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Nom masculin. Invariable, forcément. Un ego ne varie pas, ne transige pas, ne s’abaisse pas, reste toujours au sommet de sa considération.

L’ego ne peut pas prendre la marque du pluriel. Un authentique et puissant ego refuse d’être mêlé à des moi moi moi subalternes ou d’imposteurs.

Un ego n’a pas d’accent sur le e. Ce serait un pléonasme. Car il est dans la nature même de l’ego de mettre constamment l’accent sur lui.

Entresol

L’entresol est un demi ou un faux étage situé entre le rez-de-chaussée et le premier étage. À Lyon, on appelle souvent entresol le premier, qui est un vrai étage, de sorte que le premier est le deuxième, le deuxième le troisième, le troisième le quatrième, etc. Ces subtilités arithmétiques déroutent et agacent les Parisiens en visite dans la capitale des Gaules.

Quand il se présente comme un étage bâtard, l’entresol paraît bizarre, louche. Il est bas de plafond et sombre. Ce n’est parfois qu’une soupente, un appartement de secours, une garçonnière, un bureau discret, le grenier du rez-de-chaussée. On n’y respire pas l’honnêteté. Ça sent le complot, le trafic ou la copulation tarifée.

« T’es comme une vieille putain Qui monte qu’à l’entresol. »
Léo Ferré,
Beau saxo

J’aime bien les personnes qui vivent ou travaillent à l’entresol parce que ce sont les plus romanesques de l’immeuble.

À propos…

Colette a vécu pendant quatre ans dans un entresol de la rue de Beaujolais avant de pouvoir occuper dans la même maison un appartement situé plus haut. La lumière parcimonieuse que recueillaient ses « quinze mètres d’entresol » l’empêchait d’apprécier pleinement son « sombre et charmant logis en corridor », même si elle avait le privilège d’habiter « sur » le Palais-Royal.

Épatant, ante

Ce sont deux académiciens, Jean Dutourd et Jean d’Ormesson, qui ont remis à la mode l’adjectif épatant, tombé en somnolence au milieu du XXe siècle. Ils l’ont beaucoup employé dans leurs nombreuses interventions à la radio et à la télévision. Ce n’est pas pour autant que le mot s’est réinstallé dans le langage des jeunes, mais il a fleuri de nouveau à la bouche d’un certain parisianisme, puis dans des milieux attentifs à l’originalité. Des vacances épatantes, un film épatant, une idée épatante, un mot épatant… C’est-à-dire admirable, formidable, excellent, chouette, super. Si l’on veut marquer encore plus son plaisir ou son admiration, il faut prononcer épatant en appuyant fortement sur le pa : é-pâ-tant.

Quand Meursault dit de Marie, dans L’Étranger : « Elle est épatante, et, je dirai plus, charmante », Camus commet une petite erreur dans la progression : elle est charmante, et, je dirai plus, épatante…

À propos…

Épater la galerie, en mettre plein la vue, est une expression qui vient d’abord de la galerie du jeu de paume, puis de la galerie des théâtres.

> Chouette

Étymologie

Du latin etymologia, du grec etamos, vrai, et logos, science, étude : étude de l’origine, de la filiation des mots.

Bernard Frank a comparé l’étymologie à « une bonne fille qui remonte toujours ses jupes ». Pas bégueule, en effet, elle se déboutonne, elle se déshabille, elle dévoile, elle donne à voir ce qui était caché.

L’étymologiste demande aux mots leurs papiers. Il n’y a pas de sans-papiers chez les mots. Rien de plus facile que de leur en donner : il suffit d’écrire le mot sur un papier. Reste à savoir d’où il vient : du latin ? du grec ? de l’arabe ? de l’anglais ? de l’occitan ? du gaulois ? du wallon ? du hottentot ? du bas normand ? C’est rare, mais il peut arriver que les Maigret de l’étymologie calent. Ils ignorent de quel pays ou de quelle province ont débarqué certains mots, comme bobèche, frusquin ou moutard. Ils ont beau les cuisiner, les menacer, les cajoler, les secouer : ils ne disent rien. Alors ils écrivent sur leur fiche d’identité « origine inconnue » ou, si l’enquête avance mais patauge, « origine douteuse » ou « obscure ». Mais ces mots apatrides naturalisés français ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres mots du dictionnaire. D’ailleurs ils bénéficient eux aussi du classement par ordre alphabétique. Pas de discrimination (du latin discriminatio).

Il en est de l’étymologie comme de la généalogie : le jeu est de remonter le plus haut possible. De dater et d’attester. Lascar, 1553 ; olibrius, 1537 ; fisc, 1278 ; saucisse, 1268 ; satrape, 1265 ; épître, 1190 ; compère, 1175 ; couard, 1080 ; école, 1050 ; mot, 980, qui dit mieux ? La plupart des mots sont increvables. Plus ils sont actifs, mieux ils se portent. Ils tirent de leur étymologie bien davantage que du sens et de l’utilité : santé, force, vigueur génétique, énorme espérance de vie. De nombreuses fois centenaires, tous ces mots circulent allégrement, sans carte senior. Ils nous enterreront tous.

L’un des regrets de ma vie est de n’avoir pas fait de latin ni de grec. Mes parents m’avaient collé pensionnaire dans un lycée moderne qui, avec une pédagogie moderne, préparait au baccalauréat dit moderne. Les chiffres étaient modernes, les lettres ne l’étaient pas. Après la guerre, il apparaissait que l’avenir serait plus l’affaire des matheux que des littéraires. C’était pertinemment vu. Mais le mot avenir peut bien nous la jouer libre, jeune, nouveau, mode, révolutionnaire, brillant, il ne nous fera pas oublier que lui aussi descend modestement du latin.

Extra

Quand j’entends les marchands de fruits et légumes du marché de la rue Poncelet vanter leurs « cerises extra » ou des « ananas de la Martinique extra », je pense aussitôt à mon père qui employait le même adjectif pour recommander les produits de son étalage : « Goûtez-moi ça, madame, c’est extra ! » Autrement dit, il n’y a pas mieux, c’est le summum de la qualité. Il écrivait aussi le mot suivi d’un point d’exclamation (« Extra ! ») sur une petite ardoise réservée le plus souvent aux fruits, en particulier les melons. Quant aux légumes, seuls les petites pommes de terre nouvelles et les petits pois avaient droit à la mention. (« Extra-fins » appliqué aux haricots signifie qu’ils sont très très fins.)

Quand extra qualifie des œuvres de l’esprit, j’aime moins. Un livre extra, un film extra… Il faut garder l’adjectif pour ce qui craque sous la dent, pour ce qui remplit la bouche de jus et de suc, pour ce que la nature nous offre de plus lichoux (friand, gourmand, dans le vocabulaire breton et normand). Je ferai cependant une exception pour une chanson extra. Léo Ferré s’est emparé de l’adjectif et, le sortant de l’épicerie, l’a hissé dans la poésie. Quand il chantait C’est extra, son visage pénombreux rayonnait de plaisir.

« Une robe de cuir comme un fuseau Qu’aurait du chien sans l’faire exprès Et dedans comme un matelot Une fille qui tangue un air anglais C’est extra Un Moody Blues qui chante la nuit Comme un satin de blanc marié Et dans le port de cette nuit Une fille qui tangue et vient mouiller C’est extra, c’est extra… »