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Les carabistouilles ont beaucoup plu aux collégiens. De tous les mots à sauver, c’est celui qu’ils se promettaient d’employer le plus souvent. Il est aussi amusant à prononcer que facile à comprendre. Les carabistouilles sont de petits mensonges, de petites bêtises. Quand j’en avais le temps, je dédicaçais ainsi le livre : « À…, sans billevesées ni carabistouilles, ni balivernes, ni calembredaines, ni fariboles, donc, sincèrement, avec… » Tous ces mots sont très proches les uns des autres, et leurs nuances prouvent la richesse malicieuse de la langue française.

> Ouille !

Cardon

Le cardon est à la bette (ou blette) ce que le lièvre est au lapin d’élevage : beaucoup plus goûteux. Le cardon est un haut et volumineux légume d’automne cultivé surtout en Provence et dans la vallée du Rhône. On le fait étioler, c’est-à-dire blanchir, en l’enfermant dans des caves ou des galeries souterraines où il est privé de lumière. Dans mon enfance on mangeait les premiers cardons pendant les fêtes de fin d’année. Il est maintenant sur les marchés beaucoup plus tôt. Les circuits de blanchiment, du cardon comme de l’argent, battent des records de rapidité.

La cuisine lyonnaise en a fait un légume gastronomique. Gratiné avec une sauce blanche, au jus de viande ou à la moelle, son amertume procure un vif plaisir. Ma mère servait toujours ses cardons gratinés — elle leur ajoutait in fine de la moelle — avec une volaille ou une pièce de bœuf au jus généreux et odorant. Les cuisinières ont du mérite à éplucher les côtes de ce légume ligneux, car leurs doigts deviennent tout noirs. Il faut longtemps et souvent les frotter pour qu’ils retrouvent leur couleur naturelle. Plus besoin aujourd’hui aux femmes (et aux hommes) d’éplucher les cardons et de donner ainsi une réelle preuve d’amour à leur famille : on les trouve en conserve. Mais rien ne vaut leur exubérante fraîcheur du marché.

À propos…

En Beaujolais, non seulement on enfermait les cardons durant l’hiver dans les caves, mais, pour qu’ils deviennent très blancs, on les entourait aussi de paille. D’où l’ironique expression, au début de l’été, quand les hommes et les ados dénudent leurs gambettes toutes pâlottes : « Tu as dépaillé les cardons ? »

> Gourmandise

Cauchemar

Encore une inégalité entre les hommes : les cauchemars. La plupart sont abonnés à des cauchemars banals, qui ne sont que les répétitions aggravées des angoisses éprouvées dans la vie courante. Ouverts ou fermés, les yeux frémissent sur des images de faits divers, des scènes de la hantise ordinaire. On dort mal, on se réveille en sueur, le cœur en déroute, et quand nous nous rappelons ce qui nous a mis dans cet état, nous sommes consternés par la médiocrité du scénario.

Et puis il y a ceux, les veinards, même s’ils ont très peur, qui font des cauchemars dont l’originalité atteste de la créativité de leur inconscient. Soit ils sont ailleurs, dans un autre monde ou dans un autre temps, où de terrifiantes métamorphoses les jettent dans des paniques inédites ; soit ils restent sur notre plancher des vaches, mais il y a de la poésie, du surréalisme, et même de la métaphysique dans l’orchestration nocturne de leur pétoche.

Mes cauchemars appartiennent, bien sûr, à la première catégorie, pour psychanalystes stagiaires.

Mais n’est-il pas normal que le réel colle de nuit comme de jour au cérébral des journalistes ? Les poètes, les romanciers, les auteurs dramatiques, les cinéastes, eux, peuvent et doivent se laisser aller.

À propos…

On disait autrefois : « Couche-tard, cauchemar. » Plaisante allitération pour expédier les enfants et les adolescents se coucher de bonne heure.

Cédille

Ah ! la cédille ! Habile et malicieuse petite chose qui se glisse sous le c pour en faire un s. Exemple : soupçon. Qui pourrait s’écrire : soupson, ou çoupson, ou, plus rigolo, çoupçon. Avec deux cédilles, çoupçon paraîtrait plus suspicieux…

De tous les signes d’écriture et de ponctuation, la cédille est le plus humble puisque le seul placé sous les mots, au-dessous de la ligne de flottaison de la phrase. La cédille ressemble à un 5, à un petit crochet, à un appendice, à une minuscule chauve-souris suspendue au mot la tête en bas.

Voyez la cédille du hameçon : ne dirait-on pas un hameçon ?

Voyez la cédille du poinçon : ne croirait-on pas une sorte de poinçon ?

La cédille est la reine du transformisme. Non seulement elle change une lettre en une autre lettre, mais sa morphologie se prête aux interprétations que suggère le mot auquel elle est liée. Ainsi la supériorité de notre garçon sur ses camarades étrangers : le boy, le ragazzo, le muchacho, le Junge, etc., tient à ce qu’il a un sexe et qu’il le montre. Met-il un caleçon ? Il continue d’afficher sa virilité.

Pas grave de ne pas avoir de tire-bouchon pour ouvrir une bouteille, à condition que ce soit du jurançon ou du saint-pourçain : il est fourni avec le vin. Dommage que l’échanson n’ait pas eu cette commodité, comme il est regrettable que jadis la moisson n’ait pas proposé une serpette aux pauvres paysans.

La cédille a été inventée et employée pour des raisons pratiques, pour qu’on ne confonde pas, par exemple, le mâcon avec le maçon. Mais elle ne s’est pas résignée à cette fonction utilitaire. Comme ces garçons et filles de piste qui accèdent un jour au centre du cirque pour y faire à leur tour un numéro, la cédille est devenue une magicienne.

À propos…

Comment les frères Renaud et Gautier Capuçon ne seraient-ils pas devenus de grands musiciens, avec une clef de fa attachée à leur nom ?

Chafouin, ine

Pourquoi ai-je toujours apprécié l’adjectif chafouin tout en espérant ne l’avoir jamais été ? Le mot est une créature hybride née du rapprochement du chat et du fouin, masculin de fouine. Un type chafouin arbore un air sournois, rusé, dissimulé. Il a la mine hypocrite de Raminagrobis. C’est peut-être grâce à Louis de Funès, qui jouait à merveille les chafouins, que j’aime le mot.

La chafouinerie existe. Ou plutôt existait. Charles Dantzig l’a récemment ressuscitée. « Alexandre Dumas est un généreux. La chafouinerie n’est pas dans son tempérament. Il n’aime pas Louis XIII, roi assez chafouin, et force sans doute dans sa chafouinerie comme personnage » (Pourquoi lire ?).

> Madré

Chambre-bibliothèque