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– Tiens! ne m’impatiente pas… j’ai dit non, c’est non! s’écria la Louve tout à fait irritée.

– Ayez donc pitié d’elle… voyez comme elle pleure!

– Qu’est-ce que ça me fait, à moi?… tant pis pour elle! Elle est notre souffre-douleur…

– C’est vrai, c’est vrai… il ne fallait pas lui rendre ses loques, murmuraient les détenues, entraînées par l’exemple de la Louve. Tant pis pour Mont-Saint-Jean!…

– Vous avez raison, tant pis pour elle! dit Fleur-de-Marie avec amertume, elle est votre souffre-douleur… elle doit se résigner… ses gémissements vous amusent… ses larmes vous font rire… Il vous faut bien passer le temps à quelque chose! On la tuerait sur place qu’elle n’aurait rien à dire… Vous avez raison, la Louve, cela est juste!… Cette pauvre femme ne fait de mal à personne, elle ne peut pas se défendre, elle est seule contre toutes… vous l’accablez… cela est surtout bien brave et bien généreux!

– Nous sommes donc des lâches? s’écria la Louve emportée par la violence de son caractère et par son impatience de toute contradiction. Répondras-tu! Sommes-nous des lâches, hein? reprit-elle de plus en plus irritée.

Des rumeurs menaçantes pour la Goualeuse commencèrent à se faire entendre.

Les détenues offensées se rapprochèrent et l’entourèrent en vociférant, oubliant ou plutôt se révoltant contre l’ascendant que la jeune fille avait jusqu’alors pris sur elles.

– Elle nous appelle lâches!

– De quel droit vient-elle nous blâmer?

– Est-ce qu’elle est plus que nous?

– Nous avons été trop bonnes enfants avec elle.

– Et maintenant elle veut prendre des airs avec nous.

– Si ça nous plaît de faire de la misère à Mont-Saint-Jean, qu’est-ce qu’elle a à dire?

– Puisque c’est comme ça, tu seras encore plus battue qu’auparavant, entends-tu, Mont-Saint-Jean?

– Tiens, voilà pour commencer, dit l’une en lui donnant un coup de poing.

– Et si tu te mêles encore de ce qui ne te regarde pas, la Goualeuse, on te traitera de même.

– Oui!… oui!

– Ça n’est pas tout! cria la Louve; il faut que la Goualeuse nous demande pardon de nous avoir appelées lâches! C’est vrai… si on la laissait faire, elle finirait par nous manger la laine sur le dos. Nous sommes bien bêtes, aussi… de ne pas nous apercevoir de ça!

– Qu’elle nous demande pardon!

– À genoux!

– À deux genoux!

– Ou nous allons la traiter comme Mont-Saint-Jean, sa protégée.

– À genoux! à genoux!

– Ah! nous sommes des lâches!

– Répète-le donc, hein!

Fleur-de-Marie ne s’émut pas de ces cris furieux; elle laissa passer la tourmente; puis, lorsqu’elle put se faire entendre, promenant sur les prisonnières son beau regard calme et mélancolique, elle répondit à la Louve, qui vociférait de nouveau:

– Ose donc répéter que nous sommes des lâches!»

– Vous? Non, non, c’est cette pauvre femme dont vous avez déchiré les vêtements, que vous avez battue, traînée dans la boue: c’est elle qui est lâche… Ne voyez-vous pas comme elle pleure, comme elle tremble en vous regardant? Encore une fois, c’est elle qui est lâche, puisqu’elle a peur de vous!

L’instinct de Fleur-de-Marie la servait parfaitement. Elle eût invoqué la justice, le devoir, pour désarmer l’acharnement stupide et brutal des prisonnières contre Mont-Saint-Jean, qu’elle n’eût pas été écoutée. Elle les émut en s’adressant à ce sentiment de générosité naturelle qui jamais ne s’éteint tout à fait, même dans les masses les plus corrompues.

