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Peut-être est-ce parce que, dans mon adolescence, j’ai souffert de l’indifférence de quelques pimbêches que je me délecte de ce mot qui me venge ?

Charles Dantzig : « Une Française ou une Américaine quand elles sont belles se croient obligées d’être des pimbêches. »

À propos…

Dans sa comédie Les Plaideurs, Racine met en scène la comtesse de Pimbêche, chicaneuse acharnée qui conduit depuis trente ans des procès contre tout le monde, entre autres son père, son mari et ses enfants. Et voilà qu’un arrêt lui interdit désormais de plaider ! Colère de la dame. C’est comme si on l’empêchait de respirer. Que peut-elle faire ? Plaider contre, pardi !

Poularde demi-deuil

Après le « grand deuil », le temps apaisant la douleur, les femmes se mettaient au « demi-deuil ». Si le défunt n’était pas un parent proche, elles portaient tout de suite des vêtements dont les couleurs — du blanc, du gris ou du violet accordés au noir — marquaient une moitié de chagrin.

De même, la poularde est demi-deuil parce que entre sa peau et sa chair blanche et grasse, des lamelles de truffe noire ont été glissées, notamment sur les cuisses et sur toute la longueur des filets. Le grand deuil de la volaille coûterait trop cher et serait difficile à obtenir. À l’exemple du demi-deuil qui redonnait aux femmes toute leur séduction, le noir et blanc met la poularde en beauté. Et l’homme en appétit. Paul Bocuse a été et reste le veuf préféré de la poularde demi-deuil.

À propos…

Le 11 janvier 2005, lors de mon premier déjeuner avec les membres de l’académie Goncourt, le chef lyonnais Jean-Paul Lacombe était venu spécialement chez Drouant, à l’invitation du chef de l’époque, Louis Grondard, faire une poularde de Bresse pochée « genre demi-deuil ». Elle avait très bon genre.

Prédateur

L’équipe technique arrivait vers neuf heures. Les câbles, les caméras, les trépieds, les projecteurs, le moniteur de contrôle, les cantines en aluminium remplies de câbles plus petits, de micros, de mandarines et de blondes (spots), de réflecteurs, d’objectifs, de gaffeurs, de borniols, de volets, bref, tout ce qui constitue le « matos » pour un tournage chez l’écrivain. La table est poussée, un guéridon éliminé, les fauteuils déplacés, une fenêtre obscurcie, des bibelots enlevés, le bureau tourné, des livres chassés, d’autres pris dans la bibliothèque et mis en pile. Le réalisateur recherche le meilleur axe, le meilleur décor, la meilleure lumière. On rajoute, on retire, on déplace encore, on pousse ceci ou cela un peu plus à gauche ou un peu plus à droite. On fignole. L’image sera parfaite.

En dépit des propos enthousiastes et rassurants du réalisateur, l’écrivain est inquiet. Parfois, effaré. Il a l’impression d’avoir livré son sacro-saint bureau, son douillet tabernacle où sont nés tous ses chefs-d’œuvre, à une horde de vandales. « Monsieur, ne vous inquiétez pas, lui dit le réalisateur. Quand l’enregistrement sera terminé, nous remettrons chaque chose à sa place. Nous avons l’habitude. » Ce qui est vrai. Mais, en attendant, le désordre s’est installé chez l’écrivain. Il n’aime pas le désordre, surtout quand les premiers essais de lumière font sauter son installation électrique… « Monsieur, ne vous inquiétez pas, notre chef électro va réparer tout ça. Puis-je vous demander où est votre compteur ? »

J’arrivais chez l’écrivain environ une heure et demie après l’équipe technique, quand celle-ci était quasiment prête à tourner. Propos d’accueil, quelques conseils et encouragements. On prenait place. L’un en face de l’autre. Essais de son et d’image. Il ne s’était pas passé un quart d’heure que l’entretien commençait. Sans interruption ou presque — pour des raisons techniques et pas plus d’une ou deux minutes — jusqu’à la fin, soit environ de soixante-quinze à quatre-vingts minutes.

