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Croquignolet descend de la croquignole, qui est soit une petite pâtisserie qui croque sous la dent, soit une chiquenaude sur le nez. La filiation paraît plus évidente avec la chiquenaude qu’avec le biscuit, mais les lexicographes, ces gourmands, penchent pour la pâtisserie.

Cuisine-bibliothèque

Quelques livres de recettes sur une étagère de cuisine sont le gage d’une bonne maison. Surtout si, souvent consultés, leurs couvertures sont avachies, tachées de graisse, avec des signets qui dépassent des volumes.

Même succincte, une bibliothèque dans la cuisine d’un célibataire ne manque pas d’interpeller la femme qui y entre pour la première fois. « Oh ! Mais je vois que vous êtes un cordon-bleu », dit-elle, impressionnée.

S’il répond : « Non, pas du tout ! », et que ses propres talents culinaires se limitent aux surgelés Picard, elle ne pourra pas ne pas penser qu’elle a un handicap par rapport à la femme qui l’a précédée.

> Chambre-bibliothèque, Salon-bibliothèque, W-C-bibliothèque

Cul

Mot vulgaire pour le Petit Larousse ; familier pour le Petit Robert ; très familier pour le Grand Robert. Existe-t-il un adjectif entre familier et vulgaire ? Populaire, peut-être. Même s’il désigne le bas de l’homme, ce n’est pas un mot bas comme le prétend le Littré. C’est un mot de charpente, du cadastre, du foncier. C’est un mot des architectes du corps, spécialistes des encorbellements. Ce n’est pas parce qu’on s’assied sur le cul qu’il est permis de s’asseoir sur le mot. Ce n’est pas parce que, stupéfait, l’on tombe sur le cul qu’il faut mépriser le mot. Rabelais, Montaigne et Saint-Simon lui ont donné ses lettres de noblesse. Trois seulement. Dont une inutile puisque le l ne se prononce pas. Délicate retenue que l’on ne retrouve pas dans les mots culot, culotte, culbuter, acculer, enculer, reculer, etc.

Quand cul se contente de désigner le fondement, le derrière, les fesses, l’arrière-train, la croupe, le croupion, la lune, etc., il échappe à l’accusation de vulgarité. D’autant qu’il nous a donné des mots bien honnêtes comme cul-de-lampe, cul-de-sac, cul-de-poule, cul-de-jatte, cul de plomb, cul de bouteille…, ou des expressions comme boire cul sec

C’est quand il prend la place du sexe, lorsqu’il résume à lui seul la sexualité, ou qu’il est synonyme de pornographie, qu’on le taxe de vulgaire et même, dans le Dictionnaire de l’Académie française, de trivial. Des histoires de cul… Un film de cul… Avoir le feu au cul (l’expression signifie aussi courir très vite)… Une femme qui montre son cul (donc pas seulement ses fesses)… Le cul mène le monde…

Cette façon hypocrite qu’a le sexe de charger le cul de tous ses actes est un procédé de rhétorique : une synecdoque. Synecdoque n’est pas un gros mot. Cette figure de style consiste à prendre le plus pour le moins ou, dans le cas du cul qui se substitue au sexe, le moins pour le plus. Dans cette affaire, le sexe se comporte comme un faux cul.

François Villon ne savait sûrement pas qu’il employait une synecdoque sexuelle quand il écrivait, à propos d’une femme qu’il n’aimait plus : « Plus n’en ai le croupion chaud… »

À propos…

Cucu ou cucul : niais, cornichon, ridicule. Mieux, parce que plus imagé, plus amusant : cucul la praline. Ou, argotique : cucul la praloche. Cucul n’est pas réservé aux hommes. On peut dire : « Cette meuf, quelle cucul la praline ! »

Déménagement

Quitter une maison ou un appartement où l’on a été heureux, même pour prendre un logement plus spacieux et, on l’espère, plus agréable, est toujours une épreuve sentimentale. L’infidélité aux murs, l’adieu aux portes, aux fenêtres, à une certaine manière d’occuper l’espace, de s’y mouvoir, d’y dormir, de respirer un air, un confort, une esthétique, la rupture avec le temps qui se referme sur le déménagement, voilà qui serre un peu le cœur.

