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J’ai connu une femme qui, selon le mot de Simone de Beauvoir à propos de Germaine de Staël, « menait aussi rondement une grossesse qu’une conversation ».

J’ai connu une femme qui s’était fait mettre enceinte pendant certain week-end de fertilité et de lune ascendante, dans un lit orienté est-ouest, au septième étage d’un hôtel de la baie des Anges, et qui obtint de donner naissance à son enfant dans un lieu, au jour et à l’heure où le mouvement des planètes lui promettait le meilleur.

Femme (2)

La beauté de la femme est la seule preuve de l’existence de Dieu.

Le sexe des femmes est l’une des preuves les plus dissimulées et les plus flagrantes de la subtilité de la Création.

La peau si douce des femmes est la preuve la plus répandue et la plus tangible que le monde est bon.

Le sourire des femmes est la preuve qu’il ne faut pas avoir peur.

Les seins des femmes sont la preuve que Dieu a des mains de sculpteur.

Toutes les lèvres des femmes, apparentes et cachées, sont la preuve que les mots, publics ou intimes, naissent nécessairement du rapport à l’autre.

Les mains des femmes, bijoux sur bijoux, sont la preuve qu’il est des redondances bienvenues.

Juchées sur des talons hauts, les jambes des femmes sont la preuve que l’homme a su ajouter à l’excellence de la Création.

Les yeux des femmes sont l’une des preuves de l’existence du Diable.

Fisc

Non, le fisc n’est pas un mot péjoratif comme le familier ou populaire flic. Il vient du latin fiscus, panier pour recevoir l’argent, qu’on a drôlement élargi pour en faire le « Trésor public ». Les trous dans le fond sont si béants et nombreux que l’on ne parvient plus, depuis longtemps, à les boucher.

Après le baccalauréat arraché avec les dents, comme beaucoup de jeunes gens sans envie ni imagination, je m’étais inscrit à la faculté de droit. Ça ne pouvait pas me faire de mal. C’est alors que j’eus l’idée la plus stupide de ma vie, la plus folle, la plus extravagante, la plus déraisonnable, la plus farfelue, la plus grotesque, la plus sotte, la plus burlesque, la plus saugrenue, la plus risible, mais pas la plus impayable : devenir inspecteur des contributions. Directes ou indirectes, je ne sais plus. Toujours est-il que je me suis inscrit à un cours par correspondance qui préparait le concours d’entrée à l’école officielle. Comme il était prévisible, je ne compris rien au charabia administratif. On me renvoya des travaux écrits où chaque ligne était barrée de rouge et où j’étais prié d’être un peu plus sérieux et appliqué. J’en étais bien incapable. J’eus tôt fait de m’échapper du fisc.

Quelque temps après, nuance, je lui échappai. Par un hasard malicieux, deux élèves de l’École des inspecteurs des contributions étaient devenus des amis. J’étudiais le journalisme rue du Louvre. Dans la même rue se trouvait l’une des cantines du ministère des Finances. Le prix du déjeuner y était très doux. Débrouillards, mes deux copains m’introduisaient deux ou trois fois par semaine à la table de l’administration fiscale. Quand il y avait un contrôle des cartes, ils étaient généralement prévenus. Ainsi ai-je évité tous les filtrages des inspecteurs des inspecteurs. Futurs défenseurs de l’assiette des impôts, Éric et Marc s’amusaient, quand ils n’en étaient pas fiers, de frauder le fisc au bénéfice d’un couvert usurpé.

