Le souffle glacé de la mort, sans doute.
— Il est comment, Benoît Lorand ?
Djamila hausse les épaules. Elle ne se sent pas très à l’aise aux côtés de ce type qu’elle ne connaît même pas. Ils roulent en direction d’Osselle, le patelin où crèchent les Lorand. C’est elle qui tient le volant, elle préfère.
— C’est un bon flic, répond-elle de façon évasive.
— Et en tant qu’homme ? insiste Fabre.
— Eh bien… C’est un type sûr de lui…
Fabre descend tout juste du TGV en provenance de la capitale, n’a même pas eu le temps d’être présenté à l’équipe de Lorand.
Même pas eu le temps de découvrir sa magnifique chambre d’hôtel.
— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?! ajoute Djamila face au regard insistant de son nouveau coéquipier.
— J’ai comme l’impression que… que vous ne le portez pas dans votre cœur, capitaine… Je me trompe ?
Ce mec lui tape déjà sur les nerfs. Comme ça, sans raison valable. La cinquantaine, petit, rondouillard, plutôt banal. Voire carrément moche. Elle n’a pas tiré le gros lot ! Ils auraient pu m’en envoyer un jeune et bien roulé…
En plus, celui-ci a la malchance de se prénommer Auguste. Plus personne n’est affublé de ce prénom ridicule !
— Bof… Disons que c’est le genre de mec que j’apprécie pas tellement. Présomptueux, voire prétentieux, imbu de sa personne… Qui roule des mécaniques, si vous voyez ce que je veux dire !
— Je vois ! rigole Fabre. Bon, dites-moi un peu les pistes que vous avez explorées jusqu’à présent…
— J’ai pris l’enquête aujourd’hui ! Vous savez, sa femme nous a signalé sa disparition hier matin, on n’a pas vraiment eu le temps d’entamer des recherches. Ses hommes sont en train de répertorier tous les types qu’il a serrés et qui viennent de sortir de taule.
— Parfait… Vous pensez que sa disparition a un rapport avec sa vie privée ou plutôt avec son boulot ?
— Aucune idée ! Mais… Rien ne dit qu’il a été enlevé ou tué.
— C’est-à-dire ? Vous pensez qu’il a pu disparaître de son plein gré ?
— Disons que… Il a peut-être craqué pour une nana et… On va le retrouver au pieu avec elle !
Fabre se marre. Un rire gras, idiot.
— Il trompe souvent son épouse ?
— Je pense, oui. Bien sûr, il ne s’en vante pas, mais… Je suis certaine qu’elle a des cornes de gazelle !
— Ce serait le meilleur dénouement possible… Je préfère le découvrir au lit en compagnie d’une maîtresse que dans un fossé avec une balle dans le crâne !
— Moi aussi, bien sûr… On ne va pas tarder à arriver.
— Comment est son épouse ?
— Gaëlle ? Je la connais pas beaucoup… Mais elle a l’air sympa.
— Des enfants ?
— Un fils. Jérémy. Il a trois ans, il me semble…
Ils roulent encore une bonne dizaine de minutes, dans un silence gêné. Le commandant Fabre feint d’admirer le paysage, Djamila met la radio.
Enfin, ils entrent dans Osselle.
— Pourquoi est-il venu se perdre ici ? s’étonne Auguste.
— Il habite la maison de ses parents.
— Morts ?
— Non, partis sur la Côte, vers Nice ou Cannes, je sais plus très bien… Ils lui ont filé la baraque. Quand je suis arrivée au commissariat, il vivait à Besançon, avec Gaëlle. Ils louaient un petit appart’. Mais quand ses parents sont descendus dans le Sud, il est venu là… C’est plus grand, y a un jardin… C’est ici, au bout de l’impasse…
Djamila coupe le contact. Les deux flics se hâtent vers le pavillon coquet, pressés de se mettre au chaud.
— Putain, il gèle ici ! bougonne Fabre. Encore pire qu’à Paris…
Gaëlle, prévenue de leur visite, ouvre avant qu’ils aient sonné. Elle arbore le masque de l’angoisse. Pas de doute, elle aime son mari, songe Fabre en lui serrant la main. Elle leur offre un café, dans le spacieux salon à la déco soignée. Djamila s’est chargée des présentations, a eu un mot gentil pour Gaëlle et décide alors de laisser œuvrer le spécialiste.
