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Non, il ne bougera pas.

D’ailleurs, bientôt, il ne bougera plus du tout.

Soudain, son espoir retombe. Il s’était envolé si haut, quelques secondes durant. Même si elle le sait innocent, elle n’ouvrira pas cette porte. Elle le gardera pour elle. Jusqu’au bout.

Parce qu’elle a perdu la raison. Depuis longtemps.

Le commissariat est sens dessus dessous. Moretti vient de partir, direction le palais de justice, menottes aux poignets.

Un tremblement de terre magnitude 9 sur l’échelle de Richter a secoué l’honorable édifice et ses pensionnaires. Un séisme qui ferait presque oublier que le commandant Lorand a disparu.

Thoraize rejoint Fabre et Djamila, en grande discussion dans le cagibi du Parisien.

— Entrez, propose le commandant.

Le jeune lieutenant ferme la porte derrière lui et se pose sur une chaise, à côté du capitaine.

— Je voulais vous féliciter, dit Fabre. Vous avez mené cet interrogatoire de main de maître…

Thoraize hausse les épaules.

— Merci, mais… Je ne sais pas si c’est une bonne chose.

— Il fallait bien que la vérité éclate, répond le commandant.

— Moretti a dit quoi ?

Fabre s’est chargé de l’audition du patron. Pour le moment, rien n’a filtré ; les ragots vont donc bon train dans les couloirs et animeront sans doute grand nombre de réveillons.

— Il a avoué rapidement, raconte Fabre. Tout a commencé il y a trois mois, environ… Il a répondu à l’annonce de Gaëlle, sans savoir que c’était elle, bien entendu… Il avait envie d’un peu de bon temps, apparemment ! Mais quand il est arrivé au point de rendez-vous, il a vu que c’était l’épouse de Lorand et a rebroussé chemin, sans se montrer. Bien sûr, à partir de ce moment-là, il savait… Et récemment, il a eu des gros soucis financiers. Une dette de jeu, d’après ce que j’ai compris…

— Oui, Ben m’a raconté une fois que le patron était accro au poker, intervient Thoraize. Il avait découvert ça par hasard, en serrant un mec qui avait disputé plusieurs parties avec lui.

— Donc, lorsqu’il a été à court d’argent, Moretti a eu la lumineuse idée de faire chanter Gaëlle… Et d’en profiter pour la forcer à coucher avec lui ! D’après ce que m’a dit Mme Lorand, il l’avait prévenue que ce n’était que le premier versement… Il comptait bien qu’elle crache au bassinet à plusieurs reprises ! Du coup, elle aurait été contrainte de continuer à se prostituer pour le payer…

— Quel salaud ! peste Djamila. Quand je pense que ce type était notre patron… qu’on le respectait, qu’on le suivait les yeux fermés !

— Ouais, j’en reviens pas, enchaîne le lieutenant. C’est insensé, cette histoire !

— Bon, je vous rappelle que nous n’avons toujours pas retrouvé le commandant Lorand ! dit Fabre.

— Et… Et Moretti ? insinue soudain Fashani. C’est peut-être lui qui a voulu se débarrasser de Lorand !

— Oui ! s’exclame Thoraize. Peut-être qu’il craignait que Ben découvre le pot aux roses ! Parce que s’il avait su ça, notre cher patron aurait passé un sale quart d’heure !

— Non, je ne pense pas, réplique Fabre. Je l’ai interrogé à ce sujet… Gaëlle ne l’aurait jamais dénoncé si son mari n’avait pas disparu ; il n’avait donc rien à craindre… Non, nous sommes forcés de tout reprendre à zéro, une fois encore… Je vous avoue que je commence à désespérer de mener à bien cette enquête…

— Il faut que je raccompagne Gaëlle chez elle, annonce Eric en se levant.

— Je m’en charge, propose Fabre. Rentrez chez vous, lieutenant…

— Et vous ? Vous restez à Besançon ou…

— Je ne peux pas. Je dois remonter sur Paris… Mais je serai de retour dès mardi matin.

