— Oui, je t’aime, répète-t-elle.
— J’ai compris, tu sais. Et ça me touche beaucoup… Alors, si tu m’aimes, tu dois me sauver la vie… !
— Je le voudrais… Mais j’ai peur. Tellement peur…
Il réfléchit à vitesse accélérée. Comment la rassurer ?
Comment la décider à franchir le pas ? Il parvient à se mettre debout, sur sa jambe encore valide, s’accroche aux barreaux. Il la devine dans la pénombre, tout en haut de l’escalier.
— Lydia, je t’en prie… Je te donne ma parole que je t’aiderai… Si tu me libères, je ne t’abandonnerai pas. Je sais ce que tu endures, pourquoi tu as agi de la sorte. Je le leur expliquerai.
— Peut-être que tu mens… Que tu te vengeras, que tu me feras subir le pire… Et je finirai mes jours en taule.
— Non ! Je te jure que non… Tu auras des circonstances atténuantes.
— Oui, j’irai à l’asile ! C’est plus atroce, encore…
— Lydia, si je meurs on sera séparés pour toujours ! essaie Benoît.
Il entend qu’elle s’est remise à pleurer.
— Je retrouverai celui ou celle qui a envoyé ces lettres mensongères, qui t’a obligée à me faire du mal… Et je retrouverai aussi le salaud qui a tué ta sœur ! Je suis un bon flic, tu sais…
— Je sais, Ben… Pardonne-moi !
Il ne renonce pas. Se bat avec ses dernières armes.
— Je te pardonne tout, Lydia… Tout…
— C’est vrai ?
— Oui… Je te pardonne… Ouvre cette porte, je t’en prie.
— Tu promets ? Tu promets que tu m’aideras ?
— Je t’en donne ma parole, ma belle.
Ma belle, mon amour, ma chérie… Tout ce que tu voudras, pourvu que tu tournes la clef dans cette putain de serrure !!
Mais la belle hésite encore à commettre l’irréparable.
— Lydia, ouvre cette grille, par pitié. Et appelle des secours…
— D’accord… D’accord, Ben… Je te fais confiance…
Le cœur de Lorand s’emballe. Aurait-il gagné ? Il n’arrive pas à y croire.
Lydia se relève, s’appuie à la rambarde métallique et considère le captif un instant encore. Comme si elle cherchait sur son visage le fameux pardon. Pourtant, elle le distingue à peine dans cette pénombre lugubre.
— N’aie pas peur, Lydia, ajoute Benoît d’une voix douce. Je ne te ferai aucun mal ! Viens me rejoindre… J’ai besoin de toi…
— J’arrive.
Avec la main droite, elle tâtonne pour trouver l’interrupteur.
Pose ses doigts juste à côté, sur les fils dénudés. Une puissante étincelle éclaire la cave ; Lydia reçoit une décharge, hurle de douleur ; projetée vers l’arrière, elle perd l’équilibre, bascule par-dessus le petit garde-corps.
Un plongeon rapide, un cri de terreur. Puis elle s’écrase sur le béton. Ça a duré quinze secondes. Quinze secondes, pas plus.
— Lydia ! hurle Benoît.
Il reste pétrifié un instant. Non, pas ça… Pas maintenant…
— Lydia ? Tu m’entends ?! Réveille-toi, s’il te plaît !
Il contemple le corps inanimé. Du sang coule doucement de sa bouche entrouverte. Quelques soubresauts nerveux.
Et puis, plus rien.
— Lydia ! Non ! Me laisse pas… Me laisse pas, je t’en supplie !
Il s’écroule. Ses yeux ne peuvent se détacher de la jeune femme qui gît sur le sol, à quelques mètres de la cage.
La nuque brisée.
Les clefs dans sa main ouverte.
Quinze secondes, pas plus.
Chapitre 19
Samedi 1er janvier, 1 heure du matin
Il a tout essayé. Y a consumé ses ultimes forces.
Il doit maintenant capituler, se rendre à l’évidence : les clefs sont trop loin, il ne les atteindra jamais.