Mais il y a plus poignant : quand le couple se sépare et que l’un s’en va en abandonnant les lieux à l’autre. Une fois, je suis resté ; une autre fois, je suis parti.

Dans le premier cas, je n’étais pas fier. Elle masquait avec un calme orgueilleux sa douleur d’avoir choisi de s’en aller. Le déménagement était pour elle une terrible épreuve. Il l’était aussi pour moi qui en étais le responsable et qui, acta est fabula, assistais, apparemment impassible mais les tripes nouées, au démantèlement d’une longue intimité, à la destruction de notre cadre de vie. Je restais, mais je devrais maintenant cohabiter avec une squatteuse : la mauvaise conscience.

L’autre fois, quand c’est moi qui suis parti, j’étais seul, et, tandis que les déménageurs emportaient mes meubles et mes livres, je dialoguais avec la belle maison que nous avions bâtie ensemble et où j’avais été heureux. Il me semblait qu’elle partageait mon chagrin, qu’elle ne comprenait pas plus que moi les raisons de mon exil. De mes yeux je photographiais les murs, les escaliers, les placards, les rayonnages, la véranda, le jardin. Je chargeais ma mémoire du plus grand nombre possible d’images. Je me laissais une dernière fois envahir par le génie du lieu. Enfin, j’ai caressé le tronc de l’olivier qui lui avait été offert pour l’un de ses anniversaires, puis le chat Ulysse, et, sans me retourner, j’ai claqué la porte derrière moi.

Il y eut aussi cet appartement où, après plus de deux heures d’avion, j’ai vécu quelques week-ends enchanteurs. Je n’en étais plus l’invité quand elle le quitta pour habiter un autre pays. Sur son blog elle raconta avec des photos son attente des déménageurs au milieu des cartons. La dernière photo : le salon vide, les murs et le parquet nus. Seule présence : les branches des arbres derrière les deux fenêtres. Elle m’avait depuis longtemps passé par profits et pertes. Son appartement ne se souvenait plus de moi. Mais moi, parce que j’avais gardé dans l’œil de la patine et de la tendresse, j’étais très ému par cette escale maintenant désertée.

Désinvolte

Quand elle est laisser-aller, irresponsabilité, la désinvolture est à ranger parmi les défauts. Mais c’est une qualité lorsqu’elle se manifeste par une légèreté souriante, une façon habile d’éviter les tracas de l’existence, une liberté un peu insolente. À travers certains de leurs films, Cary Grant, George Clooney, le jeune Jean-Claude Brialy, Vittorio Gassman dans Le Fanfaron, de Dino Risi, représentent bien cette race d’hommes élégants, décontractés, enjôleurs, auxquels on ne tient pas rigueur de leur sens de l’esquive, de leur insouciance, de leur spirituelle irrévérence, de leur égoïsme travesti en surcroît de séduction. La désinvolture devient alors du grand art, comme chez Denis Grozdanovitch (Petit traité de désinvolture).

J’aurais aimé écrire un roman qui se serait intitulé La Vie désinvolte. C’eût été le portrait de l’homme que je ne suis pas et que j’aurais rêvé d’être. J’enviais l’un de mes camarades du lycée Ampère qui, devant les professeurs comme devant ses parents, affichait une éblouissante désinvolture. Toujours le geste, le sourire ou le mot pour donner le change et se tirer d’affaire. Décontraction et nonchalance. Humour et j’m’enfoutisme. Combien de fois lui ai-je sauvé la mise par des faux témoignages qu’il obtenait de moi parce que justement j’étais sous le charme de sa désinvolture ?