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– Mon Dieu! oui; M. d’Orbigny ne peut vivre maintenant qu’à la campagne… et ce qu’il aime, je l’aime… Aussi, vous voyez en moi une vraie provinciale: je ne suis pas venue à Paris depuis le mariage de ma chère belle-fille avec cet excellent M. d’Harville… Le voyez-vous souvent?

– D’Harville est devenu très-sauvage et très-morose. On le rencontre assez peu dans le monde, dit M. de Saint-Remy avec une nuance d’impatience, car cet entretien lui était insupportable, et par son inopportunité, et parce que le notaire semblait s’en amuser beaucoup. Mais la belle-mère de Mme d’Harville, enchantée de cette rencontre avec un élégant, n’était pas femme à lâcher sitôt sa proie.

– Et ma chère belle-fille, reprit-elle, n’est pas, je l’espère, aussi sauvage que son mari?

– Mme d’Harville est fort à la mode et toujours fort entourée, ainsi qu’il convient à une jolie femme; mais je crains, madame, d’abuser de vos moments… et…

– Mais pas du tout, je vous assure. C’est une bonne fortune pour moi de rencontrer l’élégant des élégants, le roi de la mode; en dix minutes, je vais être au fait de Paris comme si je ne l’avais jamais quitté… Et votre cher M. de Lucenay, qui était avec vous le témoin du mariage de M. d’Harville?

– Plus original que jamais: il part pour l’Orient, et il en revient juste à temps pour recevoir hier matin un coup d’épée, fort innocent du reste.

– Ce pauvre duc! Et sa femme, toujours belle et ravissante?

– Vous savez, madame, que j’ai l’honneur d’être un de ses meilleurs amis, mon témoignage à ce sujet serait suspect… Veuillez, madame, à votre retour aux Aubiers, me faire la grâce de ne pas m’oublier auprès de M. d’Orbigny.

– Il sera très-sensible, je vous assure, à votre aimable souvenir; car il s’informe souvent de vous, de vos succès… Il dit toujours que vous lui rappelez le duc de Lauzun.

– Cette comparaison seule est tout un éloge; mais, malheureusement pour moi, elle est beaucoup plus bienveillante que vraie. Adieu, madame; car je n’ose espérer que vous puissiez me faire l’honneur de me recevoir avant votre départ.

– Je serais désolée que vous prissiez la peine de venir chez moi!… Je suis tout à fait campée pour quelques jours en hôtel garni, mais si, cet été ou cet automne, vous passez sur notre route en allant à quelqu’un de ces châteaux à la mode où les merveilleuses se disputent le plaisir de vous recevoir… accordez-nous quelques jours, seulement par curiosité de contraste, et pour vous reposer chez de pauvres campagnards de l’étourdissement de la vie de château si élégante et si folle… car c’est toujours fête où vous allez!…

– Madame…

– Je n’ai pas besoin de vous dire combien M. d’Orbigny et moi nous serons heureux de vous recevoir… Mais, adieu, monsieur; je crains que le bourru bienfaisant (elle montra le notaire) ne s’impatiente de nos bavardages.

– Bien au contraire, madame, bien au contraire, dit Ferrand avec un accent qui redoubla la rage contenue de M. de Saint-Remy.

– Avouez que M. Ferrand est un homme terrible, reprit Mme d’Orbigny en faisant l’évaporée. Mais prenez garde; puisqu’il est heureusement pour vous chargé de vos affaires, il vous grondera furieusement, c’est un homme impitoyable. Mais que dis-je?… au contraire… un merveilleux comme vous… avoir M. Ferrand pour notaire… mais c’est un brevet d’amendement; car on sait bien qu’il ne laisse jamais faire de folies à ses clients, sinon il leur rend leurs comptes… Oh! il ne veut pas être le notaire de tout le monde… Puis, s’adressant à Jacques Ferrand: – Savez-vous, monsieur le puritain, que c’est une superbe conversion que vous avez faite là… rendre sage l’élégant par excellence, le roi de la mode?

– C’est justement une conversion, madame, M. le vicomte sort de mon cabinet tout autre qu’il n’y était entré.

– Quand je vous dis que vous faites des miracles!… ce n’est pas étonnant, vous êtes un saint.

– Ah! madame… vous me flattez, dit Jacques Ferrand avec componction.

M. de Saint-Remy salua profondément Mme d’Orbigny; puis, au moment de quitter le notaire, voulant tenter une dernière fois de l’apitoyer, il lui dit d’un ton dégagé, qui laissait pourtant deviner une anxiété profonde:

– Décidément, mon cher monsieur Ferrand, vous ne voulez pas m’accorder ce que je vous demande?

– Quelque folie, sans doute?… Soyez inexorable, mon cher puritain, s’écria Mme d’Orbigny en riant.

– Vous entendez, monsieur, je ne puis contrarier une aussi belle dame…

– Mon cher monsieur Ferrand, parlons sérieusement… des choses sérieuses… et vous savez que celle-là… l’est beaucoup… Décidément vous me refusez? demanda le vicomte avec une angoisse à peine dissimulée.

Le notaire fut assez cruel pour paraître hésiter, M. de Saint-Remy eut un moment d’espoir.

– Comment, homme de fer, vous cédez? dit en riant la belle-mère de Mme d’Harville, vous subissez aussi le charme de l’irrésistible?…

– Ma foi, madame, j’étais sur le point de céder, comme vous dites; mais vous me faites rougir de ma faiblesse, reprit M. Ferrand. Puis, s’adressant au vicomte, il lui dit, avec une expression dont celui-ci comprit toute la signification: Là, sérieusement (et il appuya sur ce mot), c’est impossible… Je ne souffrirai pas que, par caprice, vous fassiez une étourderie pareille… Monsieur le vicomte, je me regarde comme le tuteur de mes clients; je n’ai pas d’autre famille, et je me regarderais comme complice des folies que je le leur laisserais faire.

– Oh! le puritain! Voyez-vous le puritain! dit Mme d’Orbigny.

– Du reste, voyez M. Petit-Jean; il pensera, j’en suis sûr, absolument comme moi; et, comme moi, il vous dira… non!

M. de Saint-Remy sortit désespéré.

Après un moment de réflexion, il dit: – Il le faut. Puis, à son chasseur, qui tenait ouverte la portière de sa voiture:

– À l’hôtel de Lucenay.

Pendant que M. de Saint-Remy se rend chez la duchesse, nous ferons assister nos lecteurs à l’entretien de M. Ferrand et de la belle-mère de Mme d’Harville.

XVI Le testament

Le lecteur a peut-être oublié le portrait de la belle-mère de Mme d’Harville, tracé par celle-ci.

Répétons que Mme d’Orbigny est une petite femme blonde, mince, ayant les cils presque blancs, les yeux ronds et d’un bleu pâle; sa parole est mielleuse, son regard hypocrite, ses manières insinuantes et insidieuses. En étudiant sa physionomie fausse et perfide, on y découvre quelque chose de sournoisement cruel.

– Quel charmant jeune homme que M. de Saint-Remy! dit Mme d’Orbigny à Jacques Ferrand lorsque le vicomte fut sorti.

– Charmant. Mais, madame, causons d’affaires… Vous m’avez écrit de Normandie que vous vouliez me consulter sur de graves intérêts…

– N’avez-vous pas toujours été mon conseil depuis que ce bon docteur Polidori m’a adressée à vous?… À propos, avez-vous de ses nouvelles? demanda Mme d’Orbigny d’un air parfaitement détaché.