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Elle ouvre le coffre, y récupère une Maglite puis détache le lien qui lui serre le cou.

— Descends !

Il s’extirpe péniblement de la voiture, reçoit la lumière surpuissante en pleine tête.

— Tu passes devant. Conduis-moi… Et si jamais tu essaies quoi que ce soit, je te jure que tu le regretteras !

— D’accord… Mais que feras-tu, une fois sur place ? Tu vas me demander de creuser, c’est ça ?

— Tu me prends pour une conne ? Pour ça, faudrait que je te détache… Et je n’en ai pas la moindre intention ! Pour l’instant, je veux juste que tu me conduises jusqu’à ma sœur…

Elle verrouille le véhicule, Benoît s’enfonce dans les sous-bois, la jeune femme sur ses talons.

Choisir le bon endroit, là où il pourra courir. Mais d’abord, habituer ses yeux à l’obscurité. Ils cheminent une dizaine de minutes, sur un étroit sentier.

— C’est encore loin ? aboie Lydia.

— J’ai du mal à me repérer, prétend Lorand. Pourtant, je suis sûr que c’est par là…

— Dépêche-toi de trouver… Je perds patience !

— C’est dans le coin, j’en suis certain.

Il avance, encore un peu. S’immobilise subitement à côté d’un frêne imposant, au milieu d’une minuscule clairière.

— C’est là-bas… près du rocher.

Lydia braque la torche sur la grosse pierre, l’émotion lui faisant oublier le danger, un quart de seconde. Benoît fond sur elle, comme un bulldozer, la renverse d’un coup d’épaule. Il shoote dans le revolver, tandis qu’elle se relève. Mais il ne lui laisse pas le temps de remettre la main sur l’arme ; lui assène un coup de tête violent avant de prendre ses jambes à son cou.

Pas évident de courir avec les mains attachées dans le dos.

Malgré tout, Lorand pulvérise des records de vitesse, propulsé par des litres d’instinct de survie. Il dépasserait allègrement un champion du cent mètres, s’il y en avait un assez fou pour s’entraîner dans les parages en pleine nuit.

Lydia est déjà debout. Elle récupère la lampe, le revolver. Et, les yeux écumant de rage, le visage en sang, elle se lance à la poursuite du gibier en fuite.

Benoît s’arrête. Plus une once d’air dans ses poumons qui sentent le brûlé.

Pourtant, il ne court comme un dératé que depuis trois minutes. Mais déjà, il n’a plus de forces. Appuyé contre la peau rugueuse d’un chêne, il tente de reprendre son souffle. Soudain, il sent une vibration sur son torse, puis entend une mélodie de plus en plus forte.

Un téléphone ! Dans la poche intérieure de son pardessus. Non, ce n’est pas le sien.

Cette salope a collé un portable dans son manteau !

Il tente de se débarrasser du mouchard. Mais comment y parvenir sans l’usage de ses mains ?

Elle a vraiment pensé à tout ! Son intelligence n’a donc pas de limites ?

Il aperçoit le faisceau lumineux qui serpente dans sa direction.

— Et merde !

Il reprend son marathon effréné, le cœur en zone rouge. Le froid lui écorche la poitrine, la peur lui consume la tête.

La lueur de la Maglite rampe dans ses pas, désormais. La vipère est à ses trousses, elle n’abandonnera pas.

Le téléphone sonne à nouveau. Ce n’est pas une douce mélopée, plutôt un clairon qui hurle à tue-tête. Il télescope un tronc d’arbre pour tenter de clouer le bec à la saloperie de portable. Donne des coups désespérés. En vain.

Il se remet à courir, tente de s’éloigner le plus possible.

Et soudain, la lumière le percute pleine face.

Le bruit assourdissant de la détonation, la douleur qui le fauche dans le feu de l’action, un hurlement qui éventre la nuit aveugle.

Lydia s’approche, éclaire la scène du crime. Benoît se contorsionne sur le sol en gémissant de douleur. La balle a pénétré dans son épaule droite, il a l’impression qu’on lui a arraché le bras.

