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Ce que ne pouvait pas savoir mon grand-père, c’est que les mains qui me tirèrent du ventre de ma mère appartenaient à un jeune médecin épris des batailles à onze contre onze pour la possession d’un ballon rond. Trente ans exactement après ma naissance, le docteur Édouard Rochet allait devenir le troisième président de l’Olympique lyonnais…

> Football, Jeudi

Dollar

Rien n’est moins écologique que le « billet vert ». Pour accumuler énormément de dollars ou pour en gagner un ou deux, riches et pauvres, milliardaires et déshérités, avec des responsabilités proportionnelles à leurs moyens, auront bien saccagé la planète. Le dollar est la monnaie universelle de la réplétion et de la faim, de l’opulence et de la survie. France-Soir publiait naguère une bande dessinée quotidienne relatant les aventures des gangsters célèbres. Titre : « Le crime ne paie pas ». Mais si, hélas ! le crime paie. Cash et le plus souvent en dollars. Les paradis fiscaux en sont bourrés.

Je ne puis pourtant pas détester le mot dollar. Pour une raison très personnelle, bien légère, frivole, parce qu’un billet vert, retiré de la circulation fiduciaire, a acquis dans mon portefeuille une valeur qui n’est pas prise en compte dans le cours des monnaies : la magie.

J’avais vingt ans et, à cette époque, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’un étudiant n’eût encore jamais vu de dollars. Au cours d’un repas dans un restaurant populaire de Richelieu-Drouot, mon ami Guy Frély, de quelques années mon aîné, qui travaillait dans un ministère, sortit de sa poche un billet d’un dollar. Je le palpai et le regardai avec curiosité. « Garde-le, me dit-il, il te portera chance. »

Vingt-cinq ans après, tassé, fripé, ce billet était toujours au fond de mon portefeuille. À chaque fois que j’en changeais, je n’oubliais pas de l’y mettre. Vint une époque où les hommes portèrent des sacs en bandoulière. J’oubliai le mien dans le métro, à la station Charles-de-Gaulle-Étoile. Dedans, entre autres objets commodes auxquels j’avais la faiblesse de tenir : clés et portefeuille. Le soir même, assez tard, une femme sonna chez moi. Passagère de la même rame de métro, elle avait trouvé mon sac et, à l’intérieur, mon adresse. Elle allait travailler un peu plus loin que l’Étoile, à Neuilly, au New York Herald Tribune. C’était une journaliste américaine.

Quelques années après, un samedi matin, je m’aperçus que, la veille, en sortant de la brasserie Lipp où nous allions souper après Apostrophes, j’avais perdu mon portefeuille. Il était probablement tombé de ma poche tandis que je montais en voiture. Le dimanche, je reçus un coup de téléphone d’une personne qui travaillait au Point et qui m’informa que mon portefeuille y avait été déposé par un homme bien honnête. Il l’avait trouvé après minuit dans une rue de Saint-Germain-des-Prés. Avait-il laissé son nom et son adresse ? Non, c’était un Américain qui s’en était retourné aux États-Unis le matin même.

Comment n’aurais-je pas fait un rapprochement entre mon dollar fétiche et ces deux Américains qui m’avaient rapporté ce que mon étourderie avait perdu ? Mes chances de rentrer en possession de mon portefeuille étaient minces, mais beaucoup plus nombreuses que les probabilités, infimes celles-là, qu’il fût deux fois trouvé par des Américains, à Paris, et des Américains intègres. Le hasard me parut deux fois magique.

Des années passèrent encore. Il y avait toujours, dans la poche principale de mon portefeuille, tout au fond, caché, pressé par les coupures françaises, le billet vert de mes jeunes années Richelieu-Drouot. Cette fois, je perdis mon portefeuille à la sortie d’un restaurant Courtepaille, près d’Avallon. Il n’y a pas d’Américains dans le Morvan.

