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– Morel, je veux ma fille; je la veux! s’écria Madeleine.

– C’est vrai, chacun à son tour, répondit le lapidaire. Et il alla poser l’enfant dans les bras de sa femme.

Puis il se cacha la figure entre ses mains en poussant un long gémissement.

Madeleine, non moins égarée que son mari, enfouit dans la paille de son grabat le corps de sa fille, le couvant des yeux avec une sorte de jalousie sauvage, pendant que les autres enfants, agenouillés, éclataient en sanglots.

Les recors, un moment émus par la mort de l’enfant, retombèrent bientôt dans leur habitude de dureté brutale.

– Ah çà, voyons, camarade, dit Malicorne au lapidaire, votre fille est morte, c’est un malheur; nous sommes tous mortels; nous n’y pouvons rien, ni vous non plus… Il faut nous suivre; nous avons encore un particulier à pincer, car le gibier donne aujourd’hui.

Morel n’entendait pas cet homme.

Complètement égaré dans de funèbres pensées, l’artisan se disait d’une voix sourde et saccadée:

– Il va pourtant falloir ensevelir ma petite fille… la veiller… ici… jusqu’à ce qu’on vienne l’emporter… L’ensevelir! mais avec quoi? Nous n’avons rien… Et le cercueil… qui est-ce qui nous fera crédit? Oh! un cercueil tout petit… pour un enfant de quatre ans… ça ne doit pas être cher… et puis pas de corbillard… on prend ça sous son bras… Ah! ah! ah! ajouta-t-il avec un éclat de rire effrayant, comme j’ai du bonheur!… Elle aurait pu mourir à dix-huit ans à l’âge de Louise, et on ne m’aurait pas fait crédit d’un grand cercueil…

– Ah çà, mais minute! ce gaillard-là est capable d’en perdre la boule, dit Bourdin à Malicorne; regarde donc ses yeux… il fait peur… Allons, bon!… et la vieille idiote qui hurle de faim!… quelle famille!…

– Faut pourtant en finir… Quoique l’arrestation de ce mendiant-là ne soit tarifée qu’à soixante-seize francs soixante-quinze centimes, nous enflerons, comme de juste, les frais à deux cent quarante ou deux cent cinquante francs. C’est le loup [35] qui paie…

– Dis donc qui avance; car c’est ce moineau-là qui payera les violons… puisque c’est lui qui va la danser.

– Quand celui-là aura de quoi payer à son créancier deux mille cinq cents francs pour capital, intérêts, frais et tout… il fera chaud…

– Ça ne sera pas comme ici, car on gèle…, dit le recors en soufflant dans ses doigts. Finissons-en, emballons-le, il pleurnichera en chemin… Est-ce que c’est notre faute, à nous, si sa petite est crevée?…

– Quand on est aussi gueux que ça on ne fait pas d’enfants.

– Ça lui apprendra! ajouta Malicorne; puis, frappant sur l’épaule de Moreclass="underline" Allons, allons, camarade, nous n’avons pas le temps d’attendre; puisque vous ne pouvez pas payer, en prison!

– En prison, M. Morel! s’écria une voix jeune et pure. Et une jeune fille brune, fraîche, rose et coiffée en cheveux, entra vivement dans la mansarde.

– Ah! Mlle Rigolette, dit un des enfants en pleurant, vous êtes si bonne! Sauvez papa, on veut l’emmener en prison, et notre petite sœur est morte…

– Adèle est morte! s’écria la jeune fille, dont les grands yeux noirs et brillants se voilèrent de larmes. Votre père en prison! Ça ne se peut pas…

Et, immobile, elle regardait tour à tour le lapidaire, sa femme et les recors.

Bourdin s’approcha de Rigolette.

– Voyons, ma belle enfant, vous qui avez votre sang-froid, faites entendre raison à ce brave homme; sa petite fille est morte, à la bonne heure! Mais il faut qu’il nous suive à Clichy… à la prison pour dettes: nous sommes gardes du commerce…

– C’est donc vrai? s’écria la jeune fille.

– Très-vrai! La mère a la petite dans son lit, on ne peut pas la lui ôter; ça l’occupe… Le père devrait profiter de ça pour filer.

– Mon Dieu! mon Dieu, quel malheur! s’écria Rigolette, quel malheur! Comment faire?

– Payer ou aller en prison, il n’y a pas de milieu; avez-vous deux ou trois billets de mille à leur prêter? demanda Malicorne d’un air goguenard; si vous les avez, passez à votre caisse, et aboulez les noyaux, nous ne demandons pas mieux.

– Ah! c’est affreux! dit Rigolette avec indignation. Oser plaisanter devant un pareil malheur!

– Eh bien! sans plaisanterie, reprit l’autre recors, puisque vous voulez être bonne à quelque chose, tâchez que la femme ne nous voie pas emmener le mari. Vous leur éviterez à tous les deux un mauvais quart d’heure.

Quoique brutal, le conseil était bon; Rigolette le suivit et s’approcha de Madeleine. Celle-ci, égarée par le désespoir, n’eut pas l’air de voir la jeune fille, qui s’agenouilla auprès du grabat avec les autres enfants.

Morel n’était revenu de son égarement passager que pour retomber sous le coup des réflexions les plus accablantes; plus calme, il put contempler l’horreur de sa position. Décidé à cette extrémité, le notaire devait être impitoyable, les recors faisaient leur métier.

L’artisan se résigna.

– Ah çà! marchons-nous à la fin? lui dit Bourdin.

– Je ne peux pas laisser ces diamants ici; ma femme est à moitié folle, dit Morel en montrant les diamants épars sur son établi. La courtière pour qui je travaille doit venir les chercher ce matin ou dans la journée; il y en a pour une somme considérable.

– Bon, dit Tortillard, qui était toujours resté auprès de la porte entrebâillée, bon, bon, la Chouette saura ça.

– Accordez-moi seulement jusqu’à demain, reprit Morel, afin que je puisse remettre ces diamants à la courtière.

– Impossible! Finissons tout de suite!

– Mais je ne veux pas, en laissant ces diamants ici, les exposer à être perdus.

– Emportez-les avec vous, notre fiacre est en bas, vous le payerez avec les frais. Nous irons chez votre courtière: si elle n’y est pas, vous déposerez ces pierreries au greffe de Clichy; ils seront aussi en sûreté là qu’à la banque… Voyons, dépêchons-nous; nous filerons sans que votre femme et vos enfants vous aperçoivent.

– Accordez-moi jusqu’à demain, que je puisse faire enterrer mon enfant! demanda Morel d’une voix suppliante et altérée par les larmes qu’il contraignait.

– Non!… voilà plus d’une heure que nous perdons ici…

– Cet enterrement vous attristerait encore, ajouta Malicorne.

– Ah! oui… cela m’attristerait, dit Morel avec amertume. Vous craignez tant d’attrister les gens!… Alors un dernier mot.

– Voyons, sacrebleu! dépêchez-vous!… dit Malicorne avec une impatience brutale.

– Depuis quand avez-vous l’ordre de m’arrêter?

– Le jugement a été rendu il y a quatre mois, mais c’est hier que notre huissier a reçu l’ordre du notaire de le mettre à exécution…

– Hier seulement?… pourquoi si tard?…

– Est-ce que je le sais, moi?… Allons, votre paquet!

– Hier!… et Louise n’a pas paru ici: où est-elle? Qu’est-elle devenue? dit le lapidaire en tirant de l’établi une boîte de carton remplie de coton, dans laquelle il rangea les pierres. Mais ne pensons pas à cela… En prison j’aurai le temps d’y songer.