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Si. Les souvenirs constituent désormais son seul refuge. Ils servent donc à cela… Les souvenirs et l’espoir, un peu fou, qu’il sortira d’ici ; et hurlera les je t’aime qu’il a oublié de dire si souvent, les répétera jusqu’à tarir sa voix.

Lydia n’est pas revenue le persécuter, hier. Entracte entre deux scènes barbares.

Comme si elle lui laissait reprendre quelques forces avant l’affrontement suivant. L’affrontement final, peut-être.

Elle est juste descendue quelques instants. Pour le regarder. Ou vérifier qu’il était toujours vivant. Et pour lui montrer les fameuses lettres anonymes, fabriquées avec des coupures de journaux.

Elle les a bel et bien reçues. A moins qu’elle ne les ait confectionnées elle-même. La folie ne connaît sans doute aucune limite…

Benoît effleure machinalement du bout des doigts une de ses plaies sur le torse. Une qui a dû s’infecter et le fait souffrir.

Il sait qu’elle va revenir. Humiliation, poignard, électrochoc, poison… Que va-t-elle lui infliger comme supplice, aujourd’hui ?

Vivre avec la peur chevillée au corps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tel est son terrible sort, à présent. Le sort de tous ceux qui se retrouvent à la merci d’un autre.

Maintenant elle ne tardera plus. Il est de nouveau en état d’encaisser, alors elle va recommencer à le tourmenter. Jusqu’à ce qu’il avoue.

Comme pour répondre à ses angoisses, des pas annoncent le prochain round. Sa tension artérielle grimpe en flèche, ses muscles se tendent douloureusement.

Elle descend les marches, sans se presser. Apparaît derrière la grille.

Les armes sont à portée de main. Elle n’a que l’embarras du choix.

Au gré de ses envies, de son humeur. Ou de ses hormones.

Ce n’est qu’un jeu, après tout… Un jeu de massacre.

— Salut, Ben… Comment tu te sens ?

Elle parle dans le vide, mais c’est sans importance. Elle a pris l’habitude de soliloquer, de formuler questions et réponses.

— Tu as réfléchi ? Tu es prêt à passer aux aveux ? Il inspire profondément. Si j’avoue, je suis mort.

— Je suis innocent, Lydia. Innocent…

— Comme tu voudras ! répond-elle dans un soupir un peu las. Je dois dire que tu es plus costaud que je l’aurais imaginé… Bien plus résistant que je l’aurais supposé ! Mais on a tous nos points faibles ! Et je crois que j’ai trouvé ton talon d’Achille…

Son sang circule en excès de vitesse, brûle même les feux rouges. Il conserve pourtant son air impassible. Il est rôdé, désormais.

— Je suis allée me balader, hier, poursuit-elle. Il faisait froid, mais ce n’était pas désagréable… C’est bon de prendre l’air ! Tu t’en souviens ?

A peine. Ayant presque oublié la sensation du vent sur sa peau.

Elle sort quelque chose de sa poche, le jette dans la cage. C’est une photographie, qui atterrit près de lui dans une spirale aérienne. Il tend le bras, la récupère. Son cœur explose.

— C’est vrai qu’elle est jolie, ta femme… Et ton fils, il est mignon comme tout ! J’ai pensé que ça te plairait de savoir qu’ils sont heureux sans toi ! Tu vois, hier, ils se sont promenés au bord du Doubs.

— Tu… Tu les as suivis ?… Pourquoi ?

— Je sais pas. Je me suis dit que c’était eux, la solution.

Elle s’assoit sur la chaise, Benoît se lève au ralenti.

— Dans ton manteau, j’ai trouvé un trousseau de clefs… Celui qui ouvre la porte de ta maison, je présume. Alors cette nuit, je vais aller chez toi. Rendre une visite à ta petite famille. Je n’irai pas les mains vides, tu sais ! Je prendrai la matraque électrique et le flingue…

Elle allume une cigarette.

— Et je les torturerai. Avant de les tuer.

Lorand suffoque. Son cerveau s’enflamme, un métal en fusion coule dans ses veines.

— À moins que tu ne me dises ce que je veux entendre, bien sûr, précise-t-elle.

