— Je dirais… Entre vingt et vingt-cinq ans…
— C’est bien, c’est précis ! Mais encore ?
Elle ouvre le tiroir de sa table de chevet, en sort un sachet de pastilles au miel.
— C’est interdit par le docteur, mais tant pis ! Chuchote t-elle. Vous en voulez une, commissaire ?
— Non, je vous remercie… Un autre détail sur cette jolie rousse ?
— Non. Mais je peux vous parler de sa voiture, si vous voulez…
Le sourire de Fabre s’élargit.
— Elle était blanche…
Mauvaise pioche.
— La marque ?
— Oh ! Moi vous savez, j’ai pas mon permis, alors… Une petite voiture blanche.
Fabre est déçu.
— Mais si ça vous arrange, je peux vous dire la plaque…
Il n’en croit pas ses oreilles. Pour un peu, il l’embrasserait !
— Vous vous souvenez du numéro d’immatriculation ?!
— Non, pas en entier… Mais il y avait un truc marrant… ça finissait par VQ 25… VQ, comme vécu, c’est pour ça que je m’en souviens bien !
— Autre chose ?
— Non, rien d’autre. Mais cette pauvre Gaëlle qui doit être toute seule ! C’est un grand malheur, ça…
— Nous allons faire notre possible pour retrouver.
M. Lorand, affirme Auguste en se levant de sa chaise en plastique.
— Quand même, on vit une drôle d’époque…
— Vous m’avez été d’une grande utilité, madame Guichard. Je vous remercie infiniment…
— Je vous en prie, monsieur le commissaire ! Quand on peut aider la police…
A peine a-t-il passé la porte que Les Feux de l’amour s’embrasent à nouveau.
Hôtel de police, 16 h 30
Fabre a réuni toute l’équipe dans la grande salle. Il attend les retardataires, consulte sa montre.
Enfin, il peut exposer sa découverte. Il s’éclaircit la voix.
— Je suis allé à l’hosto interroger Mme Guichard, la voisine des Lorand. Et elle m’a appris des choses très intéressantes…
Ils sont suspendus à ses lèvres. Oubliant un instant Moretti pour se concentrer à nouveau sur leur collègue disparu.
— D’après ce qu’elle m’a révélé, une jeune femme surveillait le domicile des Lorand depuis des semaines.
— Une jeune femme ? s’étonne Thoraize.
— Oui… entre vingt et vingt-cinq ans, rousse, les cheveux longs. Qui circule à bord d’une petite voiture blanche dont l’immatriculation se termine par VQ 25…
— C’est pas d’hier ! fait remarquer Djamila.
— Effectivement, acquiesce Thoraize. La bagnole doit avoir au moins dix ans !
— Il faut m’identifier cette mystérieuse conductrice au plus vite… Et la loger.
— C’était peut-être simplement une admiratrice de Ben ! lance un des hommes.
— Peut-être, avoue Fabre. Mais c’est notre seule piste pour le moment.
— Avec la moitié de la plaque, ça va pas être évident, souligne Djamila. Ça fait tout de même un paquet de bagnoles !
— Oui, mais avec la description de la conductrice, ça réduit les recherches…
— A condition que le véhicule soit à son nom ! Cette dernière remarque jette un froid. Effectivement, ils ont du pain sur la planche.
— Tout le monde lâche ce qu’il est en train de faire, ordonne Fabre. Je veux que tous les agents disponibles se consacrent à cette recherche…
— Je vais essayer de rameuter ceux qui sont en congé, propose Thoraize.
— Bonne idée, lieutenant ! Je n’ai pas besoin de vous rappeler que le commandant Lorand a disparu maintenant depuis plus de vingt jours… Alors, il faut mettre les bouchées doubles ! Retrouvez-moi cette fille. Et vite.
Entre chien et loup.
Moment le plus angoissant pour Benoît.
Celui qui précède l’interminable nuit… Celle dont il ne sait jamais si ce sera la dernière.
La fièvre a dû encore monter, tandis que la température de la cave semble chuter chaque jour un peu plus. Normal, avec le court-circuit, plus d’électricité. La maison n’est donc plus chauffée.
Les douleurs ne lui laissent aucun répit. La blessure par balle, qui est en train de gangrener son épaule, ses fractures à la jambe et à la main…
Mais la douleur n’est pas le pire. Ni la faim, ni la soif.
Le pire, c’est ce venimeux silence qui l’enveloppe tout entier, l’absorbe chaque jour un peu plus. S’infiltre sournoisement dans sa tête jusqu’à remplir les failles que le désespoir y a creusées.
Ce silence et… Cette abominable solitude qui l’aspire vers des mondes inconnus.
Qui finira par le digérer entièrement dans ses viscères nauséabonds.
Bientôt, il franchira la limite, il le sait.
Bientôt, il sera fou.
Chapitre 20
Mercredi 5 janvier, commissariat central de Besançon, 8 h 30
La plupart sont déjà sur le pied de guerre.
Le travail ne manque pas avec l’imposant listing des véhicules à éplucher.
A chaque numéro, il faut téléphoner au propriétaire, voire se rendre sur place dans les cas les plus douteux.
Fabre encourage ses troupes, centralise les informations. Il se doute qu’ils mettront certainement plusieurs jours pour identifier la mystérieuse rousse qui est la clef de l’énigme.
Car il ne peut envisager que cette piste soit encore une impasse, un échec.
Il a tellement envie de faire enfin la connaissance de ce type qu’il cherche désespérément depuis des semaines !
Ce serait sa récompense suprême…
Oui, il a survécu, une nuit de plus. Survécu aux morsures de l’ombre.
Il en est presque surpris. Il ne se serait jamais cru si résistant.
Il imagine déjà les titres des quotidiens locaux ; Benoît Lorand, ce héros. Un surhomme qui a survécu à l’enfer…
Il sourit, face au soupirail.
Puis, immédiatement après, il commence à pleurer.
Benoît Lorand, ce misérable flic, qui n’a pas réussi à tromper la vigilance d’une pauvre fille cinglée… qui s’est fait piéger comme le dernier des cons.
Qui a moisi dans une cave sordide, en même temps que les murs. Dont on a découvert le corps en état de décomposition avancée, recouvert de salpêtre…
Les sanglots déchirent sa poitrine, sa main se crispe sur le vide qui l’encercle pire qu’une meute de loups affamés.
Et ce cadavre, juste dans son dos. Ces yeux, éternellement ouverts, l’observant sans relâche depuis l’autre monde. Ce corps qui ne tardera plus à exhaler la pourriture.
Finalement, son cauchemar était une série B de film d’horreur, comparé à ce qu’il endure. Finalement, il ne sera jamais un héros.
Thoraize monte les deux étages à pied.
Il se rend chez une certaine Lydia Hénaudin, vingt-six ans, heureuse propriétaire d’une Clio blanche immatriculée 1336 VQ 25.
Il en a tellement marre de la paperasse qu’il s’est proposé pour aller vérifier le minois et la couleur de cheveux de la demoiselle en question. Car impossible de la joindre par téléphone.
Il sonne, patiente. Puis tambourine violemment contre la porte.
Visiblement, il s’est déplacé pour rien ; aux heures de bureau, il fallait s’y attendre !
Le voisin de palier se montre soudain au seuil de son appartement. Comme si le vacarme l’avait dérangé pendant sa sieste. Il dévisage l’intrus, l’air mauvais.