Выбрать главу

Elle a écouté ses délires pendant des heures, y espérant une confession. Mais il n’a rien dit d’autre que le prénom de son épouse. N’a pas levé le voile sur cette maudite journée du 6 janvier.

Cette froide journée où leur destin a basculé. Alors que le jour entre pleinement dans le sous-sol, Benoît ouvre les yeux.

Le plafond, comme au premier matin.

Il tente de bouger la tête, ses doigts, une jambe. Impossible.

Plus rien n’obéit aux ordres du cerveau entortillé dans du coton brûlant. Est-il mort ?

Pire… Enterré vivant. Ce cauchemar qui l’effraie depuis son enfance : se réveiller dans un cercueil plombé. Qui était prémonitoire, finalement.

Lydia apparaît dans son champ visuel, se penche sur sa souffrance. Il discerne ses yeux dorés à l’or fin, sa crinière flamboyante, son visage clair.

— Tu te souviens de moi ? murmure-t-elle.

Oui, il se rappelle. Si elle est près de lui, c’est que la cage est ouverte. Qu’il a une chance de sortir, de rejoindre Gaëlle et Jérémy.

Il lève le bras droit au ralenti, dans un effort surhumain, saisit sa gorge fine. Essaie de serrer. Plus de force. Son bras retombe sur sa poitrine.

— C’est inutile, Benoît… Tu ne peux plus bouger. C’est à cause de l’antidote… Je vais te laisser te reposer, maintenant. Je reviendrai dans la journée.

Elle remonte la couverture sur son corps insensible.

— Je reviendrai pour écouter ce que tu as à me dire. Quand tu auras retrouvé la parole…

Elle claque la porte, le cœur de Lorand saigne de douleur.

— Au fait… Joyeux Noël, Ben !

Entre conscience et inconscience, Benoît ne s’est pas rendu compte que les heures passaient, l’une après l’autre.

Ce n’est que lorsque le crépuscule tape au carreau du soupirail qu’il s’éveille.

Complètement.

Il lui faut un bon quart d’heure pour parvenir à s’asseoir contre la grille. Un de plus pour se mettre debout. Un autre pour atteindre le lavabo. Et boire un demi-litre d’eau avant de retourner sur sa fidèle couverture.

Son corps n’est rien d’autre qu’un morceau de bois courbaturé, malgré les décontracturants à haute dose. Il a les tripes en feu, l’équilibre aléatoire.

Il se souvient de tout. De cette souffrance extrême, des mots de l’empoisonneuse. Il sait qu’il n’a pas avoué, aussi.

Si j’avoue, je suis mort.

La lumière s’allume, Lydia irradie le cachot de sa présence éblouissante. Rien à faire, il ne peut la trouver laide ; son enveloppe charnelle masquant à la perfection sa cruauté intrinsèque. Comme ces plantes vénéneuses aux parfums enivrants…

— Ça va mieux, Ben ?

Bien sûr, elle reste de l’autre côté. Pourtant, il n’aurait pas la force d’aplatir une mouche. Elle se colle aux barreaux, tout contre lui.

— Je pense que maintenant, tu es disposé à avouer, n’est-ce pas ?

— Je suis innocent…

Ce nouveau mensonge la laisse sans voix quelques instants. Elle s’y attendait si peu… Puis la colère germe aussitôt dans ses entrailles.

— Tu veux que je recommence ? Que je te force à avaler encore un peu de strychnine ?

— Non… Je veux que ça s’arrête… Je veux rentrer chez moi !

Elle lui répond par un odieux sourire.

— Tu ne rentreras plus jamais chez toi, pourriture !…

Mets-toi bien ça dans le crâne ! T’es qu’un assassin ! Un violeur et un meurtrier !

— Non !

Il se met soudain à pleurer. En silence, d’abord. Avant d’éclater carrément en sanglots. Elle se tait pour écouter, savourer pleinement chaque seconde de ce moment tant attendu.

— Vas-y, Ben, pleure… C’est tout ce qu’il te reste ! Oubliés les remords ou les hésitations de cette nuit.

