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Je crains pour mes confrères des radios, tant ils sont coutumiers de m’appeler dès qu’une figure de la république des lettres disparaît, que, le jour de mon décès, par habitude, ils ne me téléphonent pour me demander d’évoquer quelques souvenirs sur le défunt.

Nénuphar

On n’a pas oublié la bataille furieuse qui opposa les défenseurs du nénuphar — avec ph — aux champions du nénufar — avec un simple f. C’était à la fin de 1990 et au début de 1991. La guerre du Golfe, la première, était imminente. Deux ou trois journaux américains et anglais s’étonnèrent qu’à la veille de ce qui serait peut-être un nouveau conflit mondial, les Français se répandissent en querelles absurdes à propos de l’orthographe d’une banale plante aquatique. N’y avait-il pas pour polémiquer sujet plus urgent, plus noble, plus dramatique ? La France était décidément un pays impossible.

C’est pour ce genre de frivoles chicanes que je me sens très français. Nabokov m’aurait approuvé : « Cette capacité de s’étonner devant des petites choses en dépit du péril imminent, ces à-côtés de l’esprit, ces notes au bas des pages du livre de la vie constituent les formes les plus hautes de la conscience, et c’est dans cet état d’esprit naïvement spéculatif, si différent du bon sens et de sa logique, que nous savons que le monde est bon » (L’Art de la littérature et du bon sens).

Il y avait d’un côté les réformateurs qui désiraient rectifier l’orthographe de nénuphar. L’orthographe d’autrefois, avérée par d’anciennes éditions du Dictionnaire de l’Académie française, ne comportait pas de ph. Il y avait un f. Rétablissons le f.

Il y avait de l’autre côté les conservateurs qui n’entendaient pas changer l’orthographe d’un mot entérinée par l’usage. Pourquoi revenir à un très ancien f ? Gardons le ph, même s’il fut, jadis, une erreur de copiste ou, selon le Littré, un usage des botanistes.

Ce qui était fort divertissant dans cette affaire, c’était que les réformateurs invoquaient le passé et passaient pour des nostalgiques ; et que les conservateurs rejetaient le passé et passaient pour des modernes.

J’étais du parti du nénuphar parce que cette plante appartient à la famille des nymphéacées dont le ph ne se discute pas. Sans compter que les nymphéas, qui sont des nénuphars blancs, s’écrivent eux aussi avec ph. On aurait fait du nénufar un orfelin.

Il y eut bien d’autres arguments lexicologiques, historiques, pédagogiques, développés dans des chroniques, interviews, confrontations à la radio. L’abondant courrier des lecteurs démontrait que la France profonde participait au débat et qu’on s’empoignait là-dessus en famille et dans les cafés. Oui, dans quel autre pays l’orthographe d’une plante, au demeurant très jolie avec ses larges feuilles vertes et ses fleurs à pétales blancs ou jaunes flottant au-dessus de l’eau, aurait-elle pu déclencher un tel tintamarre ?

Il est toutefois regrettable que l’on n’ait pas songé à demander leur avis aux paresseuses usagères des nénuphars : les grenouilles.

Néologismes

Je ne suis pas doué pour créer des néologismes, c’est-à-dire des mots nouveaux qui ont une utilité, qui apportent quelque chose d’inédit à la langue française. Quand, en plus, ils sont amusants ou malins, ils sont les bienvenus. En voici quelques-uns — San Antonio étant hors concours — repérés au cours de lectures récentes.

Pugiler : de pugilat, donner des coups de poing, boxer.

« Hier, j’étais dans le RER et un grand Noir assis à côté de moi a lancé à son copain : “Le frère de David, je l’ai pugilé grave !” C’est pas beau, ça, pugiler ? » (Anna Gavalda, Lire, avril 2008).

Criticailler : critiquer sans raison sérieuse, chercher la petite bête.

« Que Bienvenue chez les Ch’tis soit une réponse dans le style brasero au sinistre industriel d’une région, on n’ira pas criticailler » (Francis Marmande, Le Monde, janvier 2009).

Ouillouiller : gémir.

Répertorié dans les synonymes du verbe gémir par Bertaud du Chazaud (Dictionnaire de synonymes, mots de sens voisin et contraires).

Girafer : copier, pomper.

Néologisme africain. L’élève tend le cou vers son camarade assis à côté de lui pour mieux lire sa copie.

Luxorien, enne : d’un luxe inouï.

« Car il (le critique vertueux) a eu l’idée la plus triomphante, la plus pyramidale, la plus ébouriffante, la plus luxorienne qui soit tombée dans une cervelle d’homme… » (Théophile Gautier, préface à Mademoiselle de Maupin).

Audouzer : déboucher une vieille bouteille au moins quatre heures avant de la boire.

De François Audouze, collectionneur de vins très vieux, de bouteilles mathusalémiques, qui les propose à la dégustation après un minutieux et savant rituel. « Il faudrait audouzer nos beychevelle 28. »

Bondieuser : s’identifier à Dieu le Père.

Edmond de Goncourt emploie ce néologisme à propos d’Ernest Renan.

À noter que Jules Vallès avait, lui, créé bondieusard, synonyme de bigot.

Papauter : « pour le Saint-Père, bavarder longuement et en toute simplicité » (Gabriel Boccara, Pope-corn).

Tictaquer : produire à cadence régulière un tic-tac.

Créé par Huysmans, ce néologisme est rarement employé. « Il regarda le réveil tictaquant sur la commode » (Franz Kafka, La Métamorphose).

Robinsonner : vivre comme Robinson, sur une île, à l’écart du monde.

Mais Rimbaud lui donne un sens un peu différent quand il écrit dans son poème Roman :

« Le cœur fou robinsonne à travers les romans, Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère, Passe une demoiselle aux petits airs charmants… »

Le cœur fou va de roman en roman, d’île en île.

Vachéité : qui relève de la nature, du caractère de la vache. Pas très joli. Mais c’est Gombrowicz qui l’emploie : « Je me promenais dans l’allée bordée d’eucalyptus quand tout à coup surgit de derrière un arbre une vache. Je m’arrêtai et nous nous regardâmes dans le blanc des yeux. Sa vachéité surprit à ce point mon humanité que… » (Journal, t. 1).

Witold Gombrowicz, par l’intermédiaire de son traducteur Georges Lisowski, invente aussi équivocité, dans La Pornographie.

Gallimardeux : de la maison d’édition Gallimard. Créé et employé péjorativement par Céline :

« Ce gros matou gallimardeux (Gaston Gallimard) croit que les écrivains sont des filles de joie. Eh bien, il a raison, il faut se vendre et chèrement » (Rapporté par Mikaël Hirsch dans Le Réprouvé).