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J’étais quand même perturbé par la brièveté des mots vie, mort, riche, fort, vent, terre, jour, nuit, siècle, etc. Et, surtout, Dieu. Qu’est-ce qu’il lui a pris, à l’Éternel, de se nommer court, condensé, rabougri, modeste ? Pourquoi ne s’est-il pas attribué la plus longue des dénominations, le plus majestueux des patronymes ? Comment expliquer la contradiction entre l’immensité de son œuvre et la brièveté de son état civil ? Il y avait là une divine et secrète astuce à laquelle je n’entendais rien. Je ne comprenais pas davantage la transsubstantiation. Au moins le mot est long et compliqué ! Impossible de l’écrire sans faute. Il désigne un miracle et son écriture est accordée à son mystérieux contenu. Il m’en bouchait un coin.

Enfin, dans mes jeunes années, sous l’influence de La Fontaine, mon écrivain chouchou, je classais les mots selon des catégories animalières. Il y avait les mots-oiseaux : plumes, bec, ailes, arbre, branche, nid, ciel, cri, chant, voyage, migration, etc., et les mots-poissons : eaux, ruisseau, rivière, étang, Dombes, Saône, écailles, ouïes, banc, pêche, barque, ligne, bouchon, hameçon, ver de terre, asticot, filochon, friture, etc. Les truites avaient des mots qui n’appartenaient pas aux carpes, et inversement. Il y avait des mots-lapins qui étaient différents des mots-lièvres. En dehors du pré et de l’écurie, les mots-chevaux ne broutaient pas avec les mots-vaches.

Mais tous ces mots étaient bien ordinaires, et peu stimulants pour des rêves juvéniles, comparés aux mots nés et grandis dans la steppe et la jungle. Les rugissements des mots-lions, le pas lourd des mots-éléphants, la meute affamée des mots-loups, les grimaces et facéties des mots-singes, le brun et le blanc des mots-ours, les sauts à pieds joints des mots-kangourous, les dents féroces des mots-crocodiles…

Tous ces mots, je m’en souviens, avaient des odeurs de bêtes. Ils sentaient fort. Pourtant, je n’avais vu ces animaux qu’en images. Depuis, quoique je les aie tous plusieurs fois approchés, leurs mots ne sentent plus rien.

Mots délicieux

Doublement délicieux. À l’oreille, parce que ces mots sont beaux ou amusants ; en bouche, quand le cuisinier ou le pâtissier a du talent.

Belle-Hélène

Entremets composé de poires, williams de préférence, pochées sur de la glace à la vanille et recouvertes de sauce au chocolat chaud. Il porte le nom de l’héroïne de l’opérette d’Offenbach, La Belle Hélène (1864).

Bêtise de Cambrai

Bonbon à la menthe.

Bouchée à la reine

Variété de vol-au-vent qui doit son nom à la reine Marie Leszczyńska, épouse de Louis XV, et son invention à son cuisinier, Vincent de La Chapelle.

Croque-monsieur

Sandwich chaud (pain de mie, jambon, gruyère). « Mme de Villeparisis avait commandé pour nous à l’hôtel des “croque-monsieur” et des œufs à la crème » (Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs).

Le croque-madame est un croque-monsieur surmonté d’un œuf au plat.

Croquembouche

Pièce montée faite de pâtisseries qui croquent en bouche, en particulier des petits choux à la crème rendus croquants par leur enrobage de caramel. Sous le titre Croque-en-bouche, Fanny Deschamps a consacré un livre goûteux et… croquant à son neveu, le grand chef Alain Chapel.

Dame blanche

La Dame blanche, opéra-comique à succès de Boieldieu, a donné son nom à un dessert fait de glace à la vanille, de crème chantilly et de crème au chocolat.

Gâteau des rois

Dès le Moyen Âge, le jour de l’Épiphanie, on glissait une fève dans le traditionnel gâteau des rois. Celui ou celle qui tirait la fève devenait roi ou reine. Maintenant, c’est pendant tout le mois de janvier que sont glissées des petites figurines de porcelaine ou de plastique dans la galette des rois.

Langue-de-chat

Petite pâtisserie dont la forme évoque la langue du chat.

Oreiller de la belle Aurore

« Appellation d’un mets sophistiqué créé par Brillat-Savarin sous la Restauration en hommage à sa mère Claudine-Aurore Récamier, dite la Belle Aurore, fin cordon-bleu dont les paroles ultimes furent : “Allez, je vous prie, vérifier s’il reste un peu d’entremets à la cuisine”… » (Claudine Brécourt-Villars, Mots de table, mots de bouche).

Pet-de-nonne

Beignet à base de pâte à choux. Son nom vient-il des bruits que font les bulles d’air en se libérant de la pâte plongée dans le bain de friture ? Mais, dans ce cas, pourquoi les nonnes ? Ou bien est-elle vraie, la légende de la jeune religieuse qui, à l’abbaye de Marmoutier, laissa échapper, à la suite, de son ventre un petit vent, de ses mains la pâte à choux ? Celle-ci tomba dans un bain d’huile chaud. Elle gonfla et se révéla délicieuse. Ce miraculeux beignet méritait bien qu’on l’appelât pet-de-nonne !

Puits-d’amour

Encore un opéra-comique à succès qui a donné son nom à une pâte feuilletée, creuse à l’intérieur, remplie de confiture caramélisée ou de crème pâtissière parfumée à la vanille ou à la praline.

Sot-l’y-laisse

Excellent morceau de la poule ou du poulet qui se situe au-dessus du croupion et que le sot abandonne par ignorance ou par répugnance.

Tablier de sapeur

Morceau de panse de bœuf mariné, trempé dans de l’œuf battu, pané et frit. Appelé ainsi, après s’être appelé « tablier de Gnafron », parce que le maréchal de Castellane, gouverneur de Lyon sous Napoléon III, en était fou et que, dans sa jeunesse, ayant porté le tablier de sapeur du génie, il préféra ce tablier à celui de l’ami de Guignol.

Vol-au-vent

« L’invention du vol-au-vent est attribuée à Antonin Carême. Un jour qu’il confectionnait des tourtes classiques, l’illustre cuisinier eut l’idée d’en faire une avec une abaisse de feuilletage fin (…). À la cuisson, la tourte prit les dimensions d’une petite tour. “Antonin ! Elle vole au vent”, s’écria le tourtier. Le vol-au-vent était né » (Jean Vitaux, Dictionnaire de la gastronomie).

Mots gourmands dévoyés

Pourquoi avons-nous détourné beaucoup de mots gourmands pour leur faire dire des méchancetés ? La verve populaire s’est emparée du vocabulaire de bouche et en a fait des métaphores ironiques. On se régale de ces mots et on les recrache dans la raillerie. Pourquoi cette maltraitance lexicographique de la table ?