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– S’il te ressemblait, il était frais, ton soldat!

– Ça devait être un invalide…

– Un restant d’homme…

– Combien avait-il d’yeux de verre?

– Et de nez de fer-blanc?

– Il fallait qu’il eût les deux jambes et les deux bras de moins, avec ça sourd et aveugle… pour vouloir de toi…

– Je suis laide, un vrai monstre… je le sais bien, allez. Dites-moi des sottises, moquez vous de moi tant que vous voudrez… ça m’est égal; mais ne me battez pas, je ne demande que ça.

– Qu’est-ce que tu as dans ce vieux mouchoir? dit la Louve.

– Oui!… oui!… qu’est-ce qu’elle a là?

– Qu’elle nous le montre!

– Voyons! voyons!

– Oh! non, je vous en supplie!… s’écria la misérable en serrant de toutes ses forces son petit paquet entre ses mains.

– Il faut lui prendre…

– Oui, arrache-lui… la Louve!

– Mon Dieu! faut-il que vous soyez méchantes, allez… mais laissez donc ça… laissez donc ça…

– Qu’est-ce que c’est?

– Eh bien! c’est un commencement de layette pour mon enfant… je fais ça avec les vieux morceaux de linge dont personne ne veut et que je ramasse; ça vous est égal, n’est-ce pas?

– Oh! la layette du petit à Mont-Saint-Jean! C’est ça qui doit être farce!

– Voyons!!

– La layette… la layette!

– Elle aura pris mesure sur le petit chien de la gardienne… bien sûr…

– À vous, à vous, la layette! cria la Louve en arrachant le paquet des mains de Mont-Saint-Jean.

Le mouchoir presque en lambeaux se déchira, bon nombre de rognures d’étoffes de toutes couleurs et de vieux morceaux de linge à demi façonnés voltigèrent dans la cour et furent foulés aux pieds par les prisonnières, qui redoublèrent de huées et d’éclats de rire.

– Que ça de guenilles!

– On dirait le fond de la hotte d’un chiffonnier!

– En voilà des échantillons de vieilles loques!

– Quelle boutique!…

– Et pour coudre tout ça…

– Il y aura plus de fil que d’étoffe…

– Ça fait des broderies!

– Tiens, rattrape-les maintenant tes haillons… Mont-Saint-Jean!

– Faut-il être méchant, mon Dieu! faut-il être méchant! s’écria la pauvre créature en courant çà et là après les chiffons qu’elle tâchait de ramasser, malgré les bourrades qu’on lui donnait. Je n’ai jamais fait de mal à personne, ajouta-t-elle en pleurant, je leur ai offert, pour qu’elles me laissent tranquille, de leur rendre tous les services qu’elles voudraient, de leur donner la moitié de ma ration, quoique j’aie bien faim; eh bien! non, non, c’est tout de même… Mais qu’est-ce qu’il faut donc que je fasse pour avoir la paix?… Elles n’ont pas seulement pitié d’une pauvre femme enceinte! Faut être plus sauvage que des bêtes… J’avais eu tant de peine à ramasser ces petits bouts de linge! Avec quoi voulez-vous que je fasse la layette de mon enfant, puisque je n’ai de quoi rien acheter? À qui ça fait-il du tort de ramasser ce que personne ne veut plus, puisqu’on le jette. Mais tout à coup Mont-Saint-Jean s’écria avec un accent d’espoir: Oh! puisque vous voilà… la Goualeuse… je suis sauvée… parlez-leur pour moi… elles vous écouteront, bien sûr, puisqu’elles vous aiment autant qu’elles me haïssent.

La Goualeuse, arrivant la dernière des détenues, entrait alors dans le préau.

Fleur-de-Marie portait le sarrau bleu et la cornette noire des prisonnières; mais, sous ce grossier costume, elle était encore charmante. Pourtant, depuis son enlèvement de la ferme de Bouqueval (enlèvement dont nous expliquerons plus tard l’issue), ses traits semblaient profondément altérés; sa pâleur, autrefois légèrement rosée, était mate comme la blancheur de l’albâtre; l’expression de sa physionomie avait aussi changé: elle était alors empreinte d’une sorte de dignité triste.

Fleur-de-Marie sentait qu’accepter courageusement les douloureux sacrifices de l’expiation, c’est presque atteindre à la hauteur de la réhabilitation.

– Demandez-leur donc grâce pour moi, la Goualeuse, reprit Mont-Saint-Jean, implorant la jeune fille; voyez comme elles traînent dans la cour tout ce que j’avais rassemblé avec tant de peine pour commencer la layette de mon enfant… Quel beau plaisir ça peut-il leur faire?

Fleur-de-Marie ne dit mot, mais elle se mit à ramasser activement un à un, sous les pieds des détenues, tous les chiffons qu’elle put recueillir.

Une prisonnière retenait méchamment sous son sabot une sorte de brassière de grosse toile bise; Fleur-de-Marie, toujours baissée, leva sur cette femme son regard enchanteur et lui dit de sa voix douce:

– Je vous en prie, laissez-moi reprendre cela, au nom de cette pauvre femme qui pleure…

La détenue recula son pied…

La brassière fut sauvée ainsi que presque tous les autres haillons, que la Goualeuse conquit ainsi pièce à pièce.

Il lui restait à récupérer un petit bonnet d’enfant que deux détenues se disputaient en riant. Fleur-de-Marie leur dit:

– Voyons, soyez tout à fait bonnes… rendez-lui ce petit bonnet…

– Ah! bien oui… c’est donc pour un arlequin au maillot, ce bonnet! il est fait d’un morceau d’étoffe grise, avec des pointes en futaine vertes et noires, et une doublure de toile à matelas.

Ceci était exact.

Cette description du bonnet fut accueillie avec des huées et des rires sans fin.

– Moquez-vous-en, mais rendez-le-moi, disait Mont-Saint-Jean, et surtout ne le traînez pas dans le ruisseau comme le reste… Pardon de vous avoir fait salir les mains pour moi, la Goualeuse, ajouta Mont-Saint-Jean d’une voix reconnaissante.

– À moi le bonnet d’arlequin! dit la Louve, qui s’en empara et l’agita en l’air comme un trophée.

– Je vous en supplie, donnez-le-moi, dit la Goualeuse.

– Non, c’est pour le rendre à Mont-Saint-Jean!

– Certainement.

– Ah! bah! ça en vaut bien la peine… une pareille guenille!

– C’est parce que Mont-Saint-Jean, pour habiller son enfant, n’a que des guenilles… que vous devriez avoir pitié d’elle, la Louve, dit tristement Fleur-de-Marie en étendant la main vers le bonnet.

– Vous ne l’aurez pas! reprit brutalement la Louve; ne faudrait-il pas toujours vous céder, à vous, parce que vous êtes la plus faible?… Vous abusez de cela à la fin!…

– Où serait le mérite de me céder… si j’étais la plus forte?… répondit la Goualeuse avec un demi-sourire plein de grâce.

– Non, non; vous voulez encore m’entortiller avec votre petite voix douce… Vous ne l’aurez pas.

– Voyons, la Louve, ne soyez pas méchante…

– Laissez-moi tranquille, vous m’ennuyez…

– Je vous en prie!…