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Il goûte, du bout des lèvres. Pas d’amertume ; il descend le reste d’un trait. Puis s’attaque à sa maigre pitance.

— Magne-toi ! ordonne Lydia.

Il avale la troisième et dernière bouchée, elle lui jette son manteau, ses chaussures. Il s’habille, s’approche sagement des grilles pour se faire menotter les poignets. Drôle d’impression que de sortir de cette cage…

Il gravit les marches devant elle, franchit la porte qu’il entend grincer depuis des jours. Il s’avance dans un étroit couloir, aussi sombre que le sous-sol. Le calibre braqué entre ses omoplates.

— Comment tu as réussi à me porter jusqu’en bas ? s’étonne-t-il soudain.

— Je ne t’ai pas porté !… Tu marchais tout seul !

— Tout seul ?!

— Oui ! C’est magique, le GHB, non ? Tu as gentiment fait tout ce que je t’ai demandé… Y a que dans l’escalier que tu t’es cassé la gueule ! Tu t’es laissé enfermer sans protester !

Encore quelques marches puis ils débouchent dans une sorte de cellier. Ils traversent la cuisine, arrivent dans le salon. Là, Benoît reconnaît les lieux. L’endroit où il s’est fait piéger comme un con.

Subitement, il s’immobilise. Son regard vient de buter sur une photo, posée sur un vieux bahut branlant. Juste en face du canapé.

— Qu’est-ce qui se passe, Benoît ? Ça te fait mal de revoir Aurélia ?

Il aurait dû y penser plus tôt. C’était tellement évident, pourtant.

— T’avais pas compris qu’on était jumelles ? Tu me déçois, Ben… Allez, avance.

Sur le perron, il est happé par le froid et par un vertige soudain.

La voiture de la jeune femme les attend, juste devant. Lydia ouvre la porte côté passager. Benoît grimpe, toujours sous la menace de son propre revolver. Elle monte derrière lui, à son grand étonnement. Qu’est-ce qu’elle manigance, encore ?

Elle passe un lacet autour de son cou, lui plaque la nuque contre l’appuie-tête.

— Tu m’étrangles, putain !

— Du moment que t’arrives à respirer… Comme ça, je suis sûre que tu resteras tranquille !

Elle termine son nœud bien ajusté, s’assoit au volant.

— Tu aurais pu me donner mon pull, je me les gèle !

— Ta gueule ! Sinon je serre plus fort.

La voiture démarre. En avant pour une balade nocturne qui n’a rien de romantique.

Heureusement, cette nuit, c’est pleine lune. Un cadeau du ciel ; un signe, peut-être…

Ils ont parcouru quelques kilomètres pour arriver aux environs d’Eclans.

Benoît a du mal à respirer, prisonnier de son collet d’étranglement.

Il est scotché au siège, c’est le cas de le dire !

Une drôle d’impression aussi. Revoir l’extérieur, même au travers d’un pare-brise, même en risquant sa peau. Comme un souffle de liberté, déjà…

— On va où, maintenant ? demande Lydia d’une voix tranchante.

Il essaie de répondre.

— Encore un peu… plus loin… un chemin à droite… Elle roule doucement afin ne pas rater l’embranchement.

Lorand connaît bien l’endroit. Il venait y jouer gamin, y retourne parfois pour son jogging du dimanche. Cette nuit, ce sera plutôt un sprint.

— Celui-ci ? questionne la jeune femme en ralentissant.

— Oui…

La voiture s’engage sur la bande de terre. La forêt est impressionnante, en pleine nuit. Mais la conductrice l’est plus encore. Son profil tendu, ses yeux de fauve qui scrutent la pénombre, sa détermination… Benoît s’instille une bonne dose de courage.

— Arrête-toi !

Elle pile, tourne la tête vers son passager.

— C’est là ?

— Oui.

— C’est là que tu l’as tuée ? précise-t-elle.

— Oui.