> Amitié

Douane

Jeune homme, puis dans la force de l’âge, avais-je une tête de trafiquant ou de mafioso ? Je ne pouvais pas franchir une frontière sans être fouillé. Que je passe devant les douaniers en baissant les yeux ou en arborant un air serein et détaché, il y en avait toujours un qui me demandait d’ouvrir ma valise.

À Otrante, à l’arrivée du charter du Club Med où j’emmenais l’une de mes filles, je fus le seul passager, sur cent soixante à peu près, que les douaniers italiens suspectèrent. La fouille se déroula devant tout l’avion. Les gens m’ayant reconnu, car c’était du temps d’Apostrophes, s’amusèrent qu’un sort malicieux m’eût désigné. Ils rigolèrent franchement quand les douaniers, étonnés que leur travail remportât autant de succès, tirèrent de ma grosse valise des slips, des shorts, des maillots de bain, des chaussettes, des tee-shirts, et beaucoup de livres.

Pour une partie de pêche au Canada, via l’aéroport de New York, Pierre Perret m’avait chargé d’emporter des boîtes de foie gras fait maison. Je ne lui avais pas caché mes craintes d’être pincé à la douane américaine. On décida de tenter l’aventure. Bien entendu, il me fut demandé d’ouvrir mes bagages. Toutes les succulentes boîtes qui devaient accompagner nos casse-croûte de pêcheurs furent saisies.

La plus amusante de mes aventures douanières eut lieu quand j’étais jeune journaliste au Figaro littéraire. Le rédacteur en chef m’envoya à Bruxelles pour faire un reportage sur le théâtre de la Monnaie. J’y allai en voiture, faisant une halte à Leforest, petite ville du Pas-de-Calais, berceau, comme on dit, de la famille de ma femme. C’était la saison des pommes de terre, et mon beau-père, dans un acte de générosité, en récolta une trentaine de kilos qu’il mit dans un sac, le sac dans le coffre de ma Dauphine. Je me récriai contre les dangers d’affronter la douane belge avec ce chargement. Mais mes craintes lui parurent excessives et, comme je reviendrais en France par une route plus directe, je cédai et partis avec mes patates.

C’était fatal : un douanier belge me demanda d’ouvrir le coffre de ma voiture. L’énorme sac de pommes de terre le laissa stupéfait. Il appela deux ou trois de ses collègues pour partager son étonnement et participer à mon ironique interrogatoire. « Journaliste, vous faites le trafic de pommes de terre entre la France et la Belgique ?

— C’est pour votre consommation personnelle pendant votre séjour à Bruxelles ?

— Vous avez craint de manquer de pommes de terre chez nous ?

— Ignorez-vous que notre pays est un gros producteur et consommateur de frites ?

— Vous pensiez faire un cadeau au directeur du théâtre de la Monnaie ? »

Humilié, je riais jaune.

L’entrée en Belgique avec mes patates me fut donc interdite. Je voulus les abandonner entre les mains des douaniers. Puis je décidai de retourner à Leforest pour prouver, glacial, en déchargeant le sac, que, ainsi que je l’avais annoncé, ce voyage en Belgique avec des pommes de terre était idiot. Surtout quand on a une tête de suspect.

Du temps qu’il était éditeur, Jean-Claude Lattès a fait une centaine d’allers-retours entre Paris et New York. Jamais contrôlé en Amérique, il ne l’a été qu’une seule fois à Roissy-Charles-de-Gaulle. Le douanier a découvert dans ses bagages une affiche. Jean-Claude en avait la facture. On lui a fait payer une taxe de 20 % sur le prix. J’avais acheté cette affiche à New York et je lui avais demandé de me la rapporter.

Double je

« Double je » parce que ces écrivains, ces chanteurs, ces musiciens, ces architectes, ces scientifiques, etc., étaient nés dans une langue et une culture étrangères et qu’ils avaient opté pour la langue et la culture françaises. Le plus souvent, ils avaient fui une dictature, fasciste ou communiste. Mais ce fut aussi, parfois, pour l’amour d’une femme ou d’un homme qui vivait en France.