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Prêter les mains à ce mariage.

Mais:

Prévenir le grand-duc, c’était s’aliéner à tout jamais l’héritier présomptif de la couronne.

Éclairer Rodolphe sur les vues intéressées de Sarah, c’était s’exposer à être reçu comme on l’est toujours par un amoureux lorsqu’on vient lui déprécier l’objet aimé; et puis quel terrible coup pour la vanité ou pour le cœur du prince!… lui révéler que c’était surtout sa position souveraine qu’on voulait épouser; et puis enfin, chose étrange! lui prêtre, viendrait blâmer la conduite d’une jeune fille qui voulait rester pure et n’accorder qu’à son époux les droits d’un amant?

En se prêtant au contraire à ce mariage, l’abbé s’attachait le prince et sa femme par un lien de reconnaissance profonde, ou du moins par la solidarité d’un acte dangereux.

Sans doute tout pouvait se découvrir, et il s’exposait alors à la colère du grand-duc; mais le mariage serait conclu, l’union valable, l’orage passerait, et le futur souverain de Gerolstein se trouverait d’autant plus lié envers l’abbé que celui-ci aurait couru plus de danger à son service.

Après de mûres réflexions, l’abbé se décida donc à servir Sarah; néanmoins avec une certaine restriction dont nous parlerons plus tard.

La passion de Rodolphe était arrivée à sa dernière période; violemment exaspéré par la contrainte et par les habilissimes séductions de Sarah, qui semblait souffrir encore plus que lui des obstacles insurmontables que l’honneur et le devoir mettaient à leur félicité, quelques jours de plus, le jeune prince se trahissait.

Qu’on y songe, c’était un premier amour, un amour aussi ardent que naïf, aussi confiant que passionné; pour l’exciter, Sarah avait déployé les ressources infernales de la coquetterie la plus raffinée. Non, jamais les émotions vierges d’un jeune homme plein de cœur, d’imagination et de flamme, ne furent plus longuement, plus savamment excitées; jamais femme ne fut plus dangereusement attrayante que Sarah. Tour à tour folâtre et triste, chaste et passionnée, pudique et provocante: ses grands yeux noirs, langoureux et brûlants, allumèrent dans l’âme effervescente de Rodolphe un feu inextinguible.

Lorsque l’abbé lui proposa de ne plus jamais voir cette fille enivrante, ou de la posséder par un mariage secret, Rodolphe sauta au cou du prêtre, l’appela son sauveur, son ami, son père. Le temple et le ministre eussent été là que le jeune prince eût épousé à l’instant.

L’abbé voulut, pour cause, se charger de tout.

Il trouva un ministre, des témoins; et l’union (dont toutes les formalités furent soigneusement surveillées et vérifiées par Tom) fut secrètement célébrée pendant une courte absence du grand-duc, appelé à une conférence de la Diète germanique.

Les prédictions de la montagnarde Écossaise étaient réalisées: Sarah épousait l’héritier d’une couronne.

Sans amortir les feux de son amour, la possession rendit Rodolphe plus circonspect et calma cette violence qui aurait pu compromettre le secret de sa passion pour Sarah. Le jeune couple, protégé par Tom et par l’abbé, s’entendit si bien, mit tant de réserve dans ses relations, qu’elles échappèrent à tous les yeux.

Pendant les trois premiers mois de son mariage, Rodolphe fut le plus heureux des hommes; lorsque, la réflexion succédant à l’entraînement, il contempla sa position de sang-froid, il ne regretta pas de s’être enchaîné à Sarah par un lien indissoluble; il renonça sans regrets pour l’avenir à cette vie galante, voluptueuse, efféminée, qu’il avait d’abord si ardemment rêvée, et il fit avec Sarah les plus beaux projets du monde sur leur règne futur.