— Debout !… Allez, lève-toi fumier ! Sinon je t’en colle une autre dans la jambe !

Le saisissant par le col de son manteau, elle l’oblige à se remettre debout avant de le crucifier contre un arbre et de lui planter le canon sous la mâchoire.

— Tu croyais pouvoir me fausser compagnie, connard ? Ça a l’air de faire très mal… Mais pas assez, à mon goût… Où est Aurélia ?

— J’en sais rien !

Elle appuie sur la plaie béante avec la paume de sa main, lui arrache un nouveau hurlement.

— Où est-elle ?!

— Je sais pas… C’est pas moi qui l’ai tuée !

Lydia file un coup de poing dans sa blessure, il se plie en deux.

— J’ai menti ! Pour pas que tu ne touches à ma femme et à mon fils ! gémit-il. Mais c’est pas moi ! C’est pas moi… Je sais pas où elle est…

Elle devine qu’il ne va pas tarder à perdre connaissance.

— On réglera ça à la maison… On retourne à la bagnole… Avance ! Avance !

Ils se remettent en marche. Benoît sent le flingue contre ses vertèbres, chute à plusieurs reprises.

Il appelle au secours. Là, en plein cœur du désert végétal.

La sanction est immédiate. Un coup de crosse en haut du dos l’envoie une nouvelle fois au tapis. Lydia le contraint à se relever, encore et encore.

Ses forces s’amenuisent, pas après pas. Respiration après respiration. Mais ce n’est pas ça le pire. Le pire, c’est cette effrayante certitude.

Cette fois, il le sait, il va crever. Comme un chien.

Lydia le pousse violemment dans la cage. Benoît perd l’équilibre et s’effondre sur les genoux. L’ange tortionnaire est toujours là. Le visage tuméfié, fielleux. Une barre de fer entre les mains.

— Je vais te faire regretter cette pitoyable tentative, enfoiré !

Il a toujours les poignets menottes, bien sûr.

— Je suis innocent ! C’est pas moi qui ai assassiné ta sœur ! Quand est-ce que tu vas comprendre ?!

— Il y a quelques heures, tu avouais le contraire…

— Je voulais juste sauver ma femme et mon fils !

— Pourquoi tu t’acharnes comme ça ? Je sais que c’est toi… Et tu aurais dû me montrer où est Aurélia… Tu n’aurais jamais dû me frapper ou essayer de t’enfuir ! Parce que je vais t’en passer l’envie, crois-moi ! Un choc dans le dos le projette face contre terre. Ensuite, c’est le déluge de coups et d’insultes. Lydia vomit quinze ans de haine refoulée.

Benoît fait le mort ; si elle continue, il n’aura bientôt plus besoin de feindre.

À des kilomètres de là, en plein cœur de la ville, le commissaire Moretti laisse libre cours à son vice.

Il étanche sa soif insatiable de gagner, en compagnie de trois autres flambeurs invétérés, tout aussi concentrés que lui.

Mais la chance ne lui sourit pas, ce soir encore. Il y a déjà plusieurs heures qu’il vit à crédit. Que l’addition augmente, irrémédiablement. Entre ses mains, des cartes sans valeur. Mauvaise pioche, une fois de plus. Il a beau être un fin stratège, il ne peut accomplir de miracles avec un assemblage de couleurs aussi indigent.

Finalement, il abandonne, vers trois heures du matin. Demain encore, il sera irascible, épuisé. Comme souvent.

Passera sa mauvaise humeur sur ses subordonnés.

Comme toujours. Un des avantages d’être le boss !

Avant qu’il ne quitte les lieux du naufrage, le patron du cercle privé lui rafraîchit la mémoire. La note est salée, Moretti assure qu’il paiera avant la fin de la semaine.

Il remonte le col de son blouson, se fond dans la nuit protectrice pour rejoindre sa berline. Il va falloir se procurer l’argent, à nouveau. Mais il sait déjà où le prendre. Il a trouvé une manne, un filon. Oui, elle paiera. Tout ce qu’il voudra, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus un sou en poche.