Friandises
Caramel : coup de poing, coup de boule.
Chocolat : être chocolat = être dupé (> Chocolat).
Bonbon : cher. « Ça coûte bonbon ! » Testicules dans l’expression « casser les bonbons » = importuner.
Nougat : pied.
Tarte : gifle. « Tu vas l’avoir, ta tarte ! » Moche. « Elle est très tarte ! » Pas dégourdi, ridicule, tartignolle. Tarte à la crème = sujet rebattu.
Brioche : estomac renflé, gros ventre. Bedaine.
Est-ce pour se punir de leur appétit et de leur cuisine raffinée que les Français ont détourné, non sans vulgarité, tous ces mots gourmands ? Qu’ils leur ont fait exprimer de la violence, de la dérision, de la rosserie ? Il y a du chrétien dans cette dévalorisation des choses et des mots appétissants. Toujours se rappeler que la gourmandise est un péché. Que nous devons avoir la contrition de nos voluptés. Rabaisser, humilier, vulgariser les mots de la table participe de cette nécessaire mortification.
Par bonheur, il est des mots gourmands qui sont détournés dans le bon sens, en particulier l’amour, la tendresse. « Mon chou », « mon lapin », « mon petit poulet », « ma poule », etc. Les amants « se sucent la pomme ». Aux pommes = c’est parfait. Aux petits oignons = épatant, très bien. Un effet bœuf = puissant, efficace. Le blé, l’avoine, l’oseille, c’est de l’argent. Le poireau = Mérite agricole. Prix orange = prix accordé au concurrent le plus sympathique. L’ourlet d’une jupe « à ras le bonbon » flirte avec le clitoris. Enfin, la petite chose en plus, le bonus de la réussite = la cerise sur le gâteau.
Museau
La salade de museau de bœuf est une entrée fort agréable, mais c’est quand le museau remplace dans les textes littéraires le visage, la figure de l’homme ou de la femme que je l’apprécie le plus. Se frotter le museau : s’embrasser. Une fricassée de museaux est une embrassade générale. Moins agréable, donner sur le museau est donner une gifle, au moins une chiquenaude. Dire d’une jeune fille qu’elle a un joli museau laisse entendre qu’à la beauté de son visage s’ajoute un peu d’espièglerie ou de malice. Pointer son museau, c’est noter avec un peu d’ironie que l’on s’est risqué dans une assemblée avec prudence ou avec discrétion.
« Pourquoi les Portugais, pourtant fervents croyants d’après leurs dires, faisaient-ils quotidiennement si gris museau alors que la Vie éternelle les attendait ? » (Erik Orsenna, L’Entreprise des Indes).
Qui est l’horrible médecin anatomiste qui a appelé museau de tanche l’orifice externe de l’utérus ?
Mythe
Selon Claude Lévi-Strauss, un mythe est une histoire qui remonte au temps où les hommes et les animaux vivaient et communiquaient ensemble, quand ils n’étaient pas séparés, ni même distincts. Un mythe est un récit qui nous paraît aujourd’hui d’autant plus fabuleux qu’on imagine mal hommes et animaux à égalité de statut et passant indifféremment de la forme des uns à la forme des autres.
Est-ce à dire que plus le génie scientifique humain produit des inventions, plus l’écart se creuse avec l’intelligence animale, et plus nous nous éloignons des mythes ? Non, parce que ceux-ci ont déserté les forêts, les steppes, les fleuves et les mers, et se sont installés dans les villes. De sauvages, les mythes sont devenus domestiques. Chiens et chats surtout, par millions, vivent en harmonie avec leurs soi-disant maîtres, qui sont souvent leurs esclaves, au moins leurs égaux.
Qu’est-ce que le lapin, le hamster ou le cochon d’Inde lit dans le regard de la petite fille lorsqu’elle lui murmure des mots doux ? Et elle, quels messages reçoit-elle de son compagnon de chambre ? S’établit entre eux une véritable communication, comme entre la vieille dame et son matou, ou l’homme solitaire et son chien. Yeux dans les yeux, ils ont pris des habitudes. Ils se parlent, se questionnent, s’interpellent, se fâchent, se rabibochent, se réconfortent, se caressent, se frottent l’un contre l’autre, jouent, marchent, mangent, se reposent ensemble, quand ils ne dorment pas dans le même lit.
Il y a moins de différences qui les séparent que d’intérêts, d’affinités et d’amour qui les unissent.
Ils ont reconstruit les mythes de temps immémoriaux. Mais des mythes policés, tranquilles, pépères, aux croquettes industrielles, qui sont distants de milliards d’années-lumière des mythes de l’anthropologie au travers desquels on entendait craquer la nature, se propager la fable, se célébrer l’alliance et tonner les dieux.
Certains films fantastiques, comme Le Monde de Narnia, À la croisée des mondes, renouent avec les anciens mythes. Hommes et animaux vivent ensemble. Des uns et des autres sont parmi les bons ; des uns et des autres sont parmi les méchants.
Nécrologie
Un journaliste de radio m’a dit que je figure en tête de sa liste de noms à appeler à l’annonce de la mort d’un écrivain connu. Un premier coup de fil, et je sais qu’il sera suivi d’une dizaine d’autres. Comme on ne peut pas répéter plus d’une ou deux fois, spontanément, les mêmes banalités, le mieux est de ne plus répondre.
Pour Alexandre Soljenitsyne, j’ai fait une exception : j’ai répondu à toutes les radios et à tous les journaux — plus France 2 — qui m’ont sollicité. C’était le 4 août 2008. Difficile à cette date de joindre qui l’on veut. Alors que, le plus souvent, j’estime que de nombreuses personnes sont plus compétentes que moi pour évoquer la vie et l’œuvre du disparu, mes quatre entretiens avec l’écrivain russe me donnaient une légitimité que, sauf mauvaise foi, je ne pouvais contester.
Mais ça tombait mal. Je revenais seul, en voiture, de Saint-Tropez. Pour répondre, je me rangeai sur une aire de stationnement. Par chance, ce jour-là, la batterie de mon portable était gonflée à bloc. Quand le téléphone ne sonna plus, je repartis. Pour m’arrêter sur l’aire suivante ou dans une station parce que j’étais de nouveau sollicité. Et ainsi jusqu’à Lyon. Curieuse impression de revenir du Midi, bronzé, détendu, l’esprit léger, et de discourir sur Alexandre Soljenitsyne, rescapé de la guerre, du cancer, du goulag, sur son expulsion d’URSS, son exil aux États-Unis, son retour triomphal en Russie, sur les controverses idéologiques que l’homme et la dernière partie de son œuvre avaient suscitées. En short, chemisette et petites espadrilles d’été, j’étais dans une drôle de tenue pour rendre hommage à l’un des grands hommes du XXe siècle.
Pour la mort de Maurice Druon, annoncée le soir du 15 avril 2009, j’étais très à l’aise pour répondre pendant plus d’une heure que je n’en dirais rien. La dernière fois que nous nous étions rencontrés, il avait refusé de me serrer la main. Rancunier, il n’avait pas oublié une polémique qui nous avait opposés, douze ans auparavant, au cours des débats sur des « rectifications » à apporter à l’orthographe de la langue française. Lui tendre de nouveau la main était risqué : il pouvait, cette fois, faire usage posthumement de son épée d’Immortel.
Jean d’Ormesson et moi sommes tellement liés dans le souvenir d’Apostrophes que celui qui mourra le premier déclenchera chez l’autre des salves de sonneries téléphoniques.