Alors, Benoît s’effondre le long des barreaux infranchissables. Se recroqueville sur son malheur, tournant le dos au cadavre de Lydia. Il se met à claquer des dents, à gémir de douleur. De peur. Les yeux grands ouverts, il scrute la pénombre à la recherche d’une once de foi. D’une miette d’espérance. Son cauchemar revient le harceler. Il vient même de se réaliser pleinement. Enterré vivant.
Il a réussi à atteindre le lavabo, a pu au moins se désaltérer. Au prix d’un effort qui n’a plus grand-chose d’humain.
Puis il est retourné sur sa couverture attendre la mort. Son seul espoir repose désormais sur les autres. Ceux qui sont dehors, libres. Et qui le cherchent, il n’en doute pas.
Il parle à haute voix, pour briser le silence assassin.
— Je suis là, les gars… Venez me chercher, putain… Me laissez pas agoniser dans ce trou !
L’écho lui répond.
Il est bien le seul à répondre…
Benoît s’enroule dans la couverture, se ratatine sur le sol. Fixe le soupirail où la fin de l’après-midi se dessine en sombres reliefs.
Bientôt, il fera nuit. Bientôt, il sera mort.
Il frissonne, sous l’effet de la fièvre. Sa blessure à l’épaule s’est infectée, aucun doute. Une douleur lancinante, son crâne qui chauffe, son corps qui gèle.
Il évite de tourner les yeux en direction du cadavre qui lui tient compagnie dans ce désert.
Putain, mais pourquoi est-elle tombée ? Pourquoi moi ?
Qu’est-ce que j’ai fait à ce salopard de bon Dieu pour qu’il m’inflige tout ça ?…
Il n’a jamais cru en Dieu, commence pourtant à douter. À l’aube de son départ, les questions existentielles l’assaillent.
Où va-t-on, quand on franchit la limite ?
Qu’est-ce qui m’attend, après ?
Si jamais tout cela est vrai, je suis dans la merde… Avec tout ce que j’ai commis !…
Mais je suis déjà en enfer ! Que pourrait-il m’arriver de pire ?…
Il regarde la nuit ramper sur le sol, les murs, les barreaux, le plafond.
Essaie de tromper son angoisse en pensant à Gaëlle, à Jérémy.
À ses parents, aussi.
Tous ces proches qu’il imagine rongés par l’inquiétude. Maigre réconfort. Je manque au moins à quelqu’un…
Il y a sans doute quelques femmes qui le pleurent aussi. Lorsque leur mari s’est endormi.
Un mari jaloux… Oui, c’est peut-être un mec qui a manigancé tout ça… Un de ceux à qui il a offert une jolie paire de cornes !
Soudain, il entend quelqu’un marcher au-dessus de sa tête. Il se redresse un peu, tend l’oreille.
Il a dû rêver, sans doute…
Non. Les pas retentissent à nouveau !
Il se met à hurler, comme un dément.
— Au secours ! À l’aide ! Je suis en bas, dans la cave ! À l’aide !
Puis il écoute encore. Le bruit se rapproche, la porte grince.
La joie l’étreint, le transporte. Ça y est, le supplice est terminé ! Ça y est, il est sauvé !
— Je suis là !
Il parvient à se lever, s’amarre aux barreaux, distingue une ombre en haut de l’escalier. Qui l’observe, immobile.
— S’il vous plaît ! s’époumone Benoît. Je suis enfermé ! Venez m’aider !
La silhouette ne bouge pas.
— Je m’appelle Benoît Lorand ! Je suis officier de police !
S’il avait encore sa carte tricolore sur lui, il la brandirait.
Mais ses SOS s’échouent sur un récif d’indifférence. Alors, il comprend.
Que cette ombre n’est autre que la personne qui l’a conduit jusqu’ici. Le fameux corbeau. Son assassin.
La silhouette descend les marches. Benoît écarquille les yeux pour essayer de voir son visage. Il croit deviner qu’il s’agit d’une femme. Puis il reçoit le faisceau d’une lampe torche dans les rétines pendant quelques secondes.