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– Une petite ouvrière, l’autre locataire du quatrième, reprit Mme Pipelet. Voilà une autre perle, payant son terme d’avance, et si proprette dans sa chambrette, et si gentille pour tout le monde, et si gaie… Un véritable oiseau du bon Dieu, pour être avenante et joyeuse! Avec ça travailleuse comme un petit castor, gagnant quelquefois jusqu’à ses deux francs par jour, mais dame avec bien du mal!

– Mais comment Mlle Rigolette est-elle la seule qui sache la demeure de M. Germain?

– Quand il a quitté la maison, reprit Mme Pipelet, il nous a dit: «Je n’attends pas de lettres; mais, si par hasard il m’en arrivait, vous les remettriez à Mlle Rigolette.» Et en ça elle était digne de sa confiance, quand même la lettre serait chargée; n’est-ce pas, Alfred?

– Le fait est qu’il n’y aurait rien à dire sur le compte de Mlle Rigolette, dit sévèrement le portier, si elle n’avait pas eu la faiblesse de se laisser cajoler par cet infâme Cabrion.

– Pour ce qui est de ça, Alfred, reprit la portière, tu sais bien que ce n’est pas la faute de Mlle Rigolette, ça tient au local; car ç’a été tout de même avec le commis voyageur qui occupait la chambre avant Cabrion, comme après ce méchant peintre ç’a été M. Germain qui la cajolait; encore une fois, ça ne peut être autrement, ça tient au local.

– Ainsi, dit Rodolphe, les locataires de la chambre que je veux louer font nécessairement la cour à Mlle Rigolette?

– Nécessairement, monsieur; vous allez comprendre ça. On est voisin avec Mlle Rigolette, les deux chambres se touchent; eh bien! entre jeunesse… c’est une lumière à allumer, un peu de braise à emprunter, ou bien de l’eau. Oh! quant à l’eau, on est sûr d’en trouver chez Mlle Rigolette, elle n’en manque jamais: c’est son luxe, c’est un vrai petit canard. Dès qu’elle a un moment, elle est tout de suite à laver ses carreaux, son foyer. Aussi c’est toujours si propre chez elle!… vous verrez ça.

– Ainsi M. Germain, eu égard à la localité, a donc été, comme vous dites, bon voisin avec Mlle Rigolette?

– Oui, monsieur, et c’est le cas de dire qu’ils étaient nés l’un pour l’autre. Si gentils, si jeunes, ils faisaient plaisir à voir descendre les escaliers le dimanche, le seul jour de congé à ces pauvres enfants! elle bien attifée d’un joli bonnet et d’une jolie robe à vingt-cinq sous l’aune, qu’elle se fait elle-même, mais qui lui allait comme à une petite reine; lui, mis en vrai muscadin!

– Et M. Germain n’a plus revu Mlle Rigolette depuis qu’il a quitté cette maison?

– Non, monsieur, à moins que ça ne soit le dimanche, car les autres jours Mlle Rigolette n’a pas le temps de penser aux amoureux, allez! Elle se lève à cinq ou six heures, et travaille jusqu’à dix ou quelquefois onze heures du soir; elle ne quitte jamais sa chambre, excepté le matin pour aller acheter la provision pour elle et ses deux serins, et à eux trois ils ne mangent guère, allez! Qu’est-ce qu’il leur faut? Deux sous de lait, un peu de pain, du mouron, de la salade, du millet, et de la belle eau claire; ce qui ne les empêche pas de babiller et de gazouiller tous les trois, la petite et ses deux oiseaux, que c’est une bénédiction!… Avec ça, bonne et charitable en ce qu’elle peut, c’est-à-dire de son temps de sommeil et de ses soins, car, en travaillant quelquefois plus de douze heures par jour, c’est tout juste si elle gagne de quoi vivre… Tenez, ces malheureux des mansardes, que M. Bras-Rouge va mettre sur le pavé pas plus tard que dans trois ou quatre jours, Mlle Rigolette et M. Germain ont veillé leurs enfants pendant plusieurs nuits!

– Il y a donc une famille malheureuse ici?