La Louve et ses compagnes murmurèrent encore, mais elles se sentaient, elles s’avouaient lâches.

Fleur-de-Marie ne voulut pas abuser de ce premier triomphe et continua:

– Votre souffre-douleur ne mérite pas de pitié, dites-vous; mais, mon Dieu! son enfant en mérite, lui! Ne ressent-il pas les coups que vous donnez à sa mère? Quand elle vous crie «grâce!» ce n’est pas pour elle… c’est pour son enfant! Quand elle vous demande un peu de votre pain, si vous en avez de trop, parce qu’elle a plus faim que d’habitude, ce n’est pas pour elle… c’est pour son enfant!… Quand elle vous supplie, les larmes aux yeux, d’épargner ses haillons qu’elle a eu tant de peine à rassembler, ce n’est pas pour elle… c’est pour son enfant! Ce pauvre petit bonnet de pièces et de morceaux doublé de toile à matelas, dont vous vous moquez tant, est bien risible… peut-être; pourtant, à moi, rien qu’à le voir, il me donne envie de pleurer, je vous l’avoue… Moquez-vous de moi et de Mont-Saint-Jean, si vous voulez.

Les détenues ne rirent pas.

La Louve regarda même tristement ce petit bonnet qu’elle tenait encore à la main.

– Mon Dieu! reprit Fleur-de-Marie en essuyant ses yeux du revers de sa main blanche et délicate, je sais que vous n’êtes pas méchantes… Vous tourmentez Mont-Saint-Jean par désœuvrement, non par cruauté. Mais vous oubliez qu’ils sont deux… elle et son enfant. Elle le tiendrait entre ses bras qu’il la protégerait contre vous… Non-seulement vous ne la battriez pas, de peur de faire du mal à ce pauvre innocent, mais s’il avait froid, vous donneriez à sa mère tout ce que vous pourriez pour le couvrir, n’est-ce pas, la Louve?

– C’est vrai… un enfant, qui est-ce qui n’en aurait pas pitié?…

– C’est tout simple, ça…

– S’il avait faim, vous vous ôteriez le pain de la bouche pour lui, n’est-ce pas, la Louve?

– Oui, et de bon cœur… je ne suis pas plus méchante qu’une autre.

– Ni nous non plus…

– Un pauvre petit innocent!

– Qu’est-ce qui aurait le cœur de vouloir lui faire mal?

– Faudrait être des monstres!

– Des sans-cœur!

– Des bêtes sauvages!

– Je vous le disais bien, reprit Fleur-de-Marie, que vous n’étiez pas méchantes; vous êtes bonnes, votre tort c’est de ne pas réfléchir que Mont-Saint-Jean, au lieu d’avoir son enfant dans ses bras pour vous apitoyer… l’a dans son sein… voilà tout…

– Voilà tout! reprit la Louve avec exaltation, non, ça n’est pas tout. Vous avez raison, la Goualeuse, nous étions des lâches… et vous êtes brave d’avoir osé nous le dire, et vous êtes brave de n’avoir pas tremblé après nous l’avoir dit. Voyez-vous, nous avons beau dire et beau faire, nous débattre contre ça, que vous n’êtes pas une créature comme nous autres, faut toujours finir par en convenir… Ça me vexe, mais ça est… Tout à l’heure encore nous avons eu tort… vous étiez plus courageuse que nous…

– C’est vrai qu’il lui a fallu du courage à cette blondinette pour nous dire comme ça nos vérités en face…

– Oh! mais, c’est que ces yeux bleus tout doux, tout doux, une fois que ça s’y met…

– Ça devient des vrais petits lions.

– Pauvre Mont-Saint-Jean! Elle lui doit une fière chandelle!

– Après tout, c’est que c’est vrai, quand nous battons Mont-Saint-Jean, nous battons son enfant.

– Je n’avais pas pensé à cela.

– Ni moi non plus.