Выбрать главу

– Qui êtes-vous? Que voulez-vous? leur demanda-t-il.

– C’est les deux locataires du quatrième, dit Mme Pipelet.

– Pardon! monsieur, j’ignorais que vous fussiez de la maison, dit-il à Rodolphe.

Celui-ci, augurant bien des manières polies du magistrat, lui dit:

– Vous allez trouver une famille désespérée, monsieur; je ne sais quel nouveau coup menace ce malheureux artisan, mais il a été cruellement éprouvé cette nuit… Une de ses filles, déjà épuisée par la maladie, est morte… sous ses yeux… morte de froid et de misère…

– Serait-il possible?

– C’est la vérité, mon commissaire, dit Mme Pipelet. Sans monsieur, qui vous parle, et qui est le roi des locataires, puisqu’il a sauvé par ses bienfaits le pauvre Morel de la prison, toute la famille du lapidaire serait morte de faim.

Le commissaire regardait Rodolphe avec autant d’intérêt que de surprise.

– Rien de plus simple, monsieur, reprit celui-ci; une personne très-charitable, sachant que Morel, dont je vous garantis l’honneur et la probité, était dans une position aussi déplorable que peu méritée, m’a chargé de payer une lettre de change pour laquelle les recors allaient traîner en prison ce pauvre ouvrier, seul soutien d’une famille nombreuse.

À son tour, frappé de la noble physionomie de Rodolphe et de la dignité de ses manières, le magistrat lui répondit:

– Je ne doute pas de la probité de Morel; je regrette seulement d’avoir à remplir une pénible mission devant vous, monsieur, qui vous intéressez si vivement à cette famille.

– Que voulez-vous dire, monsieur?

– D’après les services que vous avez rendus aux Morel, d’après votre langage, je vois, monsieur, que vous êtes un galant homme. N’ayant d’ailleurs aucune raison de cacher l’objet du mandat que j’ai à exercer, je vous avouerai qu’il s’agit de l’arrestation de Louise Morel, la fille du lapidaire.

Le souvenir du rouleau d’or offert aux gardes du commerce par la jeune fille revint à la pensée de Rodolphe.

– De quoi est-elle donc accusée, mon Dieu?

– Elle est sous le coup d’une prévention d’infanticide.

– Elle! Elle!… Oh! son pauvre père!

– D’après ce que vous m’apprenez, monsieur, je conçois que, dans les tristes circonstances où se trouve cet artisan, ce nouveau coup lui sera terrible… Malheureusement je dois obéir aux ordres que j’ai reçus.

– Mais il s’agit seulement d’une simple prévention? s’écria Rodolphe. Les preuves manquent, sans doute?

– Je ne puis m’expliquer davantage à ce sujet… La justice a été mise sur la voie de ce crime, ou plutôt de cette présomption, par la déclaration d’un homme respectable à tous égards… le maître de Louise Morel.

– Jacques Ferrand le notaire? dit Rodolphe indigné.

– Oui, monsieur… Mais pourquoi cette vivacité?

– M. Jacques Ferrand est un misérable, monsieur!

– Je vois avec peine que vous ne connaissez pas celui dont vous parlez, monsieur; M. Jacques Ferrand est l’homme le plus honorable du monde; il est d’une probité reconnue de tous.

– Je vous répète, monsieur, que ce notaire est un misérable… Il a voulu faire emprisonner Morel parce que sa fille a repoussé ses propositions infâmes. Si Louise n’est accusée que sur la dénonciation d’un pareil homme… avouez, monsieur, que cette présomption mérite peu de créance.

– Il ne m’appartient pas, monsieur, et il ne me convient pas de discuter la valeur des déclarations de M. Ferrand, dit froidement le magistrat; la justice est saisie de cette affaire, les tribunaux décideront; quant à moi, j’ai l’ordre de m’assurer de la personne de Louise Morel, et j’exécute mon mandat.

