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– Mais la Goualeuse, elle, pense à tout.

– Et battre un enfant… c’est affreux!

– Pas une de nous n’en serait capable.

Rien de plus mobile que les passions populaires; rien de plus brusque, de plus rapide que leurs retours du mal au bien et du bien au mal.

Quelques simples et touchantes paroles de Fleur-de-Marie avaient opéré une réaction subite en faveur de Mont-Saint-Jean, qui pleurait d’attendrissement.

Tous les cœurs étaient émus, parce que, nous l’avons dit, les sentiments qui se rattachent à la maternité sont toujours vifs et puissants chez les malheureuses dont nous parlons.

Tout à coup la Louve, violente et exaltée en toute chose, prit le petit bonnet qu’elle tenait à la main, en fit une sorte de bourse, fouilla dans sa poche, en tira vingt sous, les jeta dans le bonnet et s’écria en le présentant à ses compagnes:

– Je mets vingt sous pour acheter de quoi faire une layette au petit de Mont-Saint-Jean. Nous taillerons et nous coudrons tout nous-mêmes, afin que la façon ne lui coûte rien…

– Oui… oui…

– C’est ça!… cotisons-nous!…

– J’en suis!

– Fameuse idée!

– Pauvre femme!

– Elle est laide comme un monstre… mais elle est mère comme une autre…

– La Goualeuse avait raison, au fait, c’est à pleurer toutes les larmes de son corps que de voir cette malheureuse layette de haillons.

– Je mets dix sous.

– Moi trente.

– Moi vingt.

– Moi, quatre sous… je n’ai que ça.

– Moi, je n’ai rien… mais je vends ma ration de demain pour mettre à la masse. Qui me l’achète?

– Moi, dit la Louve, je mets dix sous pour toi… mais tu garderas ta ration, et Mont-Saint-Jean aura une layette comme une princesse.

Exprimer la surprise, la joie de Mont-Saint-Jean serait impossible; son grotesque et laid visage, inondé de larmes, devenait presque touchant. Le bonheur, la reconnaissance y rayonnaient.

Fleur-de-Marie aussi était bien heureuse, quoiqu’elle eût été obligée de dire à la Louve, quand celle-ci lui tendit le petit bonnet:

– Je n’ai pas d’argent… mais je travaillerai tant qu’on voudra…

– Oh! mon bon petit ange du paradis, s’écria Mont-Saint-Jean en tombant aux genoux de la Goualeuse, et en tâchant de lui prendre la main pour la baiser; qu’est-ce que je vous ai donc fait pour que vous soyez aussi charitable pour moi, et toutes ces dames aussi? C’est-il bien possible, mon bon Dieu sauveur!… Une layette pour mon enfant, une bonne layette, tout ce qu’il lui faudra? Qui aurait jamais cru cela pourtant! J’en deviendrai folle, c’est sûr. Moi qui tout à l’heure étais le pâtiras de tout le monde, en un rien de temps, parce que vous leur avez dit… quelque chose… de votre chère petite voix de séraphin… voilà que vous les retournez de mal à bien, voilà qu’elles m’aiment à cette heure. Et moi aussi, je les aime. Elles sont si bonnes! J’avais tort de me fâcher. Étais-je donc bête, et injuste, et ingrate; tout ce qu’elles me faisaient, c’était pour rire, elles ne me voulaient pas de mal, c’était pour mon bien, en voilà la preuve. Oh! maintenant on m’assommerait sur la place que je ne dirais pas ouf. J’étais par trop susceptible aussi!

– Nous avons quatre-vingt-huit francs et sept sous, dit la Louve en finissant, de compter le montant de la collecte, qu’elle enveloppa dans le petit bonnet. Qui est-ce qui sera la trésorière jusqu’à ce qu’on ait employé l’argent! Faut pas le donner à Mont-Saint-Jean, elle est trop sotte.

