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– Nos exigences sont à jamais liées l’une à l’autre… Je ferai tous mes efforts pour vous rendre la vie moins amère.

– Mon Dieu!… Mon Dieu!… Clémence, est-ce vous que j’entends?…

– Je vous en prie, ne vous étonnez pas ainsi… Cela me fait mal… c’est une censure amère de ma conduite passée… Qui donc vous plaindrait, qui donc vous tendrait une main amie et secourable… si ce n’est moi?… Une bonne inspiration m’est venue… J’ai réfléchi, bien réfléchi, sur le passé, sur l’avenir. J’ai reconnu mes torts, et j’ai trouvé, je crois, le moyen de les réparer…

– Vos torts, pauvre femme?

– Oui, je devais le lendemain de mon mariage en appeler à votre loyauté, et vous demander franchement de nous séparer…

– Ah! Clémence!… pitié!… pitié!…

– Sinon, puisque j’acceptais ma position, il me fallait l’agrandir par le dévouement, au lieu d’être pour vous un reproche incessant par ma froideur hautaine et silencieuse. Je devais tâcher de vous consoler d’un effroyable malheur, ne me souvenir que de votre infortune. Peu à peu je me serais attachée à mon œuvre de commisération; en raison même des soins, peut-être des sacrifices qu’elle m’eût coûtés, votre reconnaissance m’eût récompensée, et alors… Mais, mon Dieu! qu’avez-vous?… Vous pleurez!

– Oui, je pleure, je pleure avec délices: vous ne savez pas tout ce que vos paroles remuent en mois d’émotions nouvelles… Oh! Clémence! laissez-moi pleurer!… Jamais plus qu’en ce moment je n’ai compris à quel point j’ai été coupable en vous enchaînant à ma triste vie!

– Et jamais, moi, je ne me suis sentie plus décidée au pardon. Ces douces larmes que vous versez me font connaître un bonheur que j’ignorais. Courage donc, mon ami! courage! À défaut d’une vie radieuse et fortunée, cherchons notre satisfaction dans l’accomplissement des devoirs sérieux que le sort nous impose. Soyons-nous indulgents l’un à l’autre; si nous faiblissons, regardons le berceau de notre fille, concentrons sur elle toutes nos affections, et nous aurons encore quelques joies mélancoliques et saintes.

– Un ange… c’est un ange!… s’écria M. d’Harville en joignant les mains et en contemplant sa femme avec une admiration passionnée. Oh! vous ne savez pas le bien et le mal que vous me faites, Clémence! Vous ne savez pas que vos plus dures paroles d’autrefois, que vos reproches les plus amers, hélas! les plus mérités, ne m’ont jamais autant accablé que cette mansuétude adorable, que cette résignation généreuse… Et pourtant, malgré moi, vous me faites renaître à l’espérance. Vous ne savez pas l’avenir que j’ose entrevoir…

– Et vous pouvez avoir une foi aveugle et entière dans ce que je vous dis, Albert. Cette résolution, je la prends fermement; je n’y manquerai jamais, je vous le jure. Plus tard même je pourrai vous donner de nouvelles garanties de ma parole…

– Des garanties! s’écria M. d’Harville de plus en plus exalté par un bonheur si peu prévu, des garanties! En ai-je besoin? Votre regard, votre accent, cette divine expression de bonté qui vous embellit encore, les battements, les ravissements de mon cœur, tout cela ne me prouve-t-il pas que vous dites vrai? Mais vous le savez, Clémence, l’homme est insatiable dans ses vœux, ajouta le marquis en se rapprochant du fauteuil de sa femme. Vos nobles et touchantes paroles me donnent le courage, l’audace d’espérer… d’espérer le ciel, oui, d’espérer ce qu’hier encore je regardais comme un rêve insensé!…

– Expliquez-vous, de grâce!… dit Clémence un peu inquiète de ces paroles passionnées de son mari.