Dans ces lointaines hypothèses, le rôle de Premier ministre, que l’abbé s’était destiné in petto, diminuait beaucoup d’importance: Sarah se réservait ces fonctions gouvernementales; trop impérieuse pour ne pas ambitionner le pouvoir et la domination, elle espérait régner à la place de Rodolphe.

Un événement impatiemment attendu par Sarah changea bientôt ce calme en tempête.

Elle devint mère.

Alors se manifestèrent chez cette femme des exigences toutes nouvelles et effrayantes pour Rodolphe; elle lui déclara, en fondant en larmes hypocrites, qu’elle ne pouvait plus supporter la contrainte où elle vivait, contrainte que sa grossesse rendait plus pénible encore.

Dans cette extrémité, elle proposait résolument à Rodolphe de tout avouer au grand-duc: il s’était, ainsi que la grande-duchesse douairière, de plus en plus affectionné à Sarah. Sans doute, ajoutait celle-ci, il s’indignerait d’abord, s’emporterait; mais il aimait si tendrement, si aveuglément son fils; il avait pour elle, Sarah, tant d’affection, que le courroux paternel s’apaiserait peu à peu, et elle prendrait enfin à la cour de Gerolstein le rang qui lui appartenait, si cela se peut dire, doublement, puisqu’elle allait donner un enfant à l’héritier présomptif du grand-duc.

Cette prétention épouvanta Rodolphe: il connaissait le profond attachement de son père pour lui, mais il connaissait aussi l’inflexibilité des principes du grand-duc à l’endroit des devoirs de prince.

À toutes ses objections, Sarah répondait impitoyablement:

– Je suis votre femme devant Dieu et devant les hommes. Dans quelque temps je ne pourrai plus cacher ma grossesse; je ne veux plus rougir d’une position dont je suis au contraire si fière, et dont je puis me glorifier tout haut.

La paternité avait redoublé la tendresse de Rodolphe pour Sarah. Placé entre le désir d’accéder à ses vœux et la crainte du courroux de son père, il éprouvait d’affreux déchirements. Tom prenait le parti de sa sœur.

– Le mariage est indissoluble, disait-il à son sérénissime beau-frère. Le grand-duc peut vous exiler de sa cour, vous et votre femme; rien de plus. Or il vous aime trop pour se résoudre à une pareille mesure; il préférera tolérer ce qu’il n’aura pu empêcher.

Ces raisonnements, fort justes d’ailleurs, ne calmaient pas les anxiétés de Rodolphe. Sur ces entrefaites, Tom fut chargé par le grand-duc d’aller visiter plusieurs haras d’Autriche. Cette mission, qu’il ne pouvait refuser, ne devait le retenir que quinze jours au plus; il partit, à son grand regret, dans un moment très-décisif pour sa sœur.

Celle-ci fut à la fois chagrine et satisfaite de l’éloignement de son frère; elle perdait l’appui de ses conseils, mais aussi, dans le cas où tout se découvrirait, il serait à l’abri de la colère du grand-duc.

Sarah devait tenir Tom au courant, jour par jour, des différentes phases d’une affaire si importante pour tous deux. Afin de correspondre plus sûrement et plus secrètement, ils convinrent d’un chiffre.

Cette précaution seule prouve que Sarah avait à entretenir son frère d’autre chose que de son amour pour Rodolphe. En effet, cette femme égoïste, froide, ambitieuse, n’avait pas senti se fondre les glaces de son cœur à l’embrasement de l’amour passionné qu’elle avait allumé.

La maternité ne fut pour elle qu’un moyen d’action de plus sur Rodolphe et n’attendrit pas même cette âme d’airain. La jeunesse, le fol amour, l’inexpérience de ce prince presque enfant, si perfidement attiré dans une position inextricable, lui inspiraient à peine de l’intérêt; dans ses intimes confidences à Tom, elle se plaignait avec dédain et amertume de la faiblesse de cet adolescent qui tremblait devant le plus paterne des princes allemands, qui vivait bien longtemps!