Si je n’avoue pas, ils sont morts. Pourtant, les mots ne viennent pas.

— Je vais m’occuper de ton fils, surtout. Je t’en ramènerai un morceau en souvenir… Tu veux quoi ? Une main ? Ou…

Lorand se précipite vers la grille. Il n’avait pas bougé aussi vivement depuis longtemps. Il a encore de l’énergie. Une incroyable énergie.

— Si tu touches à mon fils ou à ma femme, je t’expédie en enfer ! hurle-t-il.

— Vas-y, Ben ! balance-t-elle en rigolant. Essaie donc de casser ces barreaux ! Montre-moi ce que tu as dans le ventre !

Elle piétine son mégot sur le sol.

— La nuit ne va pas tarder à tomber, mais je vais attendre qu’ils dorment… Ce sera plus pratique ! Tu as un message à leur faire passer ? Un truc que je dois dire à Gaëlle avant de l’éliminer ?…

Après sa quinte de violence, Benoît est désormais groggy. Sans réaction.

Lydia commence à monter l’escalier.

— Tu es sûr ? Aucun message ? Tu prétendais l’aimer si fort, pourtant…

— Attends ! implore-t-il. Attends…

Elle continue son ascension, d’un pas lent.

— C’est moi ! s’écrie-t-il soudain.

Elle s’arrête, tourne la tête vers lui.

— C’est moi qui ai tué ta sœur !

Le visage de Lydia oscille entre soulagement et haine bestiale. Elle revient en arrière, se plante devant les tiges d’acier.

— Je veux que tu me dises tout. Tout. Sinon…

Il recule un peu, glisse contre le mur. Retourne à sa place ; sur la couverture.

— Elle était sur le bord de la route. Il faisait presque nuit. Je… Je roulais trop vite… Je l’ai vue au dernier moment, je n’ai pas réussi à l’éviter…

La stupeur, en face. Devant tant d’outrecuidance. Puis la fureur, comme un geyser.

— Tu te fous de ma gueule, espèce d’enfoiré !

— Non, je t’assure !

— Tu essaies de me faire croire que c’était un accident ? C’est ça ?

— Je te jure que…

— Ta gueule ! Tu mens ! Tu mens encore ! Si c’était un accident, t’aurais pas gardé son médaillon ! Et tous ces objets que j’ai retrouvés chez toi ! Tes trophées de chasse !

Il ferme les yeux. Nouvel échec.

— Puisque tu continues à me mentir, je vais aller chercher ton gosse et lui ouvrir le ventre devant toi… Tu entends Ben ?! C’est ça que tu veux ? Je t’obligerai à bouffer ses tripes encore chaudes !!

Lydia est hystérique. Tout juste si elle n’a pas la bave aux lèvres.

— Ne fais pas ça, je t’en prie…

— Je te laisse dix secondes pour me dire la vérité ! Dix secondes, pas une de plus !

Il est conscient qu’elle ne bluffe pas. Prête à tout, depuis le début. Suffisamment aliénée pour commettre l’irréparable.

— D’accord… C’était pas un accident… Je… J’ai vu ta sœur sur le bord de la route. Je me suis arrêté…

Lydia vacille, tant le moment est difficile. Pourtant, elle l’attend depuis si longtemps… Alors, elle se rassoit.

— Je lui ai dit qu’il n’était pas prudent de marcher seule, en pleine nuit, dans cet endroit désert… Je lui ai proposé de la raccompagner. Elle ne s’est pas méfiée, elle est montée. Elle était… Elle était jolie, déjà… aussi jolie que toi. Je sais pas ce qui m’a pris… J’ai emprunté un chemin qui partait dans la forêt, je me suis arrêté un peu plus loin, à deux cents mètres de la route…

Les premières larmes naissent dans les yeux de Lydia, ses lèvres tremblent.

— Continue, ordonne-t-elle à voix basse. Continue, putain !

— Je… Je l’ai forcée à…

Benoît s’arrête, sa gorge se tétanise. Il tourne la tête, pour échapper au regard de braise de sa juge. Pourtant, il n’a plus le choix. Il doit monter sur l’échafaud, marche après marche.