– Eh bien! oui…, s’écria-t-il en saisissant la main de sa femme, oui, à force de tendresse, de soins, d’amour… entendez-vous, Clémence?… à force d’amour… j’espère me faire aimer de vous!… Non d’une affection pâle et tiède… mais d’une affection ardente, comme la mienne… Oh! vous ne la connaissez pas, cette passion!… Est-ce que j’osais vous en parler seulement?… Vous vous montriez toujours si glaciale envers moi… jamais un mot de bonté… jamais une de ces paroles… qui tout à l’heure m’ont fait pleurer… qui maintenant me rendent ivre de bonheur… Et ce bonheur, je le mérite… je vous ai toujours tant aimée! Et j’ai tant souffert… sans vous le dire! Ce chagrin qui me dévorait… c’était cela!… Oui, mon horreur du monde… mon caractère sombre, taciturne, c’était cela… Figurez-vous donc aussi… avoir dans sa maison une femme adorable et adorée, qui est la vôtre; une femme que l’on désire avec tous les emportements d’un amour contraint… et être à jamais condamné par elle à de solitaires et brûlantes insomnies… Oh non, vous ne savez pas mes larmes de désespoir, mes fureurs insensées! Je vous assure que cela vous eût touchée… Mais, que dis-je? Cela vous a touchée… vous avez deviné mes tortures, n’est-ce pas?… Vous en aurez pitié… La vue de votre ineffable beauté, de vos grâces enchanteresses, ne sera plus mon bonheur et mon supplice de chaque jour… Oui, ce trésor que je regarde comme mon bien le plus précieux… ce trésor qui m’appartient et que je ne possédais pas… ce trésor sera bientôt à moi… Oui, mon cœur, ma joie, mon ivresse, tout me le dit… n’est-ce pas, mon amie… ma tendre amie?

En disant ces mots, M. d’Harville couvrit la main de sa femme de baisers passionnés.

Clémence, désolée de la méprise de son mari, ne put s’empêcher, dans un premier mouvement de répugnance, presque d’effroi, de retirer brusquement sa main.

Sa physionomie exprima trop clairement ses ressentiments pour que M. d’Harville pût s’y tromper.

Ce coup fut pour lui terrible.

Ses traits prirent alors une expression déchirante: Mme d’Harville lui tendit vivement la main et s’écria:

– Albert, je vous le jure, je serai pour vous la plus dévouée des amies, la plus tendre des sœurs… mais rien de plus… Pardon, pardon… si malgré moi mes paroles vous ont donné des espérances que je ne puis jamais réaliser!

– Jamais?… s’écria M. d’Harville en attachant sur sa femme un regard suppliant, désespéré.

– Jamais!… répondit Clémence.

Ce seul mot, l’accent de la jeune femme, révélaient une résolution irrévocable.

Clémence, ramenée à de nobles résolutions par l’influence de Rodolphe, était fermement décidée à entourer M. d’Harville des soins les plus touchants; mais elle se sentait incapable d’éprouver jamais de l’amour pour lui.

Une impression plus inexorable encore que l’effroi, que le mépris, que la haine, éloignait pour toujours Clémence de son mari…

C’était une répugnance… invincible.

Après un moment de douloureux silence, M. d’Harville passa la main sur ses yeux humides et dit à sa femme, avec une amertume navrante:

– Pardon… de m’être trompé… pardon de m’être ainsi abandonné à une espérance insensée…

Puis, après un nouveau silence, il s’écria:

– Ah! je suis bien malheureux!…

– Mon ami, lui dit doucement Clémence, je ne voudrais pas vous faire de reproches; pourtant… comptez-vous donc pour rien ma promesse d’être pour vous la plus tendre des sœurs? Vous devrez à l’amitié dévouée des soins que l’amour ne pourrait vous donner… Espérez… espérez des jours meilleurs… Jusqu’ici vous m’avez trouvée presque indifférente à vos chagrins; vous verrez combien j’y saurai compatir, et quelles consolations vous trouverez dans mon affection.