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Munie d’une torche, elle s’aventure par effraction dans l’intimité des Lorand.

La maison est déserte, comme prévu. Elle en effectue le tour, s’attarde sur une photo du couple et de leur fils. Benoît, souriant, lumineux. Heureux, sans doute. Elle passe ensuite dans le bureau, ouvre le fameux tiroir, découvre le petit coffre en bois. Jusque-là, il n’a pas menti. Pourtant, elle espère encore.

Elle éparpille les souvenirs personnels sur l’abattant du secrétaire recouvert de cuir bordeaux.

Soudain, son regard se fige sur la fameuse note d’hôtel.

Tout est là, sur ce simple et vieux morceau de papier. Son nom, les dates, le montant.

Benoît Lorand a séjourné là-bas du 2 au 12 janvier 1990.

A des centaines de kilomètres d’Osselle. À mille lieux d’Aurélia.

Elle enfouit son visage entre ses mains glacées et vogue sur un tumultueux torrent de larmes qui l’emmènera au bout de la nuit.

Chapitre 18

Vendredi 31 décembre, 8 h 30

Éric Thoraize tente le coup une dernière fois. Si quelqu’un peut faire craquer la prévenue, c’est bien lui. Fabre, qui en est conscient, lui a donc confié cette lourde tâche.

— Gaëlle, dans une heure, ta garde à vue prend fin… Nous serons obligés de te déférer au parquet. Explique-moi ce que tu as fait avec ce fric, s’il te plaît…

La jeune femme est épuisée. Pas besoin d’être médium pour le deviner. Il suffit de la regarder.

— Si… Si je parle, ça restera entre nous ? demande-t-elle soudain.

Le lieutenant est surpris. Surpris d’avoir réussi. Ou presque.

Elle est prête à basculer, il suffit d’un dernier effort.

— Non… Ça ne pourra pas rester entre nous. Mais… Je te promets de faire mon possible pour que ça ne s’ébruite pas.

— Je peux pas…

— Gaëlle, merde ! Dis-moi la vérité ! Pense un peu à ton fils ! Tu veux finir en taule ? Être séparée de lui ? C’est vraiment ça que tu souhaites ?

Elle fond soudain en larmes, il la prend dans ses bras.

— Calme-toi, je t’en prie ! Raconte-moi…

Il patiente un moment, jusqu’à ce qu’elle essuie ses joues. Et libère enfin sa conscience.

— Je… J’ai donné cet argent à un homme…

— Qui ?

— Je ne connais pas son nom…

Eric préfère s’asseoir. On ne sait jamais… La confession tant attendue risquerait bien de le déstabiliser.

— Pour quoi l’as-tu payé ?

— Pour… Pour qu’il se taise.

Le flic fronce les sourcils.

— Comment ça, pour qu’il se taise ?

— J’ai remis le fric à un maître chanteur… Un type qui sait des choses sur moi et m’a demandé du pognon en échange de son silence.

— Explique-toi.

— Je… Je voulais me venger de Ben… De tout ce qu’il me fait subir depuis des années… Toutes ces femmes avec lesquelles il me trompe !

— Continue, ordonne Eric.

— Alors j’ai… Je lui ai été infidèle, moi aussi.

— T’as un amant, c’est ça ?! Mais pourquoi tu ne me l’as pas révélé plus tôt ?! C’est pas un crime !

— Non, c’est pas tout à fait ça…

— Quoi, alors ?

Elle n’arrive pas à livrer la suite, il se fait plus persuasif. Hausse le ton.

— Parle, Gaëlle !

— Je… Je me suis dit que j’allais le faire cocu à mon tour… Pour me venger, tu vois…

— Oui, ça j’ai compris ! Et alors ?

— J’ai… J’ai passé une annonce sur le net… Pour trouver des mecs…

— Des mecs ?! répète le lieutenant.

