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Sa mort ne fut donc attribuée et ne pouvait qu’être attribuée à une imprudence. Quant à sa résolution, un incurable désespoir l’avait dictée. En se montrant à son égard aussi affectueuse, aussi tendre qu’elle s’était montrée jadis froide et hautaine, en revenant noblement à lui, Clémence avait éveillé dans le cœur de son mari de douloureux remords.

La voyant si mélancoliquement résignée à cette longue vie sans amour, passée auprès d’un homme atteint d’une incurable et effrayante maladie; bien certain, d’après la solennité des paroles de Clémence, qu’elle ne pourrait jamais vaincre la répugnance qu’il lui inspirait, M. d’Harville s’était pris d’une profonde pitié pour sa femme et d’un effrayant dégoût de lui-même et de la vie.

Dans l’exaspération de sa douleur, il se dit:

«Je n’aime, je ne puis aimer qu’une femme au monde… c’est la mienne. Sa conduite, pleine de cœur et d’élévation, augmenterait encore ma folle passion, s’il était possible de l’augmenter.

«Et cette femme, qui est la mienne, ne peut jamais m’appartenir…

«Elle a le droit de me mépriser, de me haïr…

«Je l’ai, par une tromperie infâme, enchaînée, jeune fille, à mon détestable sort…

«Je m’en repens… Que dois-je faire pour elle maintenant?

«La délivrer des liens odieux que mon égoïsme lui a imposés.

«Ma mort seule peut briser ces liens… il faut donc que je me tue…»

Et voilà pourquoi M. d’Harville avait accompli ce grand, ce douloureux sacrifice.

Si le divorce eût existé, ce malheureux se serait-il suicidé?

Non!

Il pouvait réparer en partie le mal qu’il avait fait, rendre sa femme à la liberté, lui permettre de trouver le bonheur dans une autre union…

L’inexorable immutabilité de la loi rend donc souvent certaines fautes irrémédiables, ou, comme dans ce cas, ne permet de les effacer que par un nouveau crime.

VI Saint-Lazare

Nous croyons devoir prévenir les plus timorés de nos lecteurs que la prison de Saint-Lazare, spécialement destinée aux voleuses et aux prostituées, est journellement visitée par plusieurs femmes dont la charité, dont le nom, dont la position sociale, commandent le respect de tous.

Ces femmes, élevées au milieu des splendeurs de la fortune, ces femmes, à bon droit comptées parmi la société la plus choisie, viennent chaque semaine passer de longues heures auprès des misérables prisonnières de Saint-Lazare; épiant dans ces âmes dégradées la moindre aspiration vers le bien, le moindre regret d’un passé criminel, elles encouragent les tendances meilleures, fécondent le repentir, et par la puissante magie de ces mots: devoir, honneur, vertu, elles retirent quelquefois de la fange une de ces créatures abandonnées, avilies, méprisées.

Habituées aux délicatesses, à la politesse exquise de la meilleure compagnie, ces femmes courageuses quittent leur hôtel séculaire, appuient leurs lèvres au front virginal de leurs filles pures comme les anges du ciel, et vont dans de sombres prisons braver l’indifférence grossière ou les propos criminels de ces voleuses ou de ces prostituées…

Fidèles à leur mission de haute moralité, elles descendent vaillamment dans cette boue infecte, posent la main sur tous ces cœurs gangrenés, et, si quelque faible battement d’honneur leur révèle un léger espoir de salut, elles disputent et arrachent à une irrévocable perdition l’âme malade dont elles n’ont pas désespéré.

Les lecteurs timorés auxquels nous nous adressons calmeront donc leur susceptibilité en songeant qu’ils n’entendront et ne verront, après tout, que ce que voient et entendent chaque jour les femmes vénérées que nous venons de citer.

Sans oser établir un ambitieux parallèle entre leur mission et la nôtre, pourrons-nous dire que ce qui nous soutient aussi dans cette œuvre longue, pénible, difficile, c’est la conviction d’avoir éveillé quelques nobles sympathies pour les infortunes probes, courageuses, imméritées, pour les repentirs sincères, pour l’honnêteté simple, naïve; et d’avoir inspiré le dégoût, l’aversion, l’horreur, la crainte salutaire et tout ce qui était absolument impur et criminel?

Nous n’avons pas reculé devant les tableaux les plus hideusement vrais, pensant que, comme le feu, la vérité morale purifie tout.

Notre parole a trop peu de valeur, notre opinion trop peu d’autorité, pour que nous prétendions enseigner ou réformer.

Notre unique espoir est d’appeler l’attention des penseurs et des gens de bien sur de grandes misères sociales, dont on peut déplorer, mais non contester la réalité.

Pourtant, parmi les heureux du monde, quelques-uns, révoltés de la crudité de ces douloureuses peintures, ont crié à l’exagération, à l’invraisemblance, à l’impossibilité, pour n’avoir pas à plaindre (nous ne disons pas à secourir) tant de maux.

Cela se conçoit.

L’égoïste gorgé d’or ou bien repu veut avant tout digérer tranquille. L’aspect des pauvres frissonnant de faim et de froid lui est particulièrement importun, il préfère cuver sa richesse ou sa bonne chère, les yeux à demi ouverts aux visions voluptueuses d’un ballet d’opéra.

Le plus grand nombre, au contraire, des riches et des heureux ont généreusement compati à certains malheurs qu’ils ignoraient: quelques personnes même nous ont su gré de leur avoir indiqué le bienfaisant emploi d’aumônes nouvelles.

Nous avons été puissamment soutenu, encouragé par de pareilles adhésions.

Cet ouvrage, que nous reconnaissons sans difficulté pour un livre mauvais au point de vue de l’art, mais que nous maintenons n’être pas un mauvais livre au point de vue moral cet ouvrage, disons-nous, n’aurait-il eu dans sa carrière éphémère que le dernier résultat dont nous avons parlé, que nous serions très-fier, très-honoré de notre œuvre.

Quelle plus glorieuse récompense pour nous que les bénédictions de quelques pauvres familles qui auront dû un peu de bien-être aux pensées que nous avons soulevées!

Cela dit à propos de la nouvelle pérégrination où nous engageons le lecteur, après avoir, nous l’espérons, apaisé ses scrupules, nous l’introduirons à Saint-Lazare, immense édifice d’un aspect imposant et lugubre, situé rue du Faubourg-Saint-Denis.

Ignorant le terrible drame qui se passait chez elle, Mme d’Harville s’était rendue à la prison, après avoir obtenu quelques renseignements de Mme de Lucenay au sujet des deux malheureuses femmes que la cupidité du notaire Jacques Ferrand plongeait dans la détresse.

Mme de Blainval, une des patronnesses de l’œuvre des jeunes détenues, n’ayant pu ce jour-là accompagner Clémence à Saint-Lazare, celle-ci y était venue seule. Elle fut accueillie avec empressement par le directeur et par plusieurs dames inspectrices, reconnaissables à leurs vêtements noirs et au ruban bleu à médaillon d’argent qu’elles portaient en sautoir.

Une de ces inspectrices, femme d’un âge mûr, d’une figure grave et douce, resta seule avec Mme d’Harville dans un petit salon attenant au greffe.