Préconisons plutôt des livres de poètes et de moralistes. Des recueils de textes courts : haïkus, quatrains, sonnets pour les uns, maximes, pensées, apophtegmes pour les autres. Exemples : Nouvelles en trois lignes, de Félix Fénéon, Usage du temps, de Jean Follain, En attendant les barbares, de Constantin Cavafy, Les Contrerimes, de Paul-Jean Toulet, De l’inconvénient d’être né, de Cioran (je renoncerais à son Précis de décomposition, trop évident dans cet endroit, ou alors on joue le premier degré, et l’on ne propose que cet ouvrage), les Maximes, de La Rochefoucauld, les Quatrains (Rubâ’iyyât), d’Omar Khayam, les Sonnets, de Louise Labé, l’Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, de Charles Dantzig, Les Nécessités de la vie et les Conséquences des rêves, de Paul Eluard, les Épigrammes, de Martial, les Maximes et pensées, de Chamfort, les Cartes postales, d’Henry J.-M. Levet…
Voilà qui constituerait un joli fonds pour une bibliothèque du petit coin. Je sais d’expérience que la lecture, dans une position qui n’est pas inconfortable mais temporaire, d’une maxime ou de quelques vers procure à l’esprit, qui ne s’y attend pas, une délicate surprise.
« Toutes mes bonnes lectures ont lieu aux toilettes. Il y a des passages d’Ulysse qu’on ne peut lire qu’aux toilettes — si on veut en extraire toute la saveur du contenu » (Henry Miller, Les Livres de ma vie).
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X
La langue française est parfois très étrange. Elle présente des bizarreries qui peuvent dérouter des esprits logiques, mais qui la rendent récréative, et même loufoque.
Ainsi la lettre et le mot x.
En algèbre, le x est le symbole désignant une inconnue. Si l’on veut garder secrète l’identité d’une personne, on la nomme M. ou Mme X. Parce qu’on ne sait pas qui a fait le coup, on porte plainte contre X. Un enfant né sous X restera dans l’ignorance de l’identité de sa mère. Celle-ci a accouché sous X dans l’intention d’abandonner son enfant.
La lettre x est devenue au fil du temps le symbole de ce qui demeure caché, secret. Ou, si l’on veut en percer le mystère, il faudra déployer beaucoup d’énergie et de ruse.
Tout le contraire des films pornographiques « classés X ». Ce X désigne, identités au générique, des corps nus, étalés, exhibés, ouverts, explorés, détaillés, des sexes en représentation, des bouches dans l’avidité de la possession, des langues serpentines, des visages affichés dans l’éclat ou la simulation de la jouissance.
C’est donc la même lettre x qui sert tantôt à dissimuler, tantôt à déballer.
Un cinéaste porno doté d’un peu d’humour a-t-il pensé à faire asseoir une actrice aux cuisses ouvertes sur un x, petit tabouret aux pieds croisés ?
Yeuse
Le nom provençal du chêne vert est très prisé des joueurs de Scrabble. Il faut dire et écrire l’yeuse et non, par contamination avec la gueuse, la yeuse. S’il est un robuste écrivain dont les racines s’enfonçaient elles aussi dans la terre de Provence, et que l’yeuse symbolise, c’est Jean Giono.
J’aurais aimé connaître Jean Giono et me promener avec lui pour qu’il me parle des orchis, du sainfoin, des oliviers, des platanes, de la « lourde clématite ébouriffée » (Solitude de la pitié), de la menthe poivrée, de la lavande, des vignes, du lierre noir, des « cyprès très funèbres » (Le Hussard sur le toit), des peupliers, du laurier, des ronces, du « réséda sauvage dont l’odeur fine est si joyeuse qu’elle dissipe toute mélancolie » (Ennemonde et autres caractères), des genêts, de l’alfa, de la dent-de-lion (qu’il écrit « dendelion »), des ormeaux, des « grandes yeuses crépues » (Le Chant du monde).
Youpi !
Cette interjection qui marque l’enthousiasme, ce cri de réussite et de joie, je ne l’emploie guère oralement. Mais par écrit, oui. Youpi ! C’est un succès, je suis heureux, je conclus mon récit par cette manifestation d’euphorie en cinq lettres.
La plus courte et la plus jubilatoire déclaration d’amour : « Je vous aime, youpi ! »
Hourra ! me casse les oreilles. Trop souvent hurlé dans les vestiaires après les matchs. Les hip, hip, hip ! hourra ! des joueurs de foot ou de rugby après une victoire, quand ils sont rassemblés, suants, crottés, autour de leur capitaine, me paraissent aujourd’hui puérils et dérisoires. Je ne marche plus. Trop convenu, trop répétitif. Changez le disque.
Le joueur auquel le reporter tend son micro après le match, alors qu’il quitte le terrain, je préférerais l’entendre dire, plutôt que d’exaspérantes banalités : « Youpi ! On a gagné ! »
Ce sympathique youpi vient de youp, onomatopée qui accompagne un geste, un saut, un mouvement assez vif. « Allez du balai !… Youp ! là là ! » (Céline, Guignol’s band). Et youp aurait donné youpi par imitation de l’américain whoop qui a donné whoopee.
Zeugma
Figure de style rapide et économique. Très peu de CO2 dégagé.
Exemple : « Il sauta un repas et sa belle-sœur, reprit son souffle et une banane » (Pierre Desproges).
Zut !
Le puriste qui sommeille en moi et qui la ramène rarement est scandalisé par la confusion des locuteurs dans l’emploi de deux jurons : zut ! et merde ! Comment peut-on les utiliser indifféremment ? Les intervertir comme s’ils disaient la même chose ? Comment peut-on faire de zut ! et merde ! deux synonymes ? Merde alors ! Respectueux du sens des mots, je n’ai évidemment pas écrit : zut alors ! parce que je suis très en colère, que c’est merde qui convient et pas zut.
Les barbares ont quelques circonstances atténuantes. On colle aux deux jurons, avant et après, des termes qui entretiennent la confusion. Ainsi : ah ! zut ! ah ! merde ! ; et puis zut ! et puis merde ! ; oh ! et puis zut ! oh ! et puis merde ! ; zut alors ! merde alors ! ; ah ! zut alors ! ah ! merde alors ! Sans oublier les répétitions du juron lui-même : zut, zut et zut ! merde, merde et merde !
Mais enfin, confondre zut ! et merde ! c’est comme si on confondait mince ! et crotte ! On ne lance pas l’un pour l’autre comme si l’un égalait l’autre. Il y a des nuances, que diable ! Mais celles-ci étant peu perceptibles aux oreilles des nouveaux ignorants, nous devons bien constater que l’on dit de moins en moins zut ! et de plus en plus merde ! Zut ! est recouvert par merde !, submergé, étouffé… Allégorie de l’impitoyable monde moderne.