— Oui. J’en ai rencontrés plusieurs… Trois ou quatre… Des inconnus, que je ne voyais qu’une fois. C’était la règle. Et puis un jour, j’ai… Enfin, c’est un peu compliqué, mais…

Il sent que ce qu’elle s’apprête à lui confier est particulièrement délicat. Elle qui a l’éloquence plutôt aisée d’habitude, semble à présent chercher ses mots. Il l’encourage.

— N’aie pas peur, Gaëlle. Tu peux tout me dire, tu sais…

— Un des types à qui j’avais filé rancard a voulu me revoir à tout prix. Mais moi, je voulais pas. Parce que… Parce qu’il ne me plaisait pas plus que ça…

— Et alors ? s’impatiente le flic.

— Alors… Il m’a proposé de l’argent. Et… Et j’ai accepté.

Finalement, Thoraize manque vraiment de tomber de sa chaise.

— Pardon ?

— Tu as très bien entendu, murmure Gaëlle.

— Tu es en train de m’expliquer que… que tu t’es prostituée, c’est ça ?

— Oui. Avec lui, d’abord. Puis avec d’autres, ensuite.

Il se lève, respire un bon coup. S’arrête un moment devant la fenêtre grillagée.

Et dire que Fabre et Djamila sont derrière la vitre fumée, en train d’écouter la conversation ! Il revient vers elle, se pose sur la table.

— Je ne comprends pas, Gaëlle, avoue-t-il. Tu… tu avais besoin de blé ?

Elle hausse les épaules.

— Oui, un peu… Mais c’est pas vraiment pour ça que… C’était pour l’humilier à son tour. L’humilier, toujours plus.

— L’humilier ?! Mais c’est toi qui t’es humiliée, Gaëlle ! rappelle-t-il avec une sorte de rage.

Elle nie d’un signe de tête.

— Non… J’ai décidé d’agir comme lui. En me faisant payer. C’est encore mieux. Oui, c’était encore mieux…

Éric essaie de retrouver ses esprits. Il s’attendait à beaucoup de choses, mais ça…

— Tu… Comment as-tu… enfin, comment ça fonctionnait ?

— Comme avant… Ils me contactaient par le net et on se rencontrait… Parfois chez moi, pendant que le petit n’était pas là, bien sûr… Parfois chez eux… Parfois à l’hôtel…

— Ça dure depuis quand ?

— J’ai arrêté ! Mais ça a duré six mois, environ. Éric, je… Je sais pas trop comment j’en suis arrivée là… Je ne parvenais pas à quitter Benoît, mais à un moment donné, j’ai eu besoin de le faire payer…

— Pourquoi ne pas avoir pris un amant, tout simplement ?! Tu es barge, ma parole !

— Je peux pas t’expliquer. C’est venu comme ça… Je me suis dit que je pourrais dépenser le fric comme bon me semblerait… Que je n’aurais plus besoin de lui réclamer de l’argent pour tout et n’importe quoi…

— Mais si c’était pour le pognon, pourquoi tu n’as pas cherché un boulot, nom de Dieu !

— C’est le cas, rappelle-t-elle le plus naturellement du monde.

— Tu parles d’un job !

— Je n’ai aucune qualification, je n’ai quasiment jamais bossé… J’ai essayé de trouver un travail, en vain. Tu voulais que je fasse quoi ?

Il écarquille les yeux.

— Tout sauf ça !… Tu te rends compte, Gaëlle ?

— Oui, je me rends compte… C’était comme un jeu…

— Un jeu ?! Faire la pute, c’est un jeu ?!

Elle est blessée par ce mot un peu cru, obscène. Pourtant réaliste. Il enfonce le clou.

— Demande donc à toutes ces filles qu’on ramasse sur le trottoir si elles pensent aussi que c’est un jeu !

— Moi, je pouvais me permettre de choisir mes clients… Alors oui, c’était un jeu. Un jeu dangereux qui me plaisait… Et me rapportait gros, en plus.

Il la contemple, hébété. Continue, malgré tout.

— Et… Et Benoît ne s’est aperçu de rien ?

Gaëlle lui envoie un sourire cynique et triste dans les gencives.