— Madame Lorand, racontez-moi un peu comment ça s’est passé…
— Mercredi dernier, Benoît est parti à Dijon… Il avait un stage au SRPJ.
— Il devait revenir quand ?
— Lundi soir.
— Je ne comprends pas… Pourquoi n’est-il pas rentré ce week-end ?
Djamila intervient.
— Ils ont eu un problème… Le programme prévu jeudi n’a pas pu avoir lieu et cette journée a été reportée à lundi. Du coup, ils ont logé Benoît tout le week-end sur Dijon… C’est bien ça, Gaëlle ?
— Oui. Comme c’est pas à côté, il est resté sur place, chez un copain à lui qui est policier à Dijon.
— Il est parti en voiture, donc ? reprend Fabre.
— Oui… Il déteste le train ! Il m’avait prévenue qu’il rentrerait tard, bien sûr… J’étais fatiguée, le petit avait été malade la nuit d’avant, j’avais pas dormi… Alors je me suis assoupie sur le canapé, en l’attendant. Et quand je me suis réveillée, mardi matin vers 6 h 30, il n’était toujours pas là. J’ai essayé de le joindre sur son portable, mais je suis tombée sur la messagerie. J’étais très inquiète alors… Vers 8 heures, j’ai téléphoné au lieutenant Thoraize, son adjoint, pour lui demander si Benoît était au bureau… Il s’est renseigné, m’a rappelée pour me dire qu’il avait contacté Dijon et que Benoît en était bien parti lundi, vers 18 heures… Qu’il n’avait pas donné signe de vie depuis.
— Bon… A votre avis, madame Lorand, que s’est-il passé ?
— Mais j’en sais rien, moi ! C’est à vous de me le dire ! Il faut le retrouver !
— Nous nous y employons, Gaëlle, je t’assure, ajoute Djamila.
— Ce que je veux, c’est votre intime conviction, madame Lorand…
— Je… Au début, je me suis dit qu’il avait eu un accident. Il y a des routes un peu désertes, dans le coin. Il a pu avoir un pépin, vous voyez… Mais maintenant, je n’y crois plus… On l’aurait déjà retrouvé, dans ce cas…
— Je suis d’accord, acquiesce Djamila. La thèse de l’accident ne tient pas.
— Ensuite, poursuit Gaëlle, je me suis dit qu’il avait été attaqué…
— Attaqué ?!
— Oui… Il a toujours aimé les belles bagnoles, vous savez ! La sienne vaut pas mal d’argent… C’est une Audi. Il paraît qu’on peut se faire agresser pour un vol de voiture. Si c’est le cas, il est peut-être blessé, quelque part entre ici et Dijon !
— Tu sais, Gaëlle, nous avons demandé à la gendarmerie de nous aider. Ils sont chargés justement de ratisser les routes du secteur… Le problème, c’est que nous ne savons pas précisément quel itinéraire il a emprunté. Ça complique un peu la tâche, mais…
Gaëlle verse soudain quelques larmes. Mais elle se reprend bien vite.
— Lui connaissez-vous des ennemis, madame Lorand ? questionne Fabre. Des ennemis d’ordre privé, si je puis dire…
— Non… Non, je ne vois pas…
— Et… Savez-vous s’il a… une maîtresse ?
Le visage de Gaëlle se fige. Djamila toussote pour combler le silence embarrassé.
— Une maîtresse ? répète Gaëlle d’un ton sidéré.
— Oui… Pensez-vous qu’il a des aventures extra-conjugales ? Je suis désolé de vous poser cette question un peu brutale, mais nous devons enquêter dans toutes les directions…
— Je… Je ne pense pas, non…
— Bien… Nous allons vous laisser.
— On va faire tout ce qu’on peut, conclut Djamila… Tu as de la famille, des amis ? Des gens qui peuvent venir t’aider en attendant qu’on retrouve Benoît ? Que tu ne sois pas seule…