C’était « dans la boîte » ! Pendant que le réalisateur et moi félicitions l’écrivain, l’équipe technique commençait à démonter et à ranger. Le plus souvent, une boisson nous était servie. Nous revenions sur quelques moments forts de la conversation. Chargement de la voiture. Dernières choses remises à leur place. « Laissez, laissez, disait l’écrivain, je terminerai. » Puis nous prenions congé. « Bravo, encore ! Merci de nous avoir reçus. L’émission est programmée le… Nous vous enverrons une cassette. »

Je repartais heureux comme un voleur qui a réussi son coup. Ou plutôt comme un prédateur qui a fichu la pagaïe dans un logis, dans une mémoire, dans une vie. Certes, l’effraction était autorisée, mais quel sans-gêne dans notre occupation du territoire ! Et quelle rapacité derrière mes questions aimables ! Et comme était forte l’impression que j’avais d’emporter un butin !

Même le journaliste qui n’est armé que d’un stylo et d’un carnet repart de chez l’écrivain — surtout de chez les écrivains, qui sont le plus souvent des êtres pacifiques et retirés — avec le sentiment d’avoir exercé à son domicile une activité de prédateur. J’ai aussi ressenti cela à la lecture des visites de Jérôme Garcin à vingt-sept écrivains (Les livres ont un visage). Les très beaux récits qu’il en a tirés, autant de cadeaux à ses « victimes », ne parviennent cependant pas à masquer tout à fait ce qu’il y a de brigandage dans ces irruptions dans leur intimité.

Prière

Ô vous, hommes et femmes dont les noms sont gravés sur la pierre au-dessous de laquelle je deviendrai charogne, puis squelette, enfin poussière d’entre vos poussières, ne me jugez qu’avec la tendresse que vous manifestiez au meilleur de vos jours.

N’ouvrez pas le gros livre où vous avez consigné mes forfaitures et mes défaillances, mes scélératesses et mes fautes, mes lâchetés et mes négligences, car, seriez-vous tentés d’en proposer quelques pages à ma lecture, je n’emporterai pas de lunettes. Récompensez-moi d’avoir beaucoup lu sur terre en me dispensant de lire dessous le livre de mon indignité.

Recevez-moi comme un fils, comme un petit-fils, comme un petit-neveu ou un cousin. À votre admiration je préfère votre affection ; à votre étonnement, votre bonté ; à votre fierté que je sois des vôtres, votre tolérance que vous soyez des miens.

Vous qui savez, troglodytes sous chrysanthèmes, si l’au-delà se limite à notre pré carré ou si notre tombe est l’antichambre d’un palais des merveilles ou le sas d’une mer dans laquelle les dauphins jouent avec les anges, attendez, je vous prie, puisque c’était mon métier de poser des questions, que je vous demande si Dieu est une chimère ou l’avéré Tout-Puissant.

Vous qui détenez le secret, ce secret serait-il de n’en être pas un, ne vous moquez pas de mon pauvre savoir, ne riez pas de mes peurs, ne vous gaussez pas de mon scepticisme ou de ma crédulité, je n’aurai été qu’un songe-creux errant dans un monde exténué d’affectation et de vanité.

Ô vous, hommes et femmes dont les noms sont gravés sur la pierre au-dessous de laquelle je deviendrai charogne, puis squelette, enfin poussière d’entre vos poussières, accueillez-moi avec amour.

Ainsi soit-il.

> Foi

Quenelle de brochet

Les quenelles de brochet constituaient l’entrée immuable du déjeuner de famille du jour de Noël. Pourquoi ma mère s’en serait-elle écartée alors qu’elle était assurée de triompher, comme chaque année, avec ce plat traditionnel de la cuisine lyonnaise ?