– Vous avez raison, monsieur, je regrette qu’un mouvement d’indignation peut-être légitime m’ait fait oublier que ce n’était en effet ni le lieu ni le moment d’élever une discussion pareille. Un mot seulement: le corps de l’enfant que Morel a perdu est resté dans sa mansarde, j’ai offert ma chambre à cette famille pour lui épargner le triste spectacle de ce cadavre; c’est donc chez moi que vous trouverez le lapidaire et probablement sa fille. Je vous en conjure, monsieur, au nom de l’humanité, n’arrêtez pas brusquement Louise au milieu de ces infortunés, à peine arrachés à un sort épouvantable. Morel a éprouvé tant de secousses cette nuit que sa raison n’y résisterait pas; sa femme est aussi dangereusement malade, un tel coup la tuerait.

– J’ai toujours, monsieur, exécuté mes ordres avec tous les ménagements possibles, j’agirai de même dans cette circonstance.

– Si vous me permettiez, monsieur, de vous demander une grâce? Voici ce que je vous proposerais: la jeune fille qui nous suit avec la portière occupe une chambre voisine de la mienne, je ne doute pas qu’elle ne la mette à votre disposition; vous pourriez d’abord y mander Louise, puis, s’il le faut, Morel, pour que sa fille lui fasse ses adieux… Au moins vous éviterez à une pauvre mère malade et infirme une scène déchirante.

– Si cela peut s’arranger ainsi, monsieur… volontiers.

La conversation que nous venons de rapporter avait eu lieu à demi-voix, pendant que Rigolette et Mme Pipelet se tenaient discrètement à plusieurs marches de distance du commissaire et de Rodolphe; celui-ci descendit auprès de la grisette, que la présence du commissaire rendait toute tremblante, et lui dit:

– Ma pauvre voisine, j’attends de vous un nouveau service; il faudrait me laisser libre de disposer de votre chambre pendant une heure.

– Tant que vous voudrez, monsieur Rodolphe… Vous avez ma clef. Mais, mon Dieu, qu’est-ce qu’il y a donc?

– Je vous l’apprendrai tantôt; ce n’est pas tout, il faudrait être assez bonne pour retourner au Temple dire qu’on n’apporte que dans une heure ce que nous avons acheté.

– Bien volontiers, monsieur Rodolphe; mais est-ce qu’il arrive encore malheur aux Morel?

– Hélas! oui, il leur arrive quelque chose de bien triste, vous ne le saurez que trop tôt.

– Allons, mon voisin, je cours au Temple… Mon Dieu! moi qui, grâce à vous, croyais ces braves gens hors de peine… dit la grisette; et elle descendit rapidement l’escalier.

Rodolphe avait voulu surtout épargner à Rigolette le triste tableau de l’arrestation de Louise.

– Mon commissaire, dit Mme Pipelet, puisque mon roi des locataires vous conduit, je peux aller retrouver Alfred? Il m’inquiète; c’est à peine si tout à l’heure il était remis de son indisposition de Cabrion.

– Allez… allez, dit le magistrat; et il resta seul avec Rodolphe. Tous deux arrivèrent sur le palier du quatrième, en face de la chambre où étaient alors provisoirement établis le lapidaire et sa famille.

Tout à coup la porte s’ouvrit.

Louise, pâle, éplorée, sortit brusquement.

– Adieu! Adieu! mon père, s’écria-t-elle, je reviendrai, il faut que je parte.

– Louise, mon enfant, écoute-moi donc, reprit Morel en suivant sa fille et en tâchant de la retenir.

À la vue de Rodolphe, du magistrat, Louise et le lapidaire restèrent immobiles.

– Ah! monsieur, vous notre sauveur, dit l’artisan en reconnaissant Rodolphe, aidez-moi donc à empêcher Louise de partir. Je ne sais ce qu’elle a, elle me fait peur; elle veut s’en aller. N’est-ce pas, monsieur, qu’il ne faut plus qu’elle retourne chez son maître? N’est-ce pas que vous m’avez dit: «Louise ne vous quittera plus, ce sera votre récompense.» Oh! à cette bienheureuse promesse, je l’avoue, un moment j’ai oublié la mort de ma pauvre petite Adèle; mais aussi je veux n’être plus séparé de toi, Louise, jamais! jamais!