Elle est à nouveau armée jusqu’aux dents. Dopée par la faiblesse ennemie.

— T’es pas un homme ! hurle-t-elle. T’es une merde ! Un lâche, un faible ! Rien qu’une merde !

Il s’effondre littéralement, sous l’œil impudique et réjoui de son ange tortionnaire.

— Il est où le super flic ? ricane Lydia. Hein ? Il est où le commandant Lorand qui se prenait pour un héros ?

Disparu. Enterré vivant.

Dimanche 26 décembre, 3 heures du matin

— Nous habitions ici lorsque Aurélia a été enlevée… Recroquevillé dans un angle de son enclos, Benoît n’a pas d’autre choix que d’écouter. Ecouter sa geôlière qui souffre d’un irrépressible besoin de confession, au beau milieu de la nuit.

— C’est la maison familiale… Celle où j’ai grandi. Mes parents l’avaient abandonnée, quelques mois après la disparition d’Aurélia. On est partis habiter en ville, à Besançon. Ils ne supportaient plus de rester ici… Tu comprends ?

— Oui, je comprends.

— Alors, on est partis. Mes parents, je les vois plus, maintenant… On ne s’aime plus, eux et moi… Ils pensent que je suis malade. Que c’est la mort d’Aurélia qui m’a rendue folle. Eux, ils auraient voulu l’oublier, faire leur deuil, comme ils disent ! Mais on ne peut pas oublier. On n’a pas le droit… Aurélia, elle était souvent triste… J’ai jamais su pourquoi. Comme si elle savait ce qui l’attendait… Comme si à la naissance, elle avait deviné qu’elle allait mourir jeune… Si jeune…

Lydia allume une clope ; la flamme du briquet perce une seconde durant l’obscurité totale du cachot. Benoît a juste le temps d’apercevoir les reflets auburn de ses cheveux, l’auréole cristalline de son visage. Puis la nuit récidive lourdement.

— Tu crois qu’on peut savoir ça, dès la naissance ?

— Je… Peut-être. Moi, j’ai souvent rêvé que j’allais finir enterré vivant… Ce cauchemar m’a harcelé tant de fois…

— Vraiment ? Ça voudrait dire que le destin existe, alors… Peut-être qu’Aurélia connaissait le sien. Qu’elle attendait juste de te rencontrer pour qu’il s’accomplisse…

— Ce n’est pas moi qui l’ai tuée, martèle Benoît d’une voix lasse. Je suis innocent, Lydia.

Elle ne semble même pas l’entendre ; poursuit son retour en arrière, comme si elle se parlait à elle-même.

— On était tout le temps ensemble… On ne se quittait jamais. Les inséparables, on nous appelait ! Mais ce jour-là… Ce jour-là, nous nous sommes disputées. Ça nous arrivait presque jamais, tu sais… Mais ce jour-là… On était parties toutes les deux, sur la route. Comme souvent, à l’époque. C’était un mercredi après-midi, on devait se rendre chez une copine… Et puis… Tout ça à cause d’un garçon ! On était amoureuses du même garçon, tu te rends compte ?

Il sourit aux ténèbres. Sans trop savoir pourquoi, cette histoire le touche. Cette fille qui va le tuer, son bourreau, arrive à s’infiltrer en lui jusqu’à effleurer son âme. Surtout lorsque les souvenirs parent sa voix de notes enfantines.

— Alors, on s’est séparées… Aurélia a continué son chemin, décidée à aller chez sa copine et moi, j’ai fait demi-tour pour rentrer à la maison…

Il devine soudain qu’elle pleure. Son cœur se serre. Pourtant, il devrait se réjouir de l’entendre chialer à son tour.

— Si… Si j’étais restée avec elle, peut-être qu’elle serait encore en vie ! Peut-être que… Que tu n’aurais pas osé t’attaquer à nous deux, ensemble… Réponds, Ben !

— Je… Je pense que si tu étais restée avec elle, celui qui a tué Aurélia t’aurait tuée aussi.