– Malheureuse, monsieur! Dieu de Dieu! Je le crois bien. Cinq enfants en bas âge, la mère au lit, presque mourante, la grand’mère idiote; et pour nourrir tout ça un homme qui ne mange pas du pain tout son soûl en trimant comme un nègre; car c’est un fameux ouvrier! Trois heures de sommeil sur vingt-quatre, voilà tout ce qu’il prend, et encore quel sommeil!… quand on est réveillé par des enfants qui crient: «Du pain!» par une femme malade qui gémit sur sa paillasse, ou par la vieille idiote qui se met quelquefois à rugir comme une louve… de faim aussi, car elle n’a pas plus de raison qu’une bête. Quand elle a trop envie de manger, on l’entend des escaliers, elle hurle.

– Ah! c’est affreux! s’écria Rodolphe; et personne ne les secourt?

– Dame! monsieur, on fait ce qu’on peut entre pauvres gens. Depuis que le commandant me donne ses douze francs par mois pour faire son ménage, je mets le pot-au-feu une fois la semaine, et ces malheureux d’en haut ont du bouillon. Mlle Rigolette prend sur ses nuits, et dame! ça lui coûte toujours de l’éclairage, pour faire, avec des rognures d’étoffes, des brassières et des béguins aux petits… Ce pauvre M. Germain, qu’était pas bien calé non plus, faisait semblant de recevoir de temps en temps quelques bonnes bouteilles de vin de chez lui, et Morel (c’est le nom de l’ouvrier) buvait un ou deux fameux coups qui le réchauffaient et lui mettaient pour un moment du cœur au ventre.

– Et le charlatan ne faisait-il rien pour ces pauvres gens?

– M. Bradamanti? dit le portier; il m’a guéri de mon rhumatisme, c’est vrai, je le vénère; mais dès ce jour-là j’ai dit à mon épouse: «Anastasie, M. Bradamanti…» Hum! hum! te l’ai-je dit, Anastasie?

– C’est vrai, tu me l’as dit, mais il aime à rire, cet homme! Du moins à sa manière, car il ne desserre pas les dents pour cela.

– Qu’a-t-il donc fait?

– Voilà, monsieur. Quand je lui ai parlé de la misère des Morel, à propos de ce qu’il se plaignait que la vieille idiote avait hurlé de faim toute la nuit, et que lui, ça l’avait empêché de dormir, il m’a dit: «Puisqu’ils sont si malheureux, s’ils ont des dents à arracher, je ne leur ferai pas même payer la sixième, et je leur donnerai une bouteille de mon eau à moitié prix.»

– Eh bien! s’écria M. Pipelet, quoiqu’il m’ait guéri de mon rhumatisme, je maintiens que c’est une plaisanterie indécente. Mais il n’en fait jamais d’autres… et encore si elles n’étaient qu’indécentes!

– Songe donc, Alfred, qu’il est italien, et que c’est peut-être la manière de plaisanter chez eux.

– Décidément, madame Pipelet, dit Rodolphe, j’ai mauvaise opinion de cet homme, et je ne ferai pas, comme vous dites, ni amitié ni société avec lui… Et la prêteuse sur gages a-t-elle été plus charitable?

– Hum! dans le prix de M. Bradamanti, dit la portière: elle leur a prêté sur leurs pauvres hardes… Tout y a passé, jusqu’à leur dernier matelas… C’est pas l’embarras, ils n’en ont jamais eu que deux.

– Et maintenant elle ne les aide pas?

– La mère Burette? Ah bien! oui; elle est aussi chiche dans son espèce que son amoureux dans la sienne; car, dites donc, M. Bras-Rouge et la mère Burette…, ajouta la portière avec un clignement d’yeux et un hochement de tête extraordinairement malicieux.

– Vraiment! dit Rodolphe.

– Je crois bien… à mort!… Et allez donc! Les étés de la Saint-Martin sont aussi chauds que les autres, n’est-ce pas, vieux chéri?

M. Pipelet, pour toute réponse, agita mélancoliquement son chapeau tromblon.

Depuis que Mme Pipelet avait fait montre d’un sentiment de charité à l’égard des malheureux des mansardes, elle semblait moins repoussante à Rodolphe.