion pour ce monstre ? Pardonne-moi. Tu dois le faire. Le faire pour moi… Oui. Pour toi.
Benoît sort vivant de la deuxième saisie ; plonge dans une fragile rémission. Ses dents s’entrechoquent violemment. Il sue des larmes de glace, son sang est en train de geler.
Elle s’adresse à nouveau à lui, dans un murmure.
— J’ai l’antidote à côté de moi. J’ai le pouvoir de faire cesser tout ça… A condition que tu avoues, Benoît…
Troisième crise. Plus terrifiante que les précédentes. Elle sait qu’il l’entend toujours. Qu’il n’entend qu’elle. Elle a l’impression qu’il va se briser en morceaux, telle une sculpture de cristal.
— Avoue, Benoît ! Avoue et je te donne l’antidote !
Elle se tait pour le soulager. Attend que ça s’arrête enfin.
Elle comprend qu’il essaie de parler, approche son oreille de ses lèvres déjà violettes.
Mais aucun aveu ne sort de la marionnette électrifiée. Quelques râles funèbres tout au plus.
Elle perd patience, l’empoigne par les épaules. Ce contact déclenche la quatrième flambée.
— Avoue ! Avoue fumier !
Finalement, elle est obligée de lâcher l’homme à la rigidité cadavérique qui s’étrangle sous ses yeux. Nouvelle rémission.
Oui, il essaie de lui dire quelque chose mais n’arrive pas à contrôler ses muscles faciaux.
Elle aurait dû penser à ça. Même s’il le voulait, il ne pourrait pas parler dans cet état. Elle aurait dû lui proposer l’antidote pendant qu’il était encore capable d’articuler. Quelle conne !
Elle pousse un cri de rage, file un violent coup de pied dans les grilles. Qui shoote directement dans le cerveau de Benoît.
Cinquième crise.
Sa figure se cyanose, devient presque aussi bleue que ses yeux.
Lydia sort de la cage, claque la porte.
— Je vais te laisser crever, ordure ! Salaud !
Seuls les talons et le crâne de Lorand touchent le sol. Le reste est aspiré vers le plafond.
La mort joue avec lui. Le tord dans tous les sens. Terrifiant, oui.
Si je n’agis pas maintenant, il va mourir. Et jamais il ne me dira où tu es…
Elle récupère la seringue descendue en même temps que le café, revient auprès de son souffre-douleur. Plante l’aiguille dans sa cuisse, sans hésitation.
Il faut maintenant l’obliger à avaler les pilules. Mais d’abord, attendre que sa gorge se décontracte suffisamment pour laisser passer autre chose qu’un filet d’air.
Attendre, oui.
D’interminables minutes où son cœur peut lâcher. Où ses muscles respiratoires tétanisés peuvent le conduire à l’asphyxie.
Saloperie de poison !
Toujours possédé, Benoît subit les assauts ennemis. On dirait un poisson sorti de l’eau, convulsé par la mort, qui rebondit par terre. Lydia commence à douter lorsque, enfin, il se détend.
Ses bras, ses mains restent crispés mais sa colonne touche à nouveau le béton. Elle l’empoigne sous les aisselles, parvient à l’adosser à la grille dans un effort titanesque. Le force à avaler trois pilules avec un verre d’eau dont il recrache la moitié.
Il frôle une sixième crise que son palpitant n’aurait certaine-ment pas supportée.
Elle se hâte d’éteindre la lumière, évite le moindre bruit. Pose la couverture sur ses épaules.
Chaleur, silence et calme. Trois ingrédients pour lui sauver la vie. Elle reste près de lui, immobile. Et enfin, il s’évanouit.
Sans avoir livré son terrible secret.
Chapitre 13
Samedi 25 décembre
Elle a veillé sur Benoît toute la nuit.
Lui a administré une seconde injection vers minuit alors qu’il se contractait à nouveau, l’immergeant dans un coma de survie dont il n’est pas encore sorti. Lydia est triste. L’aube se lève sur son âme déconcertée ; les surprend dans leur douloureuse intimité. Il a la tête sur ses genoux ; elle, une main sur son front.
— Je ne pouvais pas le tuer sans qu’il m’ait indiqué où te retrouver, s’excuse-t-elle tout bas… Maintenant, il suffira sans doute que je le menace de recommencer pour qu’il avoue.