Dans un échange mené rondement j’avoue négliger souvent les accents, les traits d’union et les virgules, alors que j’abuse des points d’exclamation ! On a raison de me croire incapable d’écrire des textos dans la langue phonétique des jeunes. Je suis content qu’ils aient remis au goût du jour une expression tombée en désuétude : a1dc4 (à un de ces quatre).
Autre nom du texto, le SMS, sigle anglais qui signifie, la plupart des Français l’ignorent, Short Message Service.
Trac
Comment un type aussi « traqueur » que moi a pu faire pendant vingt-huit ans des émissions en direct, poussant un apparent masochisme jusqu’à pester quand, pour une raison impérieuse, il fallait en passer par un enregistrement ?
À l’école, déjà, j’avais le trac. Une récitation m’asséchait la gorge, une interrogation me nouait les mains. Faute de pouvoir maîtriser mes nerfs, des pulsions sexuelles agitant même mes cuisses, je ne disposais jamais d’assez de temps pour les épreuves écrites du brevet et du baccalauréat. À l’oral, je paniquais. Dans les matches de tennis de table, je devais souvent remonter un handicap dû à l’émotion des premiers échanges. Je retournais ensuite contre mon adversaire ma maladresse initiale et la lui faisais payer le plus cher possible.
Lors de mon inscription au Centre de formation des journalistes, j’ai dû écrire en une demi-heure un texte dans lequel je confiais les raisons pour lesquelles j’ambitionnais de devenir journaliste. Ma copie a été retrouvée : banale, quasi nulle. Mon trouble m’avait même fait écrire « journeaux ». Deux ans après, je réussissais fort bien les examens écrits et oraux de sortie de l’école. Étrange rétablissement.
Mon trac le plus long, le plus pénible, le plus burlesque, je l’ai eu lors de mon passage devant la commission de réception et de discipline du Club des Cent. Pour entrer dans cet aréopage de gourmets où Claude Imbert m’avait depuis longtemps précédé et me parrainait, il faut montrer que l’on possède quelques compétences dans ces matières nobles mais vastes que sont le boire et le manger. La vingtaine d’examinateurs réunis comme un tribunal de l’Inquisition n’exigent pas de l’impétrant d’être un familier des œuvres de Brillat-Savarin, d’Auguste Escoffier, d’Ali-Bab, d’Antonin Carême, de Mme Saint-Ange, d’Alain Ducasse, de Roger Dion ou d’Émile Peynaud, mais ils veulent savoir s’il est capable d’apprécier et de nommer ce que les chefs mettent dans son assiette et les vignerons dans son verre. S’il a de la curiosité et du goût pour ce qu’il mange et ce qu’il boit. Il faut pouvoir, par exemple, citer les morceaux du boucher, la liste des premiers et seconds grands crus du classement de 1855 des bordeaux, les noms des restaurants trois étoiles de Paris, des cépages des châteauneuf-du-pape et des hermitages, des fromages d’Auvergne ou de Normandie, etc. Il faut donc bachoter avant de passer ce grand oral.
J’avais bachoté dur.
C’était en 1985. Au plus fort de mon émission Apostrophes. La commission s’attendait à voir paraître devant elle un homme à l’aise dans les reparties, sûr de lui. Or un trac effroyable, inentamable, de béton, m’avait saisi et pétrifié dès que j’avais pris place au milieu du fer à cheval que dessinait le jury. J’étais dans l’incapacité de prononcer un mot. Pourtant, la première question, judicieuse, amusante, aurait dû me mettre à l’aise : « En dehors de la conversation dont vous êtes un éminent spécialiste à la télévision, ce mot de conversation a-t-il pour vous un autre sens ? » Des conversations, j’en avais mangé, savouré, pendant toute mon enfance. Cette petite pâtisserie fourrée de crème d’amande, généralement de forme ronde, avec au-dessus un feuilletage en croisillons, était — hélas ! les pâtissiers n’en font plus — l’un de mes desserts préférés. Impossible d’expliquer cela. Rien ne voulait sortir de ma bouche. La conversation me laissait silencieux. J’étais ridicule.