Elle range la voiture sur le côté, coupe le contact. Un silence terrifiant s’abat sur eux. Lydia contemple les lieux du drame dans la lumière indécente des phares. Seule la respiration difficile de Lorand érafle ce recueillement nocturne et douloureusement muet.

— Raconte-moi…

Il sursaute.

— J’ai déjà raconté !

Elle lui enfonce le flingue dans la gorge. De plus en plus dur de parler.

— Je veux tout savoir… Tout ce que tu lui as fait subir, espèce de salaud !

L’arme descend jusqu’à se braquer sur son entrejambe. Mais il ne peut pas pencher la tête pour vérifier, alors elle appuie sur la crosse. Lui extorque un cri.

— Raconte…

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?! gémit-il.

— Tout !

— Je croyais que tu voulais la retrouver…

— Plus tard. D’abord, tu me donnes tous les détails. Je veux savoir. Sinon, je te transforme en eunuque, compris ?

Elle presse encore sur l’arme, le visage de Benoît se déforme.

— T’énerve pas, je t’en prie…

Il reprend sa respiration, active son cerveau qui dérive au milieu des icebergs.

— Je… Je l’ai emmenée ici… Et puis, je l’ai forcée à… Je l’ai violée.

— Comment ?

Il écarquille les yeux.

— Quoi, comment ?

— Je veux tout savoir, Ben… Tu n’as pas encore compris ?

Elle caresse sa cuisse avec le revolver. Descend jusqu’au genou, remonte en sens inverse. Il transpire, malgré la température négative.

Sueur froide.

— Je l’ai sautée, c’est clair, non ?

— Tu l’as obligée à te faire des trucs dégueulasses ? De pire en pire. Il a envie de gerber maintenant.

— Non… Rien du tout… Je te jure.

— Où ça s’est passé ?

— Sur la banquette arrière.

— Elle t’a supplié ?

Comme il refuse de répondre, elle remet un peu de pression. Il grimace.

— Non. Elle avait juste peur… Je l’ai tuée très vite.

— Je suis sûre que tu mens, enfoiré !

— Mais non ! Je… Je l’ai étranglée, elle est morte rapidement… Et puis je l’ai enterrée… Pas très loin d’ici.

— Comment as-tu creusé le trou ?

Question stupide ! Certainement pas avec une petite cuiller !

— Je… Avec une pelle…

— Une pelle ? On se promène pas avec une pelle dans le coffre de sa bagnole… Sauf si tu avais prémédité ton meurtre…

Pertinente remarque. J’aurais dû penser à ça ! Que je suis con…

— C’est ça ? Aurélia n’était pas ta première victime ! Tu avais l’habitude !

Réfléchis, Ben !

— Non ! Lorsqu’elle a été morte, j’ai paniqué… Je l’ai mise dans le coffre, je suis allé chercher des outils dans le garage de mon père… Et je suis revenu ici pour l’enterrer… Je t’ai tout dit, maintenant.

Mais l’arme est toujours là, pile entre ses jambes.

— Tu vas crever, ordure… Et crois-moi, ce ne sera ni rapide, ni indolore !

— Je t’en prie, Lydia ! J’ai tout avoué, maintenant… Tu pourrais me donner aux flics… J’veux pas mourir !

— Est-ce que ma sœur a dit ça, aussi ? J’veux pas mourir…

— Elle n’a pas eu le temps… Tout a été très vite !… J’ai jamais compris pourquoi j’avais commis cette horreur… Mais si tu savais comme je regrette ! Chaque jour, chaque nuit… Je n’ai jamais cessé de penser à elle !

— Tu mens encore, Ben !

Il se met à pleurer. Il n’a même pas besoin de feindre.

— Tu vas me montrer où elle est…

— Oui, tout ce que tu voudras… Mais on n’y voit que dalle, ajoute-t-il. Comment on va…

— T’inquiète, j’ai tout prévu.