Lydia entre dans l’enclos. Elle hésite à s’approcher de son prisonnier, toujours menotte à un barreau pourtant.

— Je t’ai apporté un café, Ben… Et des médicaments, pour soulager tes douleurs.

Comme il ne bouge pas, elle lui pose le petit plateau à côté, s’éloigne un peu. S’assoit aussi contre la grille, mais à distance. Elle replie ses genoux, Lorand ouvre les yeux.

— Lydia…

— Bois pendant que c’est chaud… N’oublie pas les cachets…

— Tu as appelé des secours ?

Elle avoue que non, d’un signe de tête. Les paupières de Benoît retombent lourdement.

— Pourquoi, Lydia ?

— Bois ton café… Avant de mourir de froid !

Il tente d’attraper la tasse. Mais son bras droit refuse le moindre mouvement, désormais.

— Je peux pas… Il faut que tu me détaches…

— Attends, je vais t’aider.

Elle vient s’agenouiller près de lui, l’aide à boire et à avaler deux comprimés. C’est vrai que ça lui fait du bien, ce liquide chaud qui coule doucement dans ses tripes.

— Merci, murmure-t-il.

Elle prend le risque de rester près de lui.

— Je t’apporterai à manger, ce soir, dit-elle en souriant. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

— Lydia… Je ne vais pas survivre très longtemps, tu sais…

— Si, je vais m’occuper de toi, te soigner. Tu vas voir, ça va aller…

— Non, Lydia. Ça ne va pas aller… Je vais crever… Je suis déjà en train de crever…

Elle se ratatine contre la grille, refusant d’entendre l’évidence. Soudain, elle songe qu’elle a oublié de prévenir le docteur Waldeck, qu’elle a laissé passer l’heure du rendez-vous. Elle se sera inquiétée, sans doute. Mais ce n’est plus très grave, maintenant.

Benoît tente de réfléchir. Réfléchir pour infléchir la volonté de celle qui est encore et toujours son ennemie. Qui détient les clefs de sa vie. Lydia récupère la bassine, la remplit d’eau chaude. Puis commence à nettoyer ses blessures, avec délicatesse.

Elle enlève le sang coagulé sur son visage, son torse, ses mains. Évite juste de croiser son regard. Elle change le pansement sur sa plaie béante. Benoît reste inerte, incapable de la moindre rébellion. D’ailleurs, la braquer ne servirait à rien. Il faut juste la décider. Ouvrir une parenthèse dans sa folie.

— Lydia ?

— Oui ?

— Tu sais que je suis innocent, maintenant, n’est-ce pas ? Tu sais que je n’ai pas tué Aurélia ?

— Oui, je le sais. Je le lui ai dit, d’ailleurs…

Il est un peu désarçonné, mais continue quand même. Avec le sentiment de ramer à contre-courant. De lutter contre d’invincibles rapides qui l’entraînent inexorablement vers la mort.

— Alors pourquoi tu me gardes prisonnier ?

— Tu n’es pas en état de partir ! Il faut guérir, d’abord…

— Oui, mais… Il me faudrait un médecin pour ça, l’hôpital…

— Non, je vais m’en charger, ne t’inquiète pas. Tout ira bien.

Benoît, à court d’arguments, se met soudain à pleurer. Quelques larmes, silencieuses, coulent sur ses joues meurtries.

— Ne pleure pas, Ben… Je t’en prie, ne pleure pas…

Elle le prend dans ses bras, tente de le consoler.

— Ne pleure pas, s’il te plaît…

— J’ai mal !

— Les calmants vont faire effet… ça va aller mieux, très vite !

Elle caresse ses cheveux, son visage, embrasse même son front. Puis ses lèvres. Il se contracte.

— Lydia… Je ne peux pas rester ici avec toi… Tu comprends ?

— Je ne te plais pas, c’est ça ?

— Non, c’est pas ça… Tu es très belle mais…