Fleuves

Dans le monde cosmopolite d’aujourd’hui, il faut être né de deux fleuves. Procéder de l’un et de l’autre par ses gènes, par son enfance, par son éducation, par ses voyages. N’être que de la Garonne ou du Nil limite l’horizon et l’ambition. Une eau seule ne crée pas dans l’âme ces remous, ces tumultes, ces inondations que provoque la confluence imaginaire de deux fleuves. Par exemple, la Seine et le Danube, la Loire et la Vistule, le Rhin et le Niger, le Rhône et le Mississippi. On est né auprès de celui-ci de parents issus de celui-là ; ou le père a grandi sur une rive de l’un et la mère sur une rive d’un autre ; ou la vie professionnelle de ses géniteurs a entraîné l’enfant à fréquenter tantôt un fleuve, tantôt un autre. Comme il n’y a pas deux fleuves semblables, il puise dans chacun ce qui imprègne sa sensibilité et qui, demain, donnera du débit au flux de sa création.

Alors, une chance pour moi d’être né à Lyon, rare ville traversée par deux fleuves, le Rhône et la Saône ? Quatre rives, vingt-huit ponts et passerelles, quatre viaducs, des quais au bord desquels s’élèvent des maisons très différentes, bourgeoises, cossues le long du Rhône, étroites, italiennes, populaires le long de la Saône. Des eaux qui charrient des géographies distinctes. Bref, le mythe intellectuel des deux fleuves à domicile ?

Eh bien, non, parce que, à la sortie de Lyon, la Saône se jette dans le Rhône (c’est toujours la femme qui se jette dans les bras de l’homme, n’est-ce pas ?). Les deux fleuves n’en font plus qu’un. La confluence s’opère sous nos yeux. Il n’y a plus de mystère. Le principe banal des vases communicants. On est dans la logique. On nage dans le franco-français. Lyonnais, je ne suis donc né que d’un fleuve.

Car je n’aurai jamais fonctionné à l’utopie des deux fleuves qui, très distants l’un de l’autre, ne peuvent se rencontrer que dans le rêve, dans la poésie, dans le fantastique. L’un et l’autre terminent leur course dans la mer, jamais la même. Être de deux fleuves, c’est être aussi de deux mers. Comment l’esprit n’en serait-il pas élargi, plus ouvert, enrichi, chambardé, et comme sans cesse battu par les flots ?

Beaucoup d’écrivains et d’artistes d’aujourd’hui, et plus encore de demain, possèdent et posséderont un imaginaire traversé par deux fleuves. Et plus si affinités.

> Géographie, Jeunesse

Flouter

Ce verbe est un enfant de la télévision. Quand une personne interrogée ou filmée veut garder l’anonymat, son visage est rendu flou. La loi oblige aussi à flouter les visages des mineurs. Il est rare qu’une enquête menée sur des sujets dits sensibles : la drogue, la violence, la délinquance, etc., n’ait pas recours au floutage. La presse écrite fait de même.

On remarquera la parenté de flouter avec les verbes flouer et filouter. De fait, le téléspectateur, qui est un voyeur insatiable, se sent floué. On lui cache des visages, on lui masque en partie la réalité. Les grands et les petits filous de la télévision ne seraient-ils pas en train de l’abuser ?

N’aimerions-nous pas, en certaines circonstances, quand nous nous trouvons dans des lieux peu convenables ou lorsque nous nous sentons moches, avoir le visage flouté ?

> Brouillard

Foi

Rien n’est plus intime et plus secret que la foi. Ou l’absence de foi. Ou le balancement entre la foi, le doute, l’agnosticisme et l’athéisme. C’est entre soi et soi. C’est à l’intérieur, très profond, très caché, et ça ne doit pas en sortir. On a toute liberté pour parler de ses chagrins, de ses ambitions, de son cul, de ses votes, de ses fantasmes, de ses remords, de ses joies, de ses ulcères, de ses peurs, de ses succès, de ses obsessions, de ses problèmes d’argent, de sa prostate, de sa famille, de ses psychanalyses, de ses vices, et même de son testament, mais il est préférable que Dieu dans tout ça reste incognito. Pas exposé. Incommunicable. Indicible. Trop sérieux, trop grave, trop personnel. Silence sur la continuelle palabre intérieure.