– Que la Goualeuse garde l’argent, cria-t-on tout d’une voix.

– Si vous m’en croyez, dit Fleur-de-Marie, vous prierez l’inspectrice, Mme Armand, de se charger de cette somme et de faire les emplettes nécessaires à la layette; et puis, qui sait? Mme Armand sera sensible à la bonne action que vous avez faite, et peut-être demandera-t-elle qu’on ôte quelques jours de prison à celles qui sont bien notées… Eh bien! la Louve, ajouta Fleur-de-Marie en prenant sa compagne par le bras, est-ce que vous ne vous sentez pas plus contente que tout à l’heure, quand vous jetiez au vent les pauvres haillons de Mont-Saint-Jean?

La Louve ne répondit pas d’abord.

À l’exaltation généreuse qui avait un moment animé ses traits succédait une sorte de défiance farouche.

Fleur-de-Marie la regardait avec surprise, ne comprenant rien à ce changement subit.

– Goualeuse… venez… j’ai à vous parler, dit la Louve d’un air sombre.

Et, se détachant du groupe des détenues, elle emmena brusquement Fleur-de-Marie près du bassin à margelles de pierre creusé au milieu du préau. Un banc était tout près.

La Louve et la Goualeuse s’y assirent et se trouvèrent ainsi presque isolées de leurs compagnes.

VIII La Louve et la Goualeuse

Nous croyons fermement à l’influence de certains caractères dominateurs, assez sympathiques aux masses, assez puissants sur elles pour leur imposer le bien ou le mal.

Les uns, audacieux, emportés, indomptables, s’adressant aux mauvaises passions, les soulèveront comme l’ouragan soulève l’écume de la mer; mais, ainsi que tous les orages, ces orages seront aussi furieux qu’éphémères; à ces funestes effervescences succéderont de sourds ressentiments de tristesse, de malaise, qui empireront les plus misérables conditions. Le déboire d’une violence est toujours amer, le réveil d’un excès toujours pénible.

La Louve , si l’on veut, personnifiera cette influence funeste.

D’autres organisations, plus rares, parce qu’il faut que leurs généreux instincts soient fécondés par l’intelligence, et que chez elles l’esprit soit au niveau du cœur, d’autres, disons-nous, inspireront le bien, ainsi que les premiers inspirent le mal. Leur action pénétrera doucement les âmes, comme les tièdes rayons du soleil pénètrent les corps d’une chaleur vivifiante… comme la fraîche rosée d’une nuit d’été imbibe la terre aride et brûlante.

Fleur-de-Marie, si l’on veut, personnifiera cette influence bienfaisante.

La réaction en bien n’est pas brusque comme la réaction en mal; ses effets se prolongent davantage. C’est quelque chose d’onctueux, d’ineffable, qui peu à peu détend, calme, épanouit les cœurs les plus endurcis et leur fait goûter une sensation d’une inexprimable sérénité.

Malheureusement le charme cesse.

Après avoir entrevu de célestes clartés, les gens pervers retombent dans les ténèbres de leur vie habituelle; le souvenir des suaves émotions qui les ont un moment surpris s’efface peu à peu. Parfois pourtant ils cherchent vaguement à se les rappeler, de même que nous essayons de murmurer les chants dont notre heureuse enfance a été bercée.

Grâce à la bonne action qu’elle leur avait inspirée, les compagnes de la Goualeuse venaient de connaître la douceur passagère de ces ressentiments, aussi partagés par la Louve. Mais celle-ci, pour des raisons que nous dirons bientôt, devait rester moins longtemps que les autres prisonnières sous cette bienfaisante impression.

Si l’on s’étonne d’entendre et de voir Fleur-de-Marie, naguère si passivement, si douloureusement résignée, agir, parler avec courage et autorité, c’est que les nobles enseignements qu’elle avait reçus pendant son séjour à la ferme de Bouqueval avaient rapidement développé les rares qualités de cette nature excellente.