Puis, le trac s’étant peu à peu dissipé, j’ai pu, enfin, répondre à des questions qui n’étaient pas toutes aussi faciles que la première et qui m’ont même permis d’amuser mon auditoire.
Invité dans deux ou trois émissions avant de diriger la mienne, je n’y manifestai aucune inquiétude. Ayant récemment découvert ces séquences qui remontent à la fin des années soixante, j’ai pu constater que j’y étais même très à l’aise.
En revanche, je fus la proie d’une panique glacée — je transpirais abondamment, mes vêtements étaient collés à ma peau, et j’avais froid — durant les quelques minutes qui précédèrent, le 2 avril 1973, à 21 h 30, le début de ma première émission — en direct —, Ouvrez les guillemets. Il n’y avait pas eu d’essai, ni de numéro zéro, encore moins de générale. Juste une répétition dans l’après-midi sous la direction du réalisateur, Claude Barma, qui avait prévu pendant l’émission des déplacements que je devais effectuer d’un fauteuil à un canapé, puis à un pouf, puis… Plus l’heure de me lancer approchait, plus je ressentais l’envie de fuir le piège dans lequel — par gloriole ? par crânerie ? par légèreté ? par bêtise ? — je m’étais fourré. Mon cœur battait très fort et j’avais l’impression qu’il allait s’arrêter. Seigneur, quelle trouille !
Puis, soudain, j’ai vu ma tête sur l’écran placé devant moi. J’ai commencé à parler, de moins en moins stressé, de plus en plus assuré, et deux minutes ne s’étaient pas écoulées que je n’avais plus peur. J’ai fait exactement ce que je devais faire pendant les soixante-quinze minutes de l’émission. Est-ce la télévision qui m’avait domestiqué ou moi qui l’avais domptée ? La nécessité et la brutalité du direct n’avaient-elles pas forcé ma nature à se comporter comme si, les caméras n’existant pas, la plupart du temps oubliées, elle était spontanément redevenue elle-même ?
Le trac si excitant du direct ne m’a jamais complètement lâché. Mais il ne s’est plus manifesté que sous la forme d’un trou d’air, tel qu’on peut le ressentir en avion, dans les secondes qui précédaient ma présentation de l’émission. Ensuite, le voyage se poursuivait normalement.
Le lendemain de la première émission d’Ouvrez les guillemets, Jacqueline Baudrier, directrice de la première chaîne, me dit au téléphone : « L’émission n’était pas bonne. C’est normal puisque c’était la première. Ne remettez jamais cette veste : vous aviez l’air d’un garçon de café. Je suis sûre d’une chose : vous êtes fait pour la télévision. »
À l’intention des psychologues.
Lorsque des manifestants envahissaient le plateau ou qu’un énergumène menaçait de se trancher la gorge si on n’écoutait pas ses doléances, je faisais preuve chaque fois d’un sang-froid dont j’étais le premier étonné. Car, dans la vie ordinaire, je suis vite agacé par un trouble imprévu. Le moindre bruit me fait sursauter. Je suis vite ému, angoissé, agité. Serais-je averti que je mourrais dans un quart d’heure, je céderais à la panique. Dans une émission en direct, serais-je informé de la même fin imminente et brutale, je prierais calmement mes invités de continuer de répondre à mes questions.
Train fantôme
Adolescent, puis jeune homme, je n’étais pas, mais pas du tout, ce que j’allais devenir : un animateur. Ni chef ni meneur, plutôt réservé, assez romantique, j’avais des périodes de gaîté, de camaraderie espiègle et bruyante, mais, heureux d’appartenir à un groupe, je n’en prenais jamais la tête. Trop naïf, timoré ou méfiant pour jouer les premiers rôles.