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– Tiens! un manteau de femme! dit la Goualeuse en remarquant qu’elle s’était assise sur ce vêtement qu’elle n’avait pas aperçu.

– Oui, c’est pour vous, mon enfant: je l’ai pris dans la crainte que vous n’ayez froid; enveloppez-vous bien.

Peu habituée à ces prévenances, la pauvre fille regarda Rodolphe avec surprise. L’espèce d’intimidation que ce dernier lui causait augmentait encore, ainsi qu’une tristesse vague, dont elle ne se rendait plus compte.

– Mon Dieu! Monsieur Rodolphe, comme vous êtes bon! Ça me rend honteuse.

– Parce que je suis bon?

– Non; mais… il me semble que vous ne parlez plus maintenant comme hier, que vous êtes tout autre…

– Voyons, Fleur-de-Marie, qu’aimez-vous mieux, que je sois le Rodolphe d’hier, ou le Rodolphe d’aujourd’hui?

– Je vous aime bien mieux comme maintenant… Pourtant, hier il me semblait que j’étais plus votre égale…

Puis, se reprenant aussitôt, craignant d’avoir humilié Rodolphe, elle reprit:

– Quand je dis votre égale… monsieur Rodolphe, je sais bien que cela ne peut pas être…

– Il y a une chose qui m’étonne en vous, Fleur-de-Marie.

– Quoi donc, monsieur Rodolphe?

– Vous semblez oublier ce que la Chouette vous a dit hier de vos parents… qu’elle connaissait votre mère…

– Oh! je n’ai pas oublié cela… J’y ai pensé cette nuit… et j’ai bien pleuré… mais je suis sûre que cela n’est pas vrai… la borgnesse aura inventé cette histoire pour me faire de la peine…

– Il se peut que la Chouette soit mieux instruite que vous ne le croyez. Si cela était, ne seriez-vous pas heureuse de retrouver votre mère?

– Hélas! monsieur Rodolphe! Si ma mère ne m’a jamais aimée… à quoi bon la retrouver?… Elle ne voudra pas seulement me voir… Si elle m’a aimée… quelle honte je lui ferais!… Elle en mourrait peut-être.

– Si votre mère vous a aimée, Fleur-de-Marie, elle vous plaindra, elle vous pardonnera, elle vous aimera encore… Si elle vous a délaissée… en voyant à quel sort affreux son abandon vous a réduite… sa honte vous vengera.

– À quoi ça sert-il de se venger? Et puis, si je me vengeais, il me semble que je n’aurais plus le droit de me trouver malheureuse… Et souvent cela me console…

– Vous avez peut-être raison… N’en parlons plus…

À ce moment, la voiture arrivait près de Saint-Ouen, à l’embranchement de la route de Saint-Denis et du chemin de la Révolte.

Malgré la monotonie du paysage, Fleur-de-Marie fut si transportée de voir des champs, comme elle disait, qu’oubliant les tristes pensées que le souvenir de la Chouette venait d’éveiller en elle, son charmant visage s’épanouit. Elle se pencha à la portière en battant des mains et s’écria:

– Monsieur Rodolphe, quel bonheur!… de l’herbe! des champs! Si vous vouliez me permettre de descendre… il fait si beau!… J’aimerais tant à courir dans ces prairies…

– Courons, mon enfant… Cocher, arrête!

– Comment! Vous aussi, monsieur Rodolphe?

– Moi aussi… Je m’en fais une fête.

– Quel bonheur!! monsieur Rodolphe!!

Et Rodolphe et la Goualeuse de se prendre par la main et de courir à perdre haleine dans une vaste pièce de regain tardif, récemment fauché.

Dire les bonds, les petits cris joyeux, le ravissement de Fleur-de-Marie, serait impossible. Pauvre gazelle si longtemps prisonnière, elle aspirait le grand air avec ivresse. Elle allait, venait, s’arrêtait, repartait avec de nouveaux transports.

À la vue de plusieurs touffes de pâquerettes et de quelques boutons d’or épargnés par les premières gelées blanches, la Goualeuse ne put retenir de nouvelles exclamations de plaisir; elle ne laissa pas une de ces petites fleurs, et glana tout le pré.

Après avoir ainsi couru au milieu des champs, lassée vite, car elle avait perdu l’habitude de l’exercice, la jeune fille, s’arrêtant pour reprendre haleine, s’assit sur un tronc d’arbre renversé au bord d’un fossé profond.

Le teint transparent et blanc de Fleur-de-Marie, ordinairement un peu pâle, se nuançait des plus vives couleurs. Ses grands yeux bleus brillaient doucement; sa bouche vermeille, haletante, laissait voir deux rangées de perles humides, son sein battait sous son vieux petit châle orange; elle appuyait une de ses mains sur son cœur pour en comprimer les pulsations, tandis que, de l’autre main, elle tendait à Rodolphe le bouquet de fleurs des champs qu’elle avait cueilli.

Rien de plus charmant que l’expression de joie innocente et pure qui rayonnait sur cette physionomie candide.

Lorsque Fleur-de-Marie put parler, elle dit à Rodolphe, avec un accent de félicité profonde, de reconnaissance presque religieuse:

– Que le bon Dieu est bon de nous donner un si beau jour!

Une larme vint aux yeux de Rodolphe en entendant cette pauvre créature abandonnée, méprisée, perdue, sans asile et sans pain, jeter un cri de bonheur et de gratitude ineffable envers le Créateur, parce qu’elle jouissait d’un rayon de soleil et de la vue d’une prairie.

Rodolphe fut tiré de sa contemplation par un incident imprévu.

IX La surprise

Nous l’avons dit, la Goualeuse s’était assise sur un tronc d’arbre renversé au bord d’un fossé profond.

Tout à coup un homme, se dressant du fond de cette excavation, secoua la litière sous laquelle il s’était tapi, et poussa un éclat de rire formidable.

La Goualeuse se retourna en jetant un cri d’effroi.

C’était le Chourineur.

– N’aie pas peur, ma fille, reprit le Chourineur en voyant la frayeur de la jeune fille, qui se réfugia auprès de son compagnon. Voilà une fameuse rencontre, hein! Maître Rodolphe, vous ne vous attendiez pas à cela? Ni moi non plus… Puis il ajouta d’un ton sérieux: Tenez, maître… voyez-vous, on dira ce qu’on voudra… mais il y a quelque chose en l’air… là-haut… au-dessus de nos têtes… Le meg des megs est un malin, il me fait l’effet de dire à l’homme: «Va comme je te pousse…» vu qu’il vous a poussé ici, ce qui est diablement étonnant!

– Que fais-tu là? dit Rodolphe très-surpris.

– Je veille au grain pour vous, mon maître… Mais, tonnerre! quelle bonne farce que vous veniez justement dans les environs de ma maison de campagne… Tenez, il y a quelque chose: décidément, il y a quelque chose.

– Mais, encore une fois, que fais-tu là?

– Tout à l’heure vous le saurez, donnez-moi seulement le temps de percher sur votre observatoire à un cheval.

Et le Chourineur courut vers le fiacre arrêté à peu de distance, jeta çà et là sur la plaine immense un coup d’œil perçant, et revint prestement rejoindre Rodolphe.

– M’expliqueras-tu ce que tout cela signifie?

– Patience! patience, maître! Encore un mot. Quelle heure est-il?

– Midi et demi, dit Rodolphe en consultant sa montre.

– Bon… nous avons le temps. La Chouette ne sera ici que dans une demi-heure.

– La Chouette! s’écrièrent à la fois Rodolphe et la jeune fille.