— Vas-y, tue-moi si ça te chante ! Mais jamais je ne pourrai t’offrir ce que tu attends de moi… Jamais tu ne pourras savoir où est ta sœur si tu t’acharnes à massacrer un innocent ! Je croyais que tu avais soif de justice, Lydia… Je te croyais intelligente !
Une décharge en pleine tête lui cloue le bec. Il s’effondre contre la grille, paralysé, groggy. Elle lui saisit le poignet gauche, l’attache à un barreau. Il reprend conscience au moment où elle ouvre la porte.
— Alors, tu veux jouer, c’est ça ?
— Non… Je veux que tu me croies… Je veux que… Nouvel électrochoc, en pleine poitrine. Nouvelle contraction généralisée, nouveau cri.
— À chaque fois que tu ouvriras la bouche pour prononcer un mensonge, la sanction tombera, explique-t-elle. Alors, tu as encore quelque chose à dire ?
— La preuve de… mon innocence… est chez moi… dans mon bureau…
Troisième décharge, il n’a même plus la force de crier. Met de longues minutes à recouvrer l’usage de la parole. Mais Lydia n’est pas pressée.
— Tout s’apprend, Ben… Tout. Et je vais t’apprendre à dire la vérité.
— Je… suis innocent…
Foudroyé, une quatrième fois. Elle s’accroupit pour descendre à hauteur de son visage. Il dégouline contre les barreaux, suspendu par son poignet entravé. Semble évanoui.
— Tu m’entends, Ben ?
Pas de réponse.
— Tu vas cesser de mentir, n’est-ce pas ?
Elle intercepte encore un mot, comme un râle. Innocent.
— Tu as la tête dure, dis-moi…
Cinquième électrochoc qui le tétanise entièrement. Elle patiente, mais il ne revient pas à lui. Pourtant, sur la notice, c’était écrit en toutes lettres. Arme de défense non létale.
Hôtel de police, 18 h 30
Gaëlle a indiscutablement les nerfs solides. Fabre et Fashani ont exercé leur talent inquisiteur sur elle depuis le matin. Sans aucun résultat. Impossible de lui faire cracher le morceau. De découvrir la destination de ces trois mille euros.
Elle n’a même pas essayé de mentir, s’est contentée de garder le silence.
Après une bonne heure dans les geôles de garde à vue, elle patiente à nouveau en salle d’interrogatoire. Mais ce ne sont pas ses tourmenteurs habituels qui poussent la porte.
Surprise… Éric Thoraize apparaît dans la pièce lugubre. Elle se précipite dans ses bras, s’accroche à lui avec désespoir. Son sauveur, sans doute.
Le lieutenant la réconforte en silence.
— Tu vas me sortir de là ? gémit Gaëlle.
Il la repousse doucement, la raccompagne jusqu’à sa chaise.
— Gaëlle… Ils te soupçonnent d’avoir payé quelqu’un pour éliminer Benoît…
— Je sais ! Mais c’est ridicule ! Tu ne vas pas les croire, tout de même ?!
— Non… Je ne pense pas que tu aies pu faire une chose pareille. Mais dans ce cas, il te suffit d’expliquer à quoi ont servi ces trois mille euros. Et si c’est vérifiable, tu seras relâchée.
Gaëlle se mure à nouveau dans le silence.
— Pourquoi tu ne veux pas nous le dire, hein ? questionne-t-il d’une voix douce.
Elle le fustige du regard.
— Ils t’ont envoyé pour faire le sale boulot ?! C’est ça ? Tu ne crois pas que tu devrais plutôt chercher Ben ?
Il baisse les yeux.
— J’ai des ordres, explique-t-il. Il faut qu’on sache comment tu as utilisé ce fric…
— Non. C’est privé.
— Gaëlle, sois raisonnable, je t’en prie…
— Va te faire foutre ! Si tu penses que j’ai pu tuer Benoît, c’est que tu es dans leur camp !
— Calme-toi, prie-t-il d’une voix un peu plus ferme. Je peux comprendre leur raisonnement. Ils ne te connaissent pas et ils savent que…
— Que je suis cocue, c’est ça ?
Thoraize hoche la tête.
— Et toi ? Tu le savais ? balance-t-elle.
Il soupire en guise de réponse.
— Tu le savais ?… Réponds !
— Disons que… que je connais bien Benoît… Alors oui, je savais des trucs…
— Parce qu’il s’en vantait au bureau ? C’est ce que tu essaies de m’expliquer ?
— Non… Mais lui et moi, nous sommes proches. Il lui arrivait de se confier à moi.
Elle vient se planter face à lui.
— Quel genre de confidences te faisait mon mari ? murmure-t-elle d’une voix aiguisée. Des trucs du style elle est bonne, celle-là, tu devrais l’essayer… C’est ça, Éric ?
Il fixe ses chaussures, puis la porte. Envie soudaine de déguerpir.
— Et sur moi, que te disait-il ?
— Il t’aime, Gaëlle… Ça, il me l’a souvent rappelé. Lorsque je lui disais qu’il déconnait, il répondait qu’il t’aimait plus que tout !
— Pourquoi parles-tu de lui au passé ? Parce que tu penses que je l’ai assassiné ?
— Non, mais je conçois que les autres puissent avoir des doutes. Surtout à cause de ces trois mille euros…
— Ce fric m’appartient, rappelle Gaëlle. Je n’ai pas à me justifier devant les sous-fifres de mon mari… Ramenez-moi en cellule, lieutenant.
Il met du temps à revenir d’entre les morts. Lydia s’impatiente. Alors, elle décide de l’aider un peu. Elle prend de l’eau dans le creux de ses mains, lui asperge la figure. Enfin, ses paupières daignent se lever. Elle commençait à s’ennuyer.
— Coucou, Ben…
Cette voix le persécute dès son réveil. Après un défilé de cauchemars, la réalité lui tombe dessus, tout aussi terrifiante. Un fléau qui s’abat sur lui sans aucun moyen d’y échapper.
Il réalise qu’elle est dans la cage ; puis que son bras gauche est menotte à la grille. Évidemment.
— Alors, comment tu te sens ? T’as pas l’air en forme, tu sais… Pourtant, tu devrais être survolté !!
Très drôle… Elle est bourrée d’humour, en plus.
Il se remet dans une position plus orthodoxe, appuie son épaule meurtrie contre les barreaux. Ses yeux n’aspirent qu’à une chose ; se refermer. Il préfère encore ses abominables songes au visage de cette fille. Il grelotte, mordu par le froid ; s’aperçoit alors que sa chemise est ouverte.
— J’ai profité de ton sommeil pour refaire ton pansement, précise-t-elle.
Il ouvre la bouche, a un mal fou à parler. À articuler le moindre son. Il se concentre.
— T’en as surtout… profité pour… me tripoter…
Elle éclate de rire.
— Rassure-toi, Ben, je ne t’ai pas violé… Contrairement à toi, je n’abuse pas des gens. Ni des enfants…
Comment peut-elle passer aussi facilement du rire à la haine ?
Il revient sur son idée fixe.
— Tu… as réfléchi, Lydia ?
— Réfléchi ? Non. Je t’ai juste regardé dormir.
— Je ne dormais pas, j’étais évanoui…
— Qu’est-ce que ça change ? Tu es toujours aussi mignon…
— Je suis certain que t’es une fille à l’intelligence exceptionnelle Lydia…
— Continue ! J’adore quand tu me flattes !
— Je le pense vraiment. Les grands criminels sont en général intelligents ; mon boulot m’aura au moins appris ça…
— Tu oublies que le seul criminel ici, c’est toi !
— Non. Moi, je suis innocent. Et au fond de toi, tu le sais…
— Tu veux encore une petite série d’électrochocs, Ben ?
— Tu pourras… t’y prendre comme tu veux. Je ne… te dirai rien d’autre, Lydia. Rien d’autre que la vérité… À toi de décider, désormais… Soit tu laisses mourir un innocent